Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date10 January 2019
62017CC0607

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 10 janvier 2019 ( 1 )

Affaire C‑607/17

Skatteverket

contre

Memira Holding AB

[demande de décision préjudicielle formée par le Högsta förvaltningsdomstolen (Cour suprême administrative, Suède)]

« Renvoi préjudiciel – Législation fiscale nationale – Liberté d’établissement – Déduction des pertes subies par une filiale étrangère dans l’État de résidence de la société mère dans le cadre d’une fusion – Justification de la non-déductibilité des “pertes définitives” – Proportionnalité d’une absence de compensation transfrontalière des pertes – Notion de “pertes définitives” »

I. Introduction

1.

La présente affaire ( 2 ) concerne la question de savoir si, en vertu de l’article 49 TFUE, lu conjointement avec l’article 54 TFUE, une société mère suédoise est en droit de déduire de ses bénéfices les pertes d’une filiale ayant son siège en Allemagne dont elle détient 100 % du capital, lorsque cette dernière est liquidée au moyen d’une fusion avec elle et n’a pas pu « utiliser » entièrement en Allemagne les pertes subies dans cet État.

2.

En principe les libertés fondamentales n’imposent pas de permettre une utilisation transfrontalière des pertes à l’intérieur d’un groupe. Ainsi, les pertes subies à l’étranger seraient perdues. Selon l’arrêt de la grande chambre de la Cour, Marks & Spencer ( 3 ), rendu en 2005, il y aurait lieu de prévoir une utilisation transfrontalière des pertes seulement concernant les pertes définitives, conformément au principe de proportionnalité.

3.

Cette catégorie des « pertes définitives », créée par la Cour, pose de nombreux problèmes qui ont déjà donné lieu à plusieurs arrêts ( 4 ) (dont deux de la grande chambre). Toutefois, tous ces arrêts ne sont pas parvenus à apporter des éclaircissements définitifs quant aux conditions auxquelles est subordonné le caractère définitif des pertes. Si elle veut maintenir l’exception concernant les pertes définitives ( 5 ), la Cour aura sans doute souvent l’occasion de préciser les contours de cette catégorie.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4.

En droit de l’Union, le cadre juridique de l’affaire est constitué par la liberté d’établissement des sociétés conformément à l’article 49 TFUE, lu conjointement avec l’article 54 TFUE, ainsi que la directive 2009/133/CE ( 6 ) (ci‑après la « directive sur les fusions »).

5.

La directive sur les fusions ne comporte de dispositions relatives aux pertes de la société apporteuse qu’à son article 6 :

« Dans la mesure où les États membres appliquent, lorsque les opérations visées à l’article 1er, point a), interviennent entre sociétés de l’État membre de la société apporteuse, des dispositions permettant la reprise, par la société bénéficiaire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal, ils étendent le bénéfice de ces dispositions à la reprise, par les établissements stables de la société bénéficiaire situés sur leur territoire, des pertes de la société apporteuse non encore amorties du point de vue fiscal. »

B. Le droit suédois

6.

La directive sur les fusions a été transposée en droit suédois au chapitre 37 de l’Inkomstskattelag (1999:1229) ( 7 ).

7.

À l’article 3 du chapitre 37 de la loi (1999:1229), une fusion est définie comme une transformation. D’une part, l’ensemble des actifs, des dettes et des autres obligations d’une entreprise (entreprise apporteuse) sont repris par une autre entreprise (entreprise bénéficiaire). D’autre part, l’entreprise apporteuse doit être dissoute sans liquidation. Pour que les règles fiscales spécifiques aux fusions qui sont énoncées aux articles 16 à 29 soient applicables, il faut encore qu’il s’agisse d’une fusion dite qualifiée.

8.

Pour qu’une fusion soit considérée comme qualifiée, l’article 11 du chapitre 37 de la loi (1999:1229) exige que l’entreprise apporteuse soit, immédiatement avant la fusion, imposable sur le revenu en Suède au titre d’une partie au moins de son activité économique. En outre, l’article 12 de ce chapitre requiert que l’entreprise bénéficiaire soit, immédiatement après la fusion, imposable en Suède sur le revenu au titre de l’activité économique pour laquelle l’entreprise apporteuse était assujettie à l’impôt. Le revenu en question ne doit pas non plus être exonéré, en tout ou en partie, en Suède en raison d’une convention fiscale.

