Opinion of Advocate General Cruz Villalón delivered on 4 June 2015.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date04 June 2015
62013CC0650

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 4 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑650/13

Thierry Delvigne

contre

Commune de Lesparre‑Médoc

et

Préfet de la Gironde

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal d’instance de Bordeaux (France)]

«Articles 10 et 14, paragraphe 3, TUE — Article 20, paragraphe 2, sous b), TFUE — Article 223, paragraphe 1, TFUE — Articles 39 et 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Acte relatif à l’élection des députés au Parlement européen — Champ d’application du droit de l’Union — Démocratie représentative — Représentation directe — Participation à la vie démocratique de l’Union — Parlement européen — Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen — Limitation d’un droit fondamental — Législation nationale prévoyant l’interdiction perpétuelle des droits civils et politiques — Législation pénale plus favorable ne pouvant pas être appliquée aux personnes condamnées en dernier ressort avant son entrée en vigueur — Égalité de traitement entre ressortissants des États membres — Irrecevabilité»

1.

Dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ayant pour objet la radiation des listes électorales d’un citoyen privé de manière indéfinie de son droit de vote et d’éligibilité à titre de peine complémentaire d’une condamnation pour assassinat, deux questions relatives à la conformité au droit de l’Union de la législation nationale rendant cette situation possible sont posées à la Cour, questions qui invoquent tout particulièrement deux articles de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte») relatifs à deux droits fondamentaux: le droit à la rétroactivité de la loi pénale la plus favorable (article 49, paragraphe 1, troisième phrase) et le droit de vote et d’éligibilité ( 2 ) aux élections au Parlement européen (article 39, paragraphe 2).

2.

Comme cela est fréquemment le cas chaque fois que l’éventuelle application des dispositions de la Charte à un acte d’une autorité publique nationale est envisagée (article 51, paragraphe 1), il convient ici aussi d’examiner préalablement, en s’appuyant essentiellement sur la jurisprudence établie dans l’arrêt Åkerberg Fransson ( 3 ), s’il s’agit de dispositions nationales adoptées dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union.

3.

Je proposerai une réponse différenciée à cette question préalable, pour m’occuper ensuite exclusivement de la seconde question préjudicielle posée, à savoir le respect par la législation nationale du droit de vote aux élections au Parlement, avec l’importante aide, cette fois, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la «Cour EDH»).

I – Le cadre juridique

A – Le droit international

4.

L’article 3 du protocole additionnel no 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la «CEDH») dispose:

«Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.»

B – Le droit de l’Union

1. Le traité sur l’Union européenne

5.

L’article 10 TUE prévoit:

«1. Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative.

2. Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen.

[…]

3. Tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens.

[…]»

6.

En vertu de l’article 14, paragraphe 3, TUE, «[l]es membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans».

2. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

7.

L’article 20 TFUE est libellé comme suit:

«1. Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2. Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres:

[…]

b)

le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu’aux élections municipales dans l’État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État;

[…]

Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux‑ci.»

8.

Conformément à l’article 22, paragraphe 2, TFUE, «[s]ans préjudice des dispositions de l’article 223, paragraphe 1, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités, arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient.»

3. La Charte

9.

L’article 39 de la Charte stipule:

«Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il ou elle réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

2. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret.»

10.

Aux termes de l’article 49, paragraphe 1, de la Charte, «[n]ul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle‑ci doit être appliquée.»

11.

L’article 51 de la Charte est rédigé comme suit:

«1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

2. La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au‑delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités.»

12.

Aux termes de l’article 52 de la Charte:

«1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux‑ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

[…]»

4. Acte relatif à l’élection des députés au Parlement européen ( 4 )

13.

L’article 1er de l’acte de 1976 dispose:

«1. Dans chaque État membre, les membres du Parlement européen sont élus au scrutin, de liste ou de vote unique transférable, de type proportionnel.

[…]

3. L’élection se déroule au suffrage universel direct, libre, et secret.»

14.

En vertu de l’article 8 de l’acte de 1976, «[s]ous réserve des dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales […]».

C – Le droit français

15.

Conformément à l’article 28 du code pénal créé par la loi no 1810‑02‑12, du 12 février 1810 (ci‑après l’«ancien code pénal»), la condamnation à une peine criminelle emporte la dégradation civique, étant entendue comme telle, aux termes de l’article 34 de l’ancien code pénal, la privation du droit de vote, d’élection, d’éligibilité et, en général, de tous les droits civiques et politiques.

16.

L’ancien code pénal a été abrogé avec effet au 1er mars 1994 par la loi no 92‑1336 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, du 16 décembre 1992, et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale.

17.

L’article 370 de la loi du 16 décembre 1992, tel que modifié par l’article 13 de la loi no 94‑89, du 1er février 1994 (ci‑après la «loi de 1992»), établit que, sans préjudice des dispositions de l’article 702‑1 du code de procédure pénale...

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