Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio v Compañía Española de Petróleos SA.

JurisdictionEuropean Union
Date14 December 2006
CourtCourt of Justice (European Union)

Affaire C-217/05

Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio

contre

Compañía Española de Petróleos SA

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo)

«Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Article 85 du traité CEE (devenu article 85 du traité CE, lui-même devenu article 81 CE) — Articles 10 à 13 du règlement (CEE) nº 1984/83 — Contrats d'achat exclusif de carburants dénommés 'contrats de commission de vente en garantie' et 'contrats d'agence' entre des exploitants de stations-service et des entreprises pétrolières»

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 13 juillet 2006

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 14 décembre 2006

Sommaire de l'arrêt

1. Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites

(Art. 234 CE)

2. Questions préjudicielles — Recevabilité

(Art. 234 CE)

3. Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Notion

(Traité CE, art. 85 et 85, § 1 (devenus art. 81 CE et 81, § 1, CE))

4. Concurrence — Ententes — Interdiction — Exemption par catégories — Accords d'achat exclusif — Règlement nº 1984/83

(Traité CE, art. 85, § 3 (devenu art. 81, § 3, CE); règlement de la Commission nº 1984/83, art. 10 à 13)

1. Il ne ressort ni des termes de l'article 234 CE ni de l'objet de la procédure instituée par cet article que les auteurs du traité aient entendu exclure de la compétence de la Cour les renvois préjudiciels portant sur une disposition communautaire dans le cas particulier où le droit national d'un État membre renvoie au contenu de cette disposition pour déterminer les règles applicables à une situation purement interne à cet État.

Partant, lorsqu'une législation nationale se conforme, pour les solutions qu'elle adopte en ce qui concerne des situations purement internes, à celles retenues en droit communautaire afin d'éviter d'éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour écarter les risques de divergences d'interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s'appliquer.

C'est ainsi que, même si la disposition nationale en cause dans le litige au principal se limite à faire expressément référence à un acte de droit communautaire pour déterminer les règles applicables à des situations internes, dès lors que, par le biais d'un tel renvoi, le législateur national a décidé d'appliquer un traitement identique aux situations internes et aux situations communautaires, la Cour est compétente pour interpréter l'acte auquel il est ainsi renvoyé.

(cf. points 19-20, 22)

2. Une question préjudicielle posée par une juridiction nationale est irrecevable lorsque la Cour ne dispose pas d'éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

Afin de s'assurer que les éléments fournis par la juridiction de renvoi répondent à ces exigences, il y a lieu de prendre en considération la nature et la portée de la question posée. Dans la mesure où l'exigence de précision quant au contexte factuel vaut particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes, il convient d'examiner, tout spécialement en pareille hypothèse, si la décision de renvoi fournit, à cet égard, des indications suffisantes pour permettre à la Cour de donner une réponse utile à ladite question.

À cet égard, si la décision de renvoi ne contient pas certaines indications pertinentes pour la réponse à la question posée, mais, malgré ces lacunes, permet de déterminer la portée de ladite question, la Cour dispose de suffisamment d'éléments de fait pour interpréter les règles communautaires concernées et apporter une réponse utile à cette question.

(cf. points 28-31)

3. Aux fins de l'application des règles de concurrence, et, en particulier, de l'article 85 du traité CEE (devenu article 85 du traité CE, lui-même devenu article 81 CE), la séparation formelle entre deux contractants résultant de leur personnalité juridique distincte n'est pas déterminante, le critère décisif étant l'existence ou non d'une unité de comportement sur le marché.

Si, dans certaines circonstances, les relations entre un commettant et son intermédiaire peuvent être caractérisées par une telle unité économique, les intermédiaires ne sont, toutefois, susceptibles de perdre leur qualité d'opérateur économique indépendant que lorsqu'ils ne supportent aucun des risques résultant des contrats négociés ou conclus pour le compte du commettant et opèrent comme auxiliaires intégrés à l'entreprise de celui-ci.

Dès lors, lorsqu'un intermédiaire, tel l'exploitant d'une station-service, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché puisqu'il dépend entièrement de son commettant, tel un fournisseur de carburants, du fait que ce dernier encourt les risques financiers et commerciaux en ce qui concerne l'activité économique concernée, l'interdiction édictée par l'article 85, paragraphe 1, du traité est inapplicable aux rapports entre cet intermédiaire et ce commettant.

