United Kingdom v Parliament and Council

JurisdictionEuropean Union
Date20 November 2014
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Niilo Jääskinen

présentées le 20 novembre 2014 (1)

Affaire C‑507/13

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

contre

Parlement européen

et

Conseil de l’Union européenne

«Contrôle prudentiel des établissements de crédit et des entreprises d’investissement – Recours en annulation – Directive 2013/36/UE – Article 94, paragraphe 1, sous g) et paragraphe 2, et article 162, paragraphes 1 et 3 – Fixation de ratios entre les composantes fixe et variable de la rémunération du personnel des établissements de crédit et des entreprises d’investissement dont les activités professionnelles ont une incidence significative sur leur profil de risque – Règlement n° 575/2013 – Articles 450, paragraphe 1, sous d), i), j), et 521, paragraphe 2 – Publication de certaines informations touchant à la rémunération – Choix de la base juridique – Principes de proportionnalité, de subsidiarité et de sécurité juridique – Excès de pouvoir – Protection des données à caractère personnel – Droit international coutumier – Effet extra-territorial de l’article 94, paragraphe 1, sous g), de la directive 2013/36/UE»





I – Introduction

1. Dans le présent recours, le Royaume-Uni conclut à l’annulation d’un nombre limité de dispositions de certains actes législatifs du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, au titre de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci‑après le «TFUE»). Le recours vise ce qu’il est convenu d’appeler le «paquet CRD IV» entré en vigueur le 17 juillet 2013. Il comporte une nouvelle directive sur les fonds propres réglementaires, étant la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (2) (ci-après la «directive CRD IV»), et un nouveau règlement sur les fonds propres réglementaires, étant le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 (3) (ci-après le «règlement sur les fonds propres réglementaires).

2. Le Royaume-Uni attaque les articles 94, paragraphes 1, sous g), et 2, et 162, paragraphes 1 et 3, de la directive CRD IV et les articles 450, paragraphe 1, sous d), i) et j), et 521, paragraphe 2, du règlement sur les fonds propres réglementaires.

3. Le Royaume-Uni fait en substance grief à la directive CRD IV de contenir en son article 94, paragraphe 1, sous g), des dispositions propres au personnel des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (ci-après les «établissements financiers»), dont les activités professionnelles ont une incidence significative sur leur profil de risque (4), qui ajustent la composante variable de leur rémunération sur sa composante fixe. Dans la solution des questions juridiques en cause, j’estime qu’il est préférable de décrire ce dispositif comme définissant un «ratio maximal de rémunération variable» plutôt qu’un «plafonnement des primes des banquiers» (5). Ainsi que je le montrerai dans l’analyse qui suit, cela est essentiel dans l’appréciation de la validité du ratio exprimé en pourcentage qui est au cœur du recours du Royaume‑Uni.

4. L’article 94, paragraphe 1, sous g), i), de la directive CRD IV dispose que la composante variable n’excède pas 100 % de la composante fixe de la rémunération totale de chaque personne et ajoute un certain nombre de règles additionnelles, en ce compris la faculté pour les États membres d’autoriser les actionnaires à porter le ratio à un taux pouvant aller jusqu’à 200% à certaines conditions et l’autorisation donnée aux États membres de fixer un taux maximum inférieur (article 94, paragraphe 1, sous g), ii), de la directive CRD IV).

5. En ce qui concerne le règlement sur les fonds propres réglementaires, le Royaume-Uni attaque son article 450, paragraphe 1, sous d) et i), qui impose aux établissements financiers de publier respectivement les ratios entre les composantes fixe et variable de la rémunération définis conformément à l’article 94, paragraphe 1, sous g), de la directive CRD IV et le nombre de personnes dont la rémunération atteint ou dépasse un certain seuil. Le Royaume‑Uni conteste en outre la validité de l’article 450, paragraphe 1, sous j) qui impose aux établissements financiers de publier, à la demande de l’État membre ou de l’autorité compétente, la rémunération totale de chaque membre de l’organe de direction ou de la direction générale.