9.

Conformément à l’article 17, premier alinéa, du chapitre 37 de la loi (1999:1229), en cas de fusion qualifiée, concernant l’activité économique visée à l’article 11, la société apporteuse ne peut ni déclarer de revenu ni déduire de dépenses liés à la fusion. En revanche, l’article 18, premier alinéa, de ce chapitre prévoit, concernant cette activité économique, que, du point de vue fiscal, l’entreprise bénéficiaire se substitue à l’entreprise apporteuse. Cette substitution implique notamment que la société bénéficiaire peut déduire les déficits de la société apporteuse des exercices fiscaux antérieurs, dans certaines limites précisées aux articles 21 à 26 du chapitre 37 de la loi (1999:1229).

10.

En droit suédois, afin de compenser les revenus à l’intérieur d’un groupe d’entreprises transfrontalier en transférant des bénéfices, l’on a généralement recours au dégrèvement de groupe. Le dégrèvement de groupe est régi par les dispositions du chapitre 35 a de la loi (1999:1229). Conformément aux articles 2 et 5 dudit chapitre, une entreprise mère suédoise peut procéder à un dégrèvement de groupe au titre d’une perte définitive subie par une filiale étrangère détenue à 100 % qui a son siège dans un État membre de l’Espace économique européen, à condition, notamment, que la filiale ait été mise en liquidation et que cette dernière ait été clôturée. Toutefois, selon la juridiction de renvoi, ces dispositions ne s’appliquent pas aux fusions.

III. Le litige au principal

11.

L’affaire concerne un avis préalable du Skatterättsnämnden (commission du droit fiscal, Suède). L’avis préalable est fondé sur les faits suivants :

12.

Memira Holding AB (ci-après « Memira ») est la société mère d’un groupe ayant des filiales dans plusieurs pays, dont l’Allemagne. La filiale allemande a enregistré des résultats négatifs. Entretemps, l’activité de cette filiale a été liquidée. Il n’en resterait plus que des dettes et certains actifs liquides. Le groupe envisage maintenant de permettre à la filiale d’être absorbée par la société mère dans le cadre d’une fusion transfrontalière. La fusion implique que la filiale soit dissoute sans liquidation. Après la fusion, le groupe ne disposera plus d’aucune société en Allemagne. En outre, il n’y exercera plus d’activité, ni par l’intermédiaire de la société mère ni par l’intermédiaire d’une autre société du groupe.

13.

La filiale allemande a accumulé au cours d’exercices antérieurs des pertes d’un montant total d’environ 7,6 millions d’euros. Ces pertes sont dues au manque de rentabilité des activités en Allemagne. Elles pourraient être déduites dans le cadre de l’imposition de la filiale en Allemagne et celles qui ne sont pas utilisées pourraient être reportées indéfiniment et, le cas échéant, imputées sur des bénéfices générés par la filiale au titre d’exercices ultérieurs. En revanche, le droit allemand ne permettait pas de transférer des pertes au moyen d’une fusion à une autre entreprise assujettie à l’impôt en Allemagne.

14.

Selon la commission du droit fiscal, en cas de fusion avec la filiale allemande, les conditions applicables à la société conformément au droit de l’Union pour bénéficier de la déduction des déficits ne seraient pas remplies. Selon la Cour, pour déterminer si des pertes sont définitives, il conviendrait de se fonder sur le traitement applicable à celles-ci conformément au droit de l’État de résidence de la filiale. Comme le droit allemand ne prévoirait aucune possibilité d’utiliser les pertes en cas de fusion avec une autre entreprise assujettie à l’impôt en Allemagne, ces pertes ne devraient pas être considérées comme définitives au sens de la jurisprudence de la Cour. Partant, il n’y aurait à cet égard aucune violation du droit de l’Union.

15.

Le Skatteverket (administration fiscale suédoise) et Memira, qui avait demandé l’avis préalable, ont tous deux introduit un recours devant le Högsta förvaltningsdomstol (Cour suprême administrative, Suède).

IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

16.