À l'inverse, lorsque les conventions passées entre le commettant et ses intermédiaires confèrent ou laissent à ces derniers des fonctions se rapprochant économiquement de celles d'un opérateur économique indépendant du fait qu'elles prévoient la prise en charge, par ces intermédiaires, des risques financiers et commerciaux liés à la vente ou à l'exécution des contrats conclus avec des tiers, lesdits intermédiaires ne peuvent être considérés comme organes auxiliaires intégrés dans l'entreprise du commettant, de sorte qu'une clause restrictive de concurrence convenue entre ces parties peut constituer un accord entre entreprises au sens de l'article 85 du traité.

Il en découle que l'élément déterminant pour établir si un exploitant de station-service est un opérateur économique indépendant réside dans la convention conclue avec le commettant et, en particulier, dans les clauses, tacites ou expresses, de cette convention relatives à la prise en charge des risques financiers et commerciaux liés à la vente des marchandises à des tiers. Cette question du risque doit être analysée au cas par cas et en tenant compte de la réalité économique plutôt que de la qualification juridique de la relation contractuelle en droit interne.

À cet effet, il faut recourir à des critères tels que la propriété des marchandises, la contribution aux coûts liés à leur distribution, leur entretien, la responsabilité des dommages éventuels aux marchandises ou causés par celles-ci à des tiers et la réalisation des investissements spécifiques à la vente desdites marchandises.

Toutefois, n'est pas de nature à rendre l'article 85 du traité applicable le fait que l'intermédiaire supporte une partie en réalité négligeable des risques.

Dans un tel cas, seules les obligations imposées à l'intermédiaire dans le cadre de la vente de marchandises aux tiers pour le compte du commettant ne relèvent pas de cet article. En effet, un contrat d'agence peut contenir des dispositions concernant les relations entre l'agent et le commettant auxquelles s'applique ledit article, telles les clauses d'exclusivité et de non-concurrence. À cet égard, dans le cadre de telles relations, les agents sont, en principe, des opérateurs économiques indépendants et lesdites clauses sont de nature à enfreindre les règles de la concurrence dans la mesure où elles entraînent le verrouillage du marché concerné.

C'est ainsi que l'article 85 du traité s'applique à une convention de distribution exclusive de carburants et de combustibles conclue entre un fournisseur et un exploitant de station-service, lorsque cet exploitant assume, dans une proportion non négligeable, un ou plusieurs risques financiers et commerciaux liés à la vente aux tiers.

(cf. points 41-46, 60-62, 65, disp. 1)

4. L'article 11 du règlement nº 1984/83, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité [devenu article 81, paragraphe 1, CE] à des catégories d'accords d'achat exclusif, énumère les obligations qui, outre la clause d'exclusivité, peuvent être imposées au revendeur, parmi lesquelles ne figure pas l'imposition du prix de vente au public. Par conséquent, la fixation d'un tel prix constitue une restriction de concurrence qui ne serait pas couverte par l'exemption de l'article 10 dudit règlement.

Les articles 10 à 13 du règlement nº 1984/83 doivent donc être interprétés en ce sens qu'une convention de distribution exclusive de carburants et de combustibles conclue entre un fournisseur et un exploitant de station-service n'est pas couverte par ce règlement dans la mesure où elle prévoit l'obligation, pour ledit exploitant, de respecter le prix de vente final au public fixé par le fournisseur.

(cf. points 64, 66, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 décembre 2006(*)

«Concurrence – Ententes – Accords entre entreprises – Article 85 du traité CEE (devenu article 85 du traité CE, lui-même devenu article 81 CE) – Articles 10 à 13 du règlement (CEE) n° 1984/83 – Contrats d’achat exclusif de carburants dénommés ‘contrats de commission de vente en garantie’ et ‘contrats d’agence’ entre des exploitants de stations-service et des entreprises pétrolières»

Dans l’affaire C-217/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 3 mars 2005, parvenue à la Cour le 17 mai 2005, dans la procédure

Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio

contre

Compañía Española de Petróleos SA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, U. Lõhmus (rapporteur) et A. Ó Caoimh, juges,

avocat...

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