Rhiannon Morgan v Bezirksregierung Köln (C-11/06) and Iris Bucher v Landrat des Kreises Düren (C-12/06).

JurisdictionEuropean Union
Date20 March 2007
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 20 mars 2007 (1)

Affaires jointes C‑11/06 et C‑12/06

Rhiannon Morgan

contre

Bezirksregierung Köln

et

Iris Bucher

contre

Landrat des Kreises Düren

[demandes de décision préjudicielle formées par le Verwaltungsgericht Aachen (Allemagne)]

«Libre circulation des étudiants – Conditions d’octroi d’aides à la formation dans d’autres États membres – Assistance préalable, pendant au moins un an, à des cours dans un établissement national – Résidence permanente dans les localités frontalières»





I – Introduction

1. Selon un juriste hispano-américain, il y a trois sortes de juges: les artisans, véritables automates qui, n’utilisant que les mains, produisent des arrêts en série et en quantité industrielle, sans entrer à considérer ce qui touche à l’humain et à l’ordre social; les acteurs, qui utilisent les mains et le cerveau, en se soumettant aux méthodes d’interprétation traditionnelles, qui les conduisent inévitablement à se contenter de transcrire la volonté du législateur; et les artistes, qui, à l’aide des mains, de la tête et du cœur, ouvrent des horizons meilleurs aux citoyens, sans tourner le dos aux réalités et aux situations concrètes (2).

2. Bien qu’ils soient tous nécessaires pour mener à bien la tâche juridictionnelle, la Cour, assumant le rôle qui lui revient, s’est toujours identifiée à la dernière catégorie, notamment lorsque l’inéluctable évolution des idées ayant conduit à la naissance de la Communauté européenne a ralenti.

3. La libre circulation est l’une de ces idées originaires, devenue postulat fondamental, mais de contenu variable, car elle se projette sur une réalité versatile, qui évolue en fonction des exigences sociales, des progrès dans les transports, de l’accroissement des échanges et d’autant d’autres facteurs qui facilitent la mobilité de l’individu et de sa famille (3).

4. C’est dans ce contexte que se situent les questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgericht Aachen (tribunal administratif d’Aix-la-Chapelle) (Allemagne), qui permettent d’examiner plus en profondeur les conséquences de la libre circulation des étudiants européens et des aides à la formation dans d’autres États, en précisant certains des principaux éléments de cette liberté.

5. En résumé, les litiges concernent deux jeunes Allemandes qui ont vu leur demande d’aides à la formation au Royaume-Uni et aux Pays-Bas rejetée, dans le premier cas au motif que l’enseignement ne fait pas suite à celui reçu, pendant au moins un an, en Allemagne, dans le second, faute de résidence permanente dans une localité frontalière.

6. Étant donné l’importance de ces questions, après avoir tracé les contours juridiques (II) et décrit les faits ainsi que le déroulement de la procédure dans les deux affaires (III et IV), j’attirerai l’attention sur la mobilité des étudiants (V), j’exposerai la jurisprudence sur les deux points fondamentaux des questions posées (VI) et j’examinerai divers aspects significatifs des bourses destinées à la formation, comme leur caractérisation et leurs liens avec les libertés de circulation et de prestation de services (VII). Ces considérations permettront de répondre aux questions posées (VIII). Enfin, il conviendra de dissiper les craintes quant aux conséquences de ma proposition (IX).

II – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire

7. La juridiction de renvoi estime que les dispositions du traité CE sur la citoyenneté européenne et la libre circulation (1) sont pertinentes dans les litiges dont elle a à connaître; le cadre réglementaire est complété par les mentions dudit traité relatives à l’éducation (2) et par les dispositions de droit dérivé concernant les étudiants (3).

1. La citoyenneté européenne et la libre circulation

8. L’article 17, paragraphe 1, CE crée une «citoyenneté de l’Union», plaçant l’individu au centre de ses activités (4); «[e]st citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre»; il incombe donc aux législations de ces États de déterminer cet attribut (5).