Saisi du litige, le Högsta förvaltningsdomstol (Cour suprême administrative) a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Aux fins d’apprécier si une perte subie par une filiale établie dans un autre État membre présente un caractère définitif au sens, notamment, de la jurisprudence A – si bien que la société mère pourrait déduire la perte en vertu de l’article 49 TFUE ‑, convient-il de tenir compte des restrictions, prévues par la réglementation de l’État de la filiale, à la possibilité pour une entité autre que celle ayant subi elle-même la perte de déduire cette dernière ?

2)

S’il convient de tenir compte d’une restriction telle que celles qui sont visées dans la première question, faut-il prendre en considération le point de savoir si, dans le cas d’espèce, il existe effectivement, dans l’État de la filiale, une quelconque autre entité qui aurait pu déduire les pertes si une telle déduction y avait été autorisée ? »

17.

Dans le cadre de la procédure devant la Cour, Memira, les gouvernements suédois, allemand, italien, finlandais et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission européenne...

To continue reading

Request your trial
7 practice notes
  • Opinion of Advocate General Collins delivered on 10 March 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 March 2022
    ...de 2005 (C‑446/03, EU:C:2005:763). 57 Conclusiones de la Abogada General Kokott presentadas en los asuntos Memira Holding (C‑607/17, EU:C:2019:8), puntos 58 y 59; Holmen (C‑608/17, EU:C:2019:9), puntos 54 y 55, y AURES Holdings (C‑405/18, EU:C:2019:879), puntos 61 a 58 Sentencia de 21 de fe......
  • Conclusiones de la Abogada General Sra. J. Kokott, presentadas el 9 de noviembre de 2023.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 November 2023
    ...conclusioni nella causa Nordea Bank Danmark (C‑48/13, EU:C:2014:153, paragrafi da 21 a 28) e, sulla base di quest’ultima, Memira Holding (C‑607/17, EU:C:2019:8, paragrafo 46), nonché Holmen (C‑608/17, EU:C:2019:9, paragrafo 38) e AURES Holdings (C‑405/18, EU:C:2019:879, paragrafo 21 Vero è ......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 January 2019
    ...qu’il importe de savoir si les possibilités de déduire ces pertes sont limitées. » ( 1 ) Langue originale : l’allemand. ( 2 ) Affaire C‑607/17, voir à cet égard également nos conclusions du même ( 3 ) Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763). ( 4 ) Sans prétendre......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 17 October 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 October 2019
    ...proposed this to the Court inter alia in my Opinions in Nordea Bank (C‑48/13, EU:C:2014:153, points 21 to 28) and, building on that, Memira (C‑607/17, EU:C:2019:8, point 46) and Holmen (C‑608/17, EU:C:2019:9, point 15 See, for further detail, Kokott, J., Das Steuerrecht der europäischen Uni......
  • Request a trial to view additional results
7 cases
  • Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 13 de junio de 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 13 June 2019
    ...(C‑385/12, EU:C:2013:531, point 40), dans l’affaire ANGED (C‑233/16, EU:C:2017:852, point 38), et dans l’affaire Memira Holding (C‑607/17, EU:C:2019:8, point 35 Voir les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2013:531, point 41). 36......
  • Opinion of Advocate General Collins delivered on 10 March 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 March 2022
    ...de 2005 (C‑446/03, EU:C:2005:763). 57 Conclusiones de la Abogada General Kokott presentadas en los asuntos Memira Holding (C‑607/17, EU:C:2019:8), puntos 58 y 59; Holmen (C‑608/17, EU:C:2019:9), puntos 54 y 55, y AURES Holdings (C‑405/18, EU:C:2019:879), puntos 61 a 58 Sentencia de 21 de fe......
  • Google Ireland
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 12 September 2019
    ...Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft. (C‑385/12, EU:C:2013:531, point 40); ANGED (C‑233/16, EU:C:2017:852, point 38); and Memira Holding (C‑607/17, EU:C:2019:8, point 28 See my Opinion in Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft. (C‑385/12, EU:C:2013:531, point 41). 29 See judgments of 2 Ma......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 January 2019
    ...qu’il importe de savoir si les possibilités de déduire ces pertes sont limitées. » ( 1 ) Langue originale : l’allemand. ( 2 ) Affaire C‑607/17, voir à cet égard également nos conclusions du même ( 3 ) Arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, EU:C:2005:763). ( 4 ) Sans prétendre......
  • Request a trial to view additional results

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT