Arrêts nº T-515/13 et T-719/13 of Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, December 17, 2015

Resolution DateDecember 17, 2015
Issuing OrganizationTribunal de Première Instance des Communautés Européennes
Decision NumberT-515/13 et T-719/13

Aides d’État - Construction navale - Dispositions fiscales applicables à certains accords mis en place pour le financement et l’acquisition de navires - Décision déclarant l’aide pour partie incompatible avec le marché intérieur et ordonnant partiellement sa récupération - Recours en annulation - Affectation individuelle - Recevabilité - Avantage - Caractère sélectif - Affectation des échanges entre États membres - Atteinte à la concurrence - Obligation de motivation

Dans les affaires jointes T-515/13 et T-719/13,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par Mme N. Díaz Abad, puis par M. M. Sampol Pucurull, abogados del Estado,

partie requérante dans l’affaire T-515/13,

Lico Leasing, SA, établie à Madrid (Espagne),

Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA, établie à Madrid,

représentées par Mes M. Merola et M. A. Sánchez, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T-719/13,

contre

Commission européenne, représentée par M. V. Di Bucci, Mme M. Afonso, M. É. Gippini Fournier et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne - Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite des audiences des 9 et 10 juin 2015,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

I - Procédure administrative

1 La Commission européenne a reçu, à partir de mai 2006, plusieurs plaintes contre ce qui est appelé le « régime espagnol de leasing fiscal » (ci-après le « RELF »). En particulier, deux fédérations nationales de chantiers navals et un chantier naval individuel ont dénoncé que ce régime permettait aux compagnies maritimes d’acquérir des navires construits par des chantiers navals espagnols en bénéficiant de prix réduits de 20 % à 30 % (ci-après le « rabais »), provoquant la perte de contrats de construction navale pour leurs membres. Le 13 juillet 2010, les associations de construction navale de sept pays européens ont signé une pétition contre le RELF. Une compagnie maritime au moins a soutenu ces plaintes.

2 À la suite de nombreuses demandes d’informations envoyées par la Commission aux autorités espagnoles et de deux réunions entre ces parties, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE par la décision C (2011) 4494 final, du 29 juin 2011 (JO C 276, p. 5, ci-après la « décision d’ouverture »).

II - Décision attaquée

3 Le 17 juillet 2013, la Commission a adopté la décision 2014/200/UE concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne - Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1, ci-après la « décision attaquée »). Par cette décision, la Commission a estimé que certaines mesures fiscales composant le RELF « constitu[ai]ent une aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mise illégalement à exécution par le Royaume d’Espagne depuis le 1er janvier 2002 en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (article 1er de la décision attaquée). Ces mesures ont été considérées comme étant partiellement incompatibles avec le marché intérieur (article 2 de la décision attaquée). La récupération a été ordonnée, sous certaines conditions, uniquement auprès des investisseurs ayant bénéficié des avantages en cause, sans que ceux-ci puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes (article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée).

A - Description du RELF

4 Au considérant 8 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le RELF était utilisé pour des transactions consistant dans la construction de navires par les chantiers navals (vendeurs) et leur acquisition par des compagnies maritimes (acquéreurs), ainsi que dans le financement de ces transactions par le biais d’une structure juridique et financière ad hoc.

5 La Commission a précisé que « [l]e RELF se fond[ait] sur une structure juridique et financière ad hoc montée par une banque et agissant en tant qu’intermédiaire entre la compagnie maritime et le chantier naval […], un réseau complexe de contrats conclus entre les différentes parties à l’opération et l’application de plusieurs mesures fiscales espagnoles » (considérant 9 de la décision attaquée).

6 La Commission a fait également observer que « [l]es acquéreurs [étaient] des compagnies maritimes de pays de toute l’Europe et de pays non européens » et que, « [à] une exception près (un contrat de 6 148 969 [euros]), toutes les transactions [avaient] concerné des chantiers navals espagnols » (considérant 10 de la décision attaquée).

  1. Structure juridique et financière du RELF

    7 Il ressort des points 9 et 10 de la décision d’ouverture, auxquels renvoie, en substance, le considérant 14 de la décision attaquée, que le RELF implique, pour chaque commande de construction de navire, plusieurs acteurs, à savoir une compagnie maritime, un chantier naval, une banque, une société de location-vente (leasing), un groupement d’intérêt économique (GIE) constitué par la banque et des investisseurs qui achètent des participations dans ce GIE.

