Gaston Schul Douane-expediteur BV v Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit.

JurisdictionEuropean Union
Date30 June 2005
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 30 juin 2005 (1)

Affaire C-461/03

Gaston Schul Douane-Expediteur BV

contre

Minister van Landbouw, Natuur en Voedselkwaliteit

[demande de décision préjudicielle formée par le College van Beroep voor het bedrijfsleven (Pays-Bas)]

«Article 234 CE – Validité d’une disposition communautaire – Obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel – Conditions»





I – Introduction

1. Depuis l’arrêt Foto-Frost (2), toutes les juridictions des États membres de l’Union européenne sont tenues de saisir la Cour à titre préjudiciel avant de déclarer un acte communautaire invalide. On s’interroge dès lors sur le point de savoir si cette obligation, de création purement jurisprudentielle, puisqu’elle ne figure dans aucun texte des traités, a un caractère absolu ou peut s’accommoder de certains assouplissements.

2. Dans la mythologie grecque, Sisyphe a été condamné au dur labeur de porter une lourde pierre jusqu’au sommet d’une montagne pour, une fois arrivé à la cime, la laisser rouler jusqu’à un ravin, descendre la chercher et recommencer indéfiniment l’ascension, sans aucun égard pour son évidente fatigue (3).

3. Les raisons de ce terrible châtiment restent empreintes de mystère, mais font apparaître certains comportements téméraires du héros, que les dieux ont considérés comme un défi à leur supériorité (4).

4. À l’instar de Sisyphe, fondateur et roi de Corinthe, le juge national se voit contraint de procéder de façon permanente à un renvoi préjudiciel sur l’invalidité des actes communautaires.

5. Le présent renvoi préjudiciel présente l’intérêt de mettre en relation deux des éléments qui tracent les limites de la faculté, pour les juridictions, de s’adresser à la Cour dans le cadre de l’article 234 CE.

6. Les circonstances de l’affaire au principal permettent de douter de la nécessité matérielle de saisir la Cour, puisque la réponse s’impose de toute évidence à la lumière d’une décision antérieure dépourvue d’ambiguïté.

II – Les faits de l’affaire au principal et les questions préjudicielles

7. Les faits sont d’importance mineure pour statuer sur la demande préjudicielle; il n’y a donc pas d’inconvénient à les résumer au maximum.

8. La demanderesse au principal, Gaston Schul Douane-Expediteur BV (ci-après «Gaston Schul»), commissionnaire en douane, a déclaré le 6 mai 1998 l’importation d’un lot de sucre de canne brut en provenance du Brésil pour un prix CAF (5) supérieur au prix plancher pour le produit en question (6).

9. En l’absence de la demande correspondante, le service des douanes compétent a procédé au calcul des droits additionnels, exigibles sur la base de la valeur représentative en vigueur au moment considéré sur le marché mondial.

10. Gaston Schul a attaqué la validité de cette liquidation, tout d’abord par la voie administrative, puis devant les tribunaux.

11. Le College van Beroep voor het bedrijfsleven (Pays-Bas), devant lequel avait été porté le recours et dont la décision ne peut être attaquée conformément à l’ordre juridique interne, a sursis à statuer et a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 234, troisième alinéa, CE impose-t-il à une juridiction nationale au sens qu’il définit de saisir la Cour de justice d’une question telle que celle qui suit à propos de la validité de dispositions d’un règlement même lorsque la Cour a déjà déclaré invalides certaines dispositions correspondantes d’un autre règlement comparable ou bien est-il loisible à cette juridiction de ne pas appliquer les premières dispositions compte tenu des correspondances particulières avec les dispositions déclarées invalides?

2) L’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 1423/95 de la Commission, du 23 juin 1995, établissant les modalités d’application pour l’importation des produits du secteur du sucre autres que les mélasses est-il invalide dans la mesure où il dispose que le droit additionnel qu’il vise doit en principe être fixé sur la base du prix représentatif au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1423/95 et dispose en outre que ce droit ne doit être calculé sur la base du prix CAF à l’importation de l’expédition considérée que lorsque l’importateur présente une demande à cet effet?»

III – Le cadre juridique

A – Sur l’obligation de demander l’application du prix à l’importation CAF

12. L’article 15, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (7), tel que modifié par le règlement (CE) n° 3290/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l’agriculture pour la mise en œuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay (8) (ci-après le «règlement de base»), dispose que les prix à l’importation à prendre en considération pour l’imposition d’un droit additionnel sont basés sur la valeur CAF de l’expédition.

