Opinion of Advocate General Saugmandsgaard Øe delivered on 24 January 2019.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date24 January 2019
62017CC0603

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 24 janvier 2019 ( 1 )

Affaire C‑603/17

Peter Bosworth,

Colin Hurley

contre

Arcadia Petroleum Limited and others

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni)]

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Titre II, section 5 – Compétence en matière de contrats individuels de travail – Demandes en réparation présentées par plusieurs sociétés d’un même groupe à l’encontre d’anciens dirigeants – Notions de “contrat individuel de travail” et d’“employeur” – Demandes reposant sur des fondements juridiques considérés comme étant de nature délictuelle en droit matériel – Conditions dans lesquelles de telles demandes sont “en matière” contractuelle et/ou de contrats individuels de travail, aux fins de la convention de Lugano II »

I. Introduction

1.

Par sa demande de décision préjudicielle, la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) a déféré à la Cour quatre questions relatives à l’interprétation de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007 ( 2 ) (ci-après la « convention de Lugano II »).

2.

Ces questions ont été posées dans le cadre d’un litige opposant l’actionnaire unique et plusieurs sociétés d’un groupe multinational à ses anciens dirigeants sociaux au sujet de demandes en réparation du préjudice causé par une fraude, prétendument commise aux dépens de ces sociétés et dont ils auraient été les principaux architectes et bénéficiaires.

3.

Au stade actuel du litige au principal, la juridiction de renvoi doit déterminer si les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles ont compétence pour statuer sur ces demandes, ou bien si ce sont les tribunaux suisses, en tant que juridictions du domicile des anciens dirigeants mis en cause, qui doivent être saisis de tout ou partie de celles-ci. La réponse dépend du point de savoir si lesdites demandes sont ou non « en matière de contrats individuels de travail », au sens des dispositions du titre II, section 5, de la convention de Lugano II (ci-après la « section 5 »).

4.

Dans ce contexte, les questions de cette juridiction soulèvent des points de droit complexes, concernant l’interprétation des notions clés de ladite section 5, à savoir celles de « contrat individuel de travail », de « travailleur » et d’« employeur ». Elles soulèvent également le point de savoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, une demande, présentée entre parties à un tel « contrat » et s’appuyant sur un fondement juridique de nature délictuelle en droit matériel, relève de cette même section.

5.

Dans les présentes conclusions, j’exposerai les raisons pour lesquelles des dirigeants sociaux, exerçant leurs fonctions en toute autonomie, ne sont pas liés à la société pour laquelle ils les exercent par un « contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5. À titre subsidiaire, j’expliquerai, d’une part, pourquoi une demande, présentée entre parties audit « contrat » et reposant sur un fondement juridique délictuel, relève de cette section dès lors que le litige est né à l’occasion de la relation de travail et, d’autre part, pourquoi l’« employeur », au sens des dispositions de ladite section, ne se limite pas nécessairement à la personne avec laquelle le travailleur a formellement conclu un contrat de travail.

II. La convention de Lugano II

6.

La section 5, qui s’intitule « Compétence en matière de contrats individuels de travail », contient notamment les articles 18 et 20 de la convention de Lugano II.

7.

L’article 18, paragraphe 1, de cette convention dispose que « [e]n matière de contrat individuel de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 ».

8.

L’article 20, paragraphe 1, de ladite convention prévoit que « [l]’action de l’employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel le travailleur a son domicile ».

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

9.

Le groupe Arcadia se compose notamment des sociétés Arcadia London, Arcadia Switzerland et Arcadia Singapore. Ce groupe est détenu à 100 % par la société Farahead Holdings Ltd (ci-après « Farahead »). À l’époque des faits en cause au principal, M. Peter Bosworth et M. Colin Hurley (ci-après ensemble les « défendeurs au principal »), aujourd’hui domiciliés en Suisse, étaient, respectivement, chief executive officer (CEO) et chief financial officer (CFO) dudit groupe. Ils étaient, par ailleurs, les dirigeants des trois sociétés Arcadia en question. Chacun d’eux bénéficiait en outre d’un contrat de travail avec l’une de ces sociétés, rédigé par eux-mêmes ou sous leur responsabilité.