6. Le recours du Royaume-Uni se décompose en six moyens. Dans le premier moyen, il soutient que, à l’exception de l’article 162, paragraphes 1 et 3, de la directive CRD IV et de l’article 521, paragraphe 2, du règlement sur les fonds propres réglementaires, chacune des dispositions attaquées a une base juridique erronée. Dans le deuxième moyen, il conteste la validité de l’article 94, paragraphe 1, sous g), de la directive CRD IV et de l’article 450, paragraphe 1, sous i) et j), du règlement sur les fonds propres réglementaires au titre des principes de proportionnalité ou de subsidiarité tandis que le troisième moyen, tiré du principe de sécurité juridique, se limite à attaquer l’article 162, paragraphe 3, de la directive CRD IV. Dans le quatrième moyen, il prétend que l’habilitation de l’Autorité bancaire européenne (ci-après l’ «ABE») au titre de l’article 94, paragraphe 2, de la directive CRD IV est exorbitante. Dans le cinquième moyen, le Royaume-Uni prétend que l’article 450, paragraphe 1, sous j), du règlement sur les fonds propres réglementaires enfreint le droit au respect de la vie privée et les principes juridiques régissant la protection des données à caractère personnel. Par son sixième moyen, le Royaume-Uni soutient que, dans la mesure où l’article 94, paragraphe 1, sous g), de la directive CRD IV doit être appliqué à des membres du personnel d’établissements financiers en dehors de l’EEE, il enfreint le principe du droit international coutumier s’opposant à l’extraterritorialité.

7. Tous les moyens visés ci-dessus sont vigoureusement repoussés par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne soutenus par la Commission en qualité de partie intervenante.

8. Les arguments présentés par le Royaume-Uni sont de valeurs inégales étant entendu que le premier d’entre eux donne les raisons les plus convaincantes de s’interroger sur la validité des dispositions attaquées. Cela étant, j’écarterai tout d’abord les cinq moyens de valeur moindre en allant du sixième au deuxième et terminerai par le premier moyen.

II – La procédure devant la Cour

9. Par requête parvenue au greffe de la Cour le 20 septembre 2013, le Royaume-Uni a introduit un recours contre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne au titre de l’article 263 TFUE, demandant à la Cour d’annuler les articles 94, paragraphe 1, sous g) et 94, paragraphe 2, et l’article 162, paragraphes 1 et 3, de la directive CRD IV et les articles 450, paragraphe 1, sous d), i), j), et 521, paragraphe 2, du règlement sur les fonds propres réglementaires et de condamner les défendeurs aux dépens.

10. Dans leurs mémoires en défense, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne concluent au rejet du recours dans son intégralité pour défaut de fondement et à la condamnation du Royaume‑Uni aux dépens. Le Royaume‑Uni a répliqué aux institutions défenderesses qui ont à leur tour présenté des mémoires en duplique.

11. La Commission européenne est intervenue à l’appui des conclusions du Parlement et du Conseil. Le Royaume-Uni a présenté des observations sur le mémoire en intervention de la Commission.

12. Le Royaume-Uni, le Parlement, le Conseil et la Commission ont participé à l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 8 septembre 2014.

III – Observations préliminaires

A – Contexte de la directive CRD IV et du règlement sur les fonds propres réglementaires

13. La crise financière mondiale liée à l’effondrement, en septembre 2008, de la banque d’affaires Lehman Brothers a révélé les faiblesses de la réglementation de l’Union européenne applicable aux établissements financiers. En vue de restaurer la stabilité financière, l’Union européenne et ses États membres ont adopté un vaste ensemble de mesures inédites visant à la fois les besoins à brève échéance et les évolutions à long terme. Ils ont approuvé à brève échéance des aides versées à ce titre aux établissements financiers chiffrant plus de 5 000 milliards d’euros en octobre 2012 (6). Une réforme à long terme de la réglementation encadrant les établissements financiers a également été entreprise. Elle visait à mettre en place un encadrement complet et sensible au risque des fonds propres réglementaires des établissements de crédit et à promouvoir l’efficacité de leur gestion du risque.

14. Au départ, le premier train de mesures sur les fonds propres réglementaires, dit «paquet CRD I» de 2006 avait consisté à refondre à la fois la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mars 2000, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (7) et la directive 93/6/CEE du Conseil, du 15 mars 1993, sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissements de crédit. (8) Cette refonte a été l’œuvre de la directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (refonte) (9) et de la directive 2006/49/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2006, sur l’adéquation des fonds propres des entreprises d’investissement et des établissements de crédit (refonte) (10).

15. Cependant, deux...

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