Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 13 de junio de 2019.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date13 June 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 juin 2019 (1)

Affaire C75/18

Vodafone Magyarország Mobil Távközlési Zrt.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága

[demande de décision préjudicielle formée par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Aides – Système de TVA – Impôt lié au chiffre d’affaires applicable aux entreprises de télécommunications – Effet défavorable d’un barème fiscal progressif à l’égard des entreprises étrangères – Discrimination indirecte – Justification d’un impôt progressif fondé sur le chiffre d’affaires – Avantage illégal donné aux petites entreprises par un barème fiscal progressif – Nature d’une taxe sur le chiffre d’affaires au sens de l’article 401 de la directive TVA »






I. Introduction

1. Dans le cadre de la présente procédure, la Cour a à connaître de questions de droit fiscal et de droit des aides d’État qui revêtent une importance particulière, et ce également pour la taxe sur les services numériques basée sur le chiffre d’affaires (2) actuellement proposée par la Commission européenne. En effet, l’affaire qui nous occupe pose elle aussi la question de savoir si l’imposition du revenu d’une entreprise basée sur son chiffre d’affaires constitue déjà une taxe sur le chiffre d’affaires ou s’il s’agit d’un impôt direct sur le revenu.

2. De plus, la Cour a à nouveau (3) à connaître de la question d’une discrimination indirecte produite par une réglementation fiscale, la discrimination en cause ne pouvant cette fois être déduite que du barème progressif de cette règlementation. Enfin, la Cour doit examiner si l’imposition progressive d’entreprises économiquement plus fortes constitue aussi une aide illégale en faveur des autres entreprises.

3. L’effet de redistribution généralement recherché par un barème fiscal progressif conduit en soi à imposer plus lourdement les personnes économiquement plus fortes et donc à les désavantager par rapport aux personnes économiquement plus faibles. Étant donné que les premières ont tendance à exercer leurs activités au-delà des frontières, l’on pourrait y voir une discrimination indirecte à leur encontre, surtout si la progressivité est utilisée de manière ciblée pour viser les entreprises étrangères économiquement plus fortes.

4. Au final, la Cour doit se prononcer sur l’admissibilité au regard du droit de l’Union d’un barème fiscal progressif combiné à un abattement de base (4), sachant que celui‑ci, historiquement, s’est développé dans de nombreux États membres, y est considéré comme nécessaire du point de vue de l’État social et y est donc appliqué également dans le cadre de l’imposition du revenu. En outre, ce sont également un barème fiscal progressif et un abattement de base qui sous-tendent les taxes sur les services numériques, celle qui est prévue à l’échelle de l’Union et celles qui ont déjà été introduites dans plusieurs États membres.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. L’article 401 de la directive 2006/112/CE (5) (ci‑après la « directive TVA ») est ainsi libellé :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance et sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition que la perception de ces impôts, droits et taxes ne donne pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière ».

B. Le droit national

6. L’affaire au principal se situe dans le contexte de l’egyes ágazatokat terhelő különadóról szóló 2010. évi XCIV. törvény (loi XCIV de 2010 relative à l’impôt spécial grevant certains secteurs, ci‑après la « loi relative à l’impôt spécial »), qui, pour les années 2010 à 2012, prévoyait un impôt spécial fondé sur le chiffre d’affaires pour les entreprises opérant dans certains secteurs.

7. Le préambule de la loi spéciale est ainsi libellé :

« Dans le cadre du redressement de l’équilibre budgétaire, le Parlement institue la loi ci‑après, relative à l’instauration d’un impôt spécial à la charge des contribuables dont la capacité à contribuer aux charges publiques est supérieure à l’obligation fiscale générale ».

8. L’article 1er de la loi relative à l’impôt spécial contient les dispositions explicatives suivantes :

« Au sens de la présente loi, on entend par :

[…]

2. Activité de télécommunications : la prestation de services de communication électronique au sens du Az elektronikus hírközlésről szóló 2003. évi C. törvény (loi C de 2003 sur la communication électronique) […] ».

9. L’article 2 de la loi relative à l’impôt spécial est ainsi libellé :

« Sont soumis à l’impôt :

a) le commerce de détail en magasin ;

b) les activités de télécommunications, ainsi que

c) la fourniture d’énergie ».

10. L’article 