10.

Le 12 février 2015, les trois sociétés Arcadia susvisées et Farahead (ci-après ensemble « Arcadia ») ont saisi la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale), Royaume-Uni] de demandes visant plusieurs personnes, dont les défendeurs au principal. Ces demandes visent à obtenir réparation du préjudice que le groupe aurait subi du fait d’une série d’opérations frauduleuses impliquant les sociétés Arcadia et réalisées entre le mois d’avril 2007 et le mois de mai 2013.

11.

Selon Arcadia, les défendeurs au principal sont les principaux architectes et bénéficiaires de cette fraude. En leur qualité de CEO et de CFO du groupe, ils se seraient associés avec les autres personnes mises en cause pour détourner l’essentiel des profits résultant des opérations litigieuses et auraient dissimulé ces opérations à Farahead. Pour leur part, les intéressés contestent fermement ces accusations.

12.

Dans sa requête initiale, Arcadia avait allégué que les fautes prétendument commises par les défendeurs au principal constituaient (1) le délit (tort) de collusion par usage de moyens illicites (unlawful means conspiracy), (2) le délit de violation des obligations fiduciaires de loyauté et de bonne foi (breach of fiduciary duty) et (3) une violation des obligations contractuelles expresses ou implicites (breach of express and/or implied contractual duties) découlant de leurs contrats de travail.

13.

Par un déclinatoire de compétence en date du 9 mars 2015, les intéressés ont avancé que, conformément à la convention de Lugano II, les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles ne sont pas compétentes pour connaître des demandes d’Arcadia les concernant. En effet, ces demandes seraient « en matière de contrat individuel de travail » et relèveraient partant de la section 5. En conséquence, seules les juridictions de l’État de leur domicile, soit les tribunaux suisses, seraient compétentes à cet égard.

14.

Consécutivement, les requérantes au principal ont modifié leur requête. Elles ont renoncé à se prévaloir de la violation des obligations découlant des contrats de travail des défendeurs au principal et ont supprimé toute référence à la violation de ces obligations en tant que moyen illicite utilisé dans le cadre du délit de collusion.

15.

Par un arrêt du 1er avril 2015, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Commercial Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre commerciale)] a jugé que les juridictions d’Angleterre et du pays de Galles sont compétentes pour connaître des demandes d’Arcadia dans la mesure où elles sont fondées sur le délit de collusion par usage de moyens illicites (unlawful means conspiracy). Par ailleurs, elle a jugé que ces juridictions sont également compétentes pour examiner ces demandes dans la mesure où elles sont fondées sur le délit de violation des obligations fiduciaires de loyauté et de bonne foi (breach of fiduciary duty), à ceci près qu’elles n’ont pas compétence pour examiner les demandes présentées sur ce fondement par Arcadia London et Arcadia Singapore pour des faits produits à l’époque où chacune de ces sociétés était liée par un contrat de travail avec M. Bosworth ou M. Hurley. En effet, dans cette mesure, et dans cette mesure seulement, les demandes d’Arcadia seraient « en matière de contrat individuel de travail », au sens des dispositions de la section 5.

16.

Les défendeurs au principal ont interjeté appel de cet arrêt devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile), Royaume-Uni]. Cet appel a été rejeté par un arrêt en date du 19 août 2016. Néanmoins, la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) a autorisés les intéressés à se pourvoir.

17.

Dans ces conditions, cette dernière juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Quels sont les justes critères pour déterminer si une action exercée par un employeur contre un travailleur ou un ancien travailleur (ci-après un “travailleur”) est “en matière de” contrat individuel de travail au sens des dispositions du titre II, section 5 (articles 18 à 21), de la [convention de Lugano II] ?

a)

Pour qu’une action exercée par un employeur à l’encontre d’un travailleur relève des dispositions des...

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