Opinion of Advocate General Bobek delivered on 25 July 2018.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date25 July 2018
62017CC0193

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 25 juillet 2018 ( 1 )

Affaire C‑193/17

Cresco Investigation GmbH

contre

Markus Achatzi

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Législation nationale conférant certains droits à un groupe limité de travailleurs – Comparabilité – Discrimination directe fondée sur la religion – Justification – Action positive et mesures spécifiques – Application horizontale de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Effet direct horizontal de la charte des droits fondamentaux – Obligations des employeurs et des juges nationaux en cas d’incompatibilité du droit national avec l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux et l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78/CE »

I. Introduction

1.

En droit autrichien, le Vendredi saint est un jour férié (payé) uniquement pour les membres de quatre Églises. Si les membres de ces Églises travaillent néanmoins durant cette journée, ils ont en fait droit au double de leur rémunération. M. Markus Achatzi (ci-après le « requérant ») est un salarié de Cresco Investigation GmbH (ci-après la « défenderesse »). Le requérant n’est membre d’aucune de ces quatre Églises. Par conséquent, il n’a bénéficié ni d’un congé payé ni d’une rémunération double pour avoir travaillé le Vendredi saint en 2015.

2.

Le requérant a agi contre la défenderesse en paiement du supplément de salaire auquel il estime avoir droit pour avoir travaillé le Vendredi saint, en soutenant que la législation nationale se traduit par une discrimination fondée sur la religion et les convictions en ce qui concerne les conditions de travail et la rémunération. C’est dans ce contexte que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) demande à la Cour, en substance, si, à la lumière du droit de l’Union, une législation nationale telle que celle qui est en cause au principal est discriminatoire et, dans l’affirmative, quelle serait la conséquence d’une telle constatation au cours de la période précédant l’adoption, par le législateur national, d’un nouveau régime juridique non discriminatoire : tous les travailleurs devraient-ils bénéficier des droits en matière de congés attachés au Vendredi saint et de la rémunération supplémentaire (payée par l’employeur) ou bien aucun d’entre eux ne devrait-il en bénéficier ?

3.

Dans ses questions, la juridiction de renvoi invoque « les dispositions combinées de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux [de l’Union européenne, ci-après « la Charte »] et de [...] la directive 2000/78/CE ( 2 ) ». Un certain parallélisme, du point de vue du contenu de facto et de l’application, entre une disposition de la Charte et l’instrument de droit dérivé qui constitue l’expression de cette disposition de la Charte n’est assurément pas nouveau dans la jurisprudence de la Cour. Dans le cadre de l’examen de la question de la compatibilité abstraite d’une disposition de droit national avec la Charte et une directive de l’Union ( 3 ), le point de savoir ce qui est exactement appliqué au cas d’espèce revêt certes une importance secondaire. Toutefois, en l’espèce, la Cour est invitée à préciser les conséquences d’une telle incompatibilité pour un type spécifique (horizontal) de rapports juridiques, ce qui suppose qu’elle indique spécifiquement avec quoi une telle législation nationale serait précisément incompatible dans le cadre d’un tel type de rapports.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La Charte

4.

L’article 21, paragraphe 1, de la Charte dispose : « Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

5.

L’article 52, paragraphe 1, de la Charte énonce : « Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

2. La directive 2000/78

6.

Les articles 1er, 2 et 7 de la directive 2000/78 sont libellés comme suit :

« Article premier

Objet

La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

Article 2

Concept de discrimination

1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

[…]

5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui.

[…]

Article 7

Action positive et mesures spécifiques

1. Pour assurer la pleine égalité dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à l’un des motifs visés à l’article 1er.

[…] »

B. Le droit autrichien

7.

L’article 7, paragraphe 2, du Bundesgesetz über die wöchentliche Ruhezeit und die Arbeitsruhe an Feiertagen (Arbeitsruhegesetz) (loi sur le repos et les jours fériés), du 3 février 1983 (BGBl. 144/1983), dans sa rédaction modifiée, énumère 13 jours fériés nationaux applicables à tous les travailleurs. L’article 7, paragraphe 3, prévoit que le Vendredi saint est également un jour férié pour les membres des Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Église vieille‑catholique et de l’Église évangélique méthodiste.

8.

L’article 9 de la loi sur le repos et les jours fériés prévoit, en substance, qu’un travailleur qui ne travaille pas un jour férié a néanmoins droit à l’intégralité de son salaire pour ce jour-là (article 9, paragraphe 1) et, s’il travaille, il sera payé le double (article 9, paragraphe 5).

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure et les questions préjudicielles

9.

Quiconque travaille l’un des 13 jours fériés payés en Autriche perçoit, en sus de son salaire normal, une indemnité de congés payés du même montant (ci‑après l’« indemnité »), ce qui a pour conséquence pratique qu’il touche le double de sa rémunération s’il travaille l’un de ces jours. Toutefois, étant donné que le Vendredi saint est uniquement un jour férié payé pour les membres de quatre Églises, seuls ces membres ont droit à un jour férié payé le Vendredi saint ou à la perception d’une indemnité s’ajoutant à leur salaire normal s’ils travaillent ce jour-là.

10.

Le requérant est un salarié de la défenderesse. Il n’est membre d’aucune des quatre Églises. Par conséquent, il n’a pas bénéficié d’un jour férié payé ou d’une indemnité versée par la défenderesse pour avoir travaillé le Vendredi saint 3 avril 2015.

11.

Par son recours, le requérant agit en paiement de la somme de 109,09 euros, majorée des intérêts. La disposition législative qui prévoit que le Vendredi saint est uniquement un jour férié pour les membres des quatre Églises, combinée à l’indemnité perçue s’ils travaillent effectivement ce jour-là, se traduit, selon lui, par une discrimination fondée sur la religion et les convictions en ce qui concerne les conditions de travail ou la rémunération.

12.

La défenderesse conteste cette affirmation et conclut au rejet du recours avec condamnation de la partie adverse aux dépens. Elle soutient qu’il n’y a pas de discrimination.

13.

La juridiction de première instance a rejeté le recours, en considérant que la législation relative au Vendredi saint équivalait à une différence de traitement objectivement justifiée entre des situations différentes.

14.

La juridiction d’appel a fait droit à l’appel interjeté par le requérant et a réformé le jugement de première instance en accueillant les chefs de la demande. Elle a considéré que les règles nationales qui prévoient la différence de traitement en ce qui concerne le Vendredi saint étaient contraires à l’article 21 de la Charte, qui était directement applicable. Elle a jugé que les travailleurs concernés faisaient l’objet d’une discrimination directe fondée sur la...

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