    8 La Commission a expliqué, au considérant 12 de la décision attaquée, ce qui suit :

    La structure du RELF est un montage fiscal, généralement mis au point par une banque pour générer des avantages fiscaux en faveur d’investisseurs regroupés au sein d’un GIE fiscalement transparent et pour transférer une partie de ces avantages fiscaux à la compagnie maritime sous la forme d’un rabais sur le prix du navire, les investisseurs du GIE conservant les autres avantages au titre de retour sur investissement. À côté du GIE, d’autres intermédiaires interviennent dans une opération relevant du RELF, notamment une banque et une société de location-vente (voir le graphique ci-dessous).

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    9 Dans le cadre du RELF, les acteurs mentionnés au point 7 ci-dessus signent plusieurs contrats qui seront expliqués ci-après. Les parties intéressées signent aussi un accord-cadre qui détaille l’ensemble de l’organisation et du fonctionnement du RELF [point 9, sous h), de la décision d’ouverture].

    1. Contrat de construction navale initial

      10 La compagnie maritime qui souhaite acheter un navire en profitant du rabais se met d’accord avec un chantier naval sur le navire à construire et un prix d’achat qui intègre le rabais (ci-après le « prix net »). Le contrat de construction navale initial prévoit le paiement au chantier naval du prix net par des versements réguliers. Le chantier naval demande à une banque d’organiser la structure et les arrangements du RELF [point 9, sous a), de la décision d’ouverture].

    2. Contrat de construction navale repris (novation)

      11 La banque fait intervenir une société de location-vente qui se substitue, par le biais d’un contrat de novation, à la compagnie maritime et conclut avec le chantier naval un nouveau contrat d’achat du navire pour un prix qui n’intègre pas le rabais (ci-après le « prix brut »). Une novation permet de substituer une obligation par une autre ou une partie à un contrat par une autre. Ce nouveau contrat prévoit le paiement au chantier naval d’un versement régulier supplémentaire par rapport aux versements prévus dans le contrat de construction navale initial, qui correspond au rabais (différence entre le prix brut et le prix net) [point 9, sous c), de la décision d’ouverture].

    3. Constitution d’un GIE par la banque et appel à des investisseurs

      12 Il ressort du point 9, sous b), de la décision d’ouverture que la banque « crée un [GIE] et vend des actions à des investisseurs », que « [n]ormalement, ces investisseurs sont d’importants contribuables espagnols qui investissent dans le GIE afin d’obtenir une réduction de leur base d’imposition » et que, « [e]n général, ils n’exercent aucune activité maritime ». La Commission précise, au considérant 28 de la décision attaquée, que, « étant donné que leurs membres considèrent que les GIE qui participent à des opérations au titre du RELF constituent un vecteur d’investissement plutôt qu’une structure permettant d’exercer conjointement une activité, la[dite] décision les qualifie d’investisseurs ».

    4. Contrat de location-vente

      13 La société de location-vente mentionnée au point 11 ci-dessus loue avec option d’achat le navire au GIE pour trois ou quatre ans sur la base du prix brut. Le GIE s’engage au préalable à exercer l’option d’achat du navire à la fin de ce délai. Le contrat prévoit le versement de loyers très élevés à la société de location-vente, ce qui génère des pertes importantes au niveau des GIE. En revanche, le prix de l’exercice de l’option d’achat est assez réduit [point 9, sous d), de la décision d’ouverture]. En pratique, le GIE loue le navire dans le cadre du contrat de location-vente à partir de la date de début de sa construction (point 10 de la décision d’ouverture).

    5. Contrat d’affrètement coque nue avec option d’achat

      14 Il ressort du point 9, sous e), de la décision d’ouverture que le GIE, à son tour, loue le navire « pour un bref délai » à la compagnie maritime dans le cadre d’un contrat d’affrètement coque nue. Un affrètement coque nue constitue un accord pour la location d’un navire qui n’inclut ni l’équipage ni le ravitaillement, l’affréteur en étant responsable. La compagnie maritime s’engage au préalable à acheter le navire au GIE à la fin du délai prévu, sur la base du prix net. Contrairement au contrat de location-vente décrit au point 13 ci-dessus, le prix des loyers prévus dans le...

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