9. Aux termes de l’article 17, paragraphe 2, CE, les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le traité. La possession d’une telle qualité donne notamment, selon l’article 18 CE, le «droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres», sous réserve des limitations et des conditions prévues par le traité et par les réglementations pertinentes.

10. La citoyenneté de l’Union offre également des pouvoirs électoraux (article 19 CE), de protection à l’étranger (article 20 CE), ainsi que de réclamation et de pétition (article 21 CE).

11. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (6) utilise la notion de l’article 17 CE à certaines occasions (7) et, à l’article 45, paragraphe 1, proclame le «droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres».

2. Les compétences communautaires en matière d’éducation

12. L’action de la Communauté pour atteindre les objectifs qu’elle s’est assignés implique, selon l’article 3, paragraphe 1, sous q), CE, «une contribution à une éducation et à une formation de qualité ainsi qu’à l’épanouissement des cultures des États membres».

13. Au titre XI de la troisième partie du traité, le chapitre 3 est consacré à l’«éducation, à la formation professionnelle et à la jeunesse»; il contient les articles 149 CE et 150 CE, introduits en 1992 par le traité sur l’Union européenne.

14. L’article 149 CE stipule que:

«1. La Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique.

2. L’action de la Communauté vise:

– à développer la dimension européenne dans l’éducation, notamment par l’apprentissage et la diffusion des langues des États membres,

– à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants, y compris en encourageant la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’études,

– à promouvoir la coopération entre les établissements d’enseignement,

– à développer l’échange d’informations et d’expériences sur les questions communes aux systèmes d’éducation des États membres,

– à favoriser le développement des échanges de jeunes et d’animateurs socio-éducatifs,

– à encourager le développement de l’éducation à distance.

[…]

4. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article, le Conseil adopte:

– statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres,

– statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, des recommandations.»

15. L’article 150 CE s’exprime dans des termes analogues relativement à la formation professionnelle.

3. Le droit dérivé

16. Compte tenu de l’existence de groupes réunissant des qualités différentes, il n’est pas étonnant que la Commission leur accorde une attention particulière, comme l’a fait la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (8).

17. L’instauration de la citoyenneté européenne a révélé la nécessité d’adapter la réglementation des libertés de circulation et de séjour, ce qui a été fait par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement dans les États membres (9), qui a abrogé la directive 93/96.

18. La directive 2004/38 régit l’entrée et la sortie du territoire des États membres (articles 4 et 5), ainsi que le séjour, pour lequel elle fixe des conditions, variables selon la durée de ce dernier: a) pour un séjour allant jusqu’à trois mois, une carte d’identité ou un passeport en cours de validité est nécessaire (article 6); b) pour un séjour d’une durée de trois mois à cinq ans, les personnes inscrites dans un établissement public ou privé doivent disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques dans le pays d’accueil et de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale dudit pays [article 7, paragraphe 1, sous c)]; c) un séjour légal de plus de cinq ans ouvre un droit qui n’est soumis à aucune condition (article 16).

B – La législation allemande

19. Les aides à la formation sont régies par la loi fédérale sur l’aide individuelle à la formation (Bundesgesetz über individuelle Förderung der Ausbildung, ci-après le «BAföG») (10). Son article 4 délimite le champ d’application territorial, n’accordant ces aides qu’aux fins de la formation dans le pays, sauf quelques exceptions, visées aux articles 5 et 6.

20. L’article 5, paragraphe 1, porte sur la formation transfrontalière:

«Les étudiants visés à l’article 8, paragraphe 1, bénéficient de l’aide à la formation à condition de fréquenter tous les jours, à partir de leur domicile permanent sur le territoire allemand, un établissement de formation situé à l’étranger. Le domicile permanent au sens de la présente loi est établi au lieu où se trouve, de façon non seulement temporaire, le centre des relations de l’intéressé […]; une personne qui séjourne en un lieu uniquement à des fins de formation n’y a pas établi son domicile permanent.»

21. L’article 5, paragraphe 2, concerne la formation hors du pays:

«Les étudiants dont le domicile permanent se trouve sur le territoire allemand et qui suivent des études dans un établissement de formation situé à l’étranger bénéficient de l’aide à la formation si

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