13. Ces prix sont vérifiés à cette fin sur la base des tarifs représentatifs pour le produit en question sur le marché mondial ou sur le marché d’importation communautaire.

14. Il convient de signaler que le texte actuel de l’article 15, paragraphe 3, du règlement de base s’inscrit dans l’effort d’adaptation de la réglementation communautaire aux dispositions de l’accord sur l’agriculture, issu des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay, conclu par la Communauté en vertu de l’ancien article 228 du traité CE (devenu, après modification, article 300 CE).

15. Parmi les règles spéciales de sauvegarde, l’article 5, paragraphe 1, sous b), de l’accord sur l’agriculture confère à tout membre de l’Organisation mondiale du commerce la possibilité de frapper de droits additionnels l’importation de certains produits si le prix auquel ils entrent sur son territoire douanier, «déterminé sur la base du prix à l’importation CAF de l’expédition considérée, exprimé en monnaie nationale», est inférieur au prix plancher (ou «prix de déclenchement», dans la terminologie de la réglementation communautaire).

16. La Commission a mis en œuvre le texte de base au moyen du règlement (CE) n° 1423/95, du 23 juin 1995, établissant les modalités d’application pour l’importation des produits du secteur du sucre autres que les mélasses (9).

17. Conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1423/95, le prix à l’importation de l’expédition à prendre en considération pour l’imposition éventuelle d’un droit additionnel est le prix représentatif. Néanmoins, il est fait application, à la demande de l’intéressé, de la valeur à l’importation CAF lorsqu’elle est supérieure au prix représentatif applicable.

18. Dans ce cas, la demande doit être accompagnée de certains documents [contrats d’achat, d’assurance et de transport (ou connaissement), factures, certificats d’origine], en vue de démontrer la véracité du chiffre déclaré; une garantie est constituée à concurrence d’une somme égale aux droits additionnels qui auraient été payés s’ils avaient été calculés sur la base du prix représentatif pour le produit. L’importateur récupère cette somme s’il établit avoir commercialisé la marchandise à des conditions qui confirment la réalité des prix en question.

19. Il résulte donc du paragraphe 1 que, à défaut d’une demande de ce type, le montant de l’importation pris en considération pour la fixation du droit additionnel est le prix représentatif.

B – Sur la possibilité de régulariser l’absence initiale de demande

20. La réglementation concernant la rectification des déclarations en douane figure dans le code des douanes communautaire (10). L’article 65, deuxième alinéa, sous c), exclut d’autoriser toute rectification après que les autorités douanières ont donné mainlevée des marchandises.

21. L’article 220 du même code admet qu’une dette douanière naisse a posteriori, au plus tard dans un délai de deux jours à compter de la date à laquelle les autorités douanières se sont aperçues du fait que, au moment considéré, elle n’a pas été prise en compte ou l’a été à un niveau inférieur au montant légalement dû. Il n’est pas procédé à une prise en compte a posteriori de la dette lorsque le montant légal de celle-ci n’avait pas été exigé par suite d’une erreur des autorités douanières elles-mêmes qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable agissant de bonne foi et observant la réglementation en vigueur en ce qui concerne la déclaration en douane [paragraphe 2, sous b)].

IV – La procédure devant la Cour

22. La demande de décision préjudicielle a été déposée au greffe de la Cour le 4 novembre 2003.

23. Des observations ont été déposées par le gouvernement néerlandais et par la Commission.

24. L’affaire a été attribuée à la grande chambre. Toutefois, malgré l’importance manifeste du problème posé, il n’a pas été tenu d’audience.

V – L’analyse des questions déférées à la Cour

25. La première des questions posées par le College van Beroep vise à vérifier si l’acception particulière, dans le domaine de l’article 234, troisième alinéa, CE, de ce que l’on appelle la «théorie de l’acte clair», telle qu’elle ressort de l’arrêt CILFIT e.a. (11), s’applique à l’égard de la validité d’un acte communautaire.

26. La seconde question vise spécifiquement la conformité de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1423/95 aux normes de rang supérieur de l’ordre juridique communautaire.

27. Il semble préférable d’inverser cet ordre dans l’analyse des questions déférées à la Cour, en commençant par la seconde, puisque c’est la solution de celle-ci qui commande de façon immédiate celle du litige au principal.

A – Sur la seconde question préjudicielle

28. Le gouvernement néerlandais, la Commission et la juridiction de renvoi elle-même s’accordent sur l’invalidité de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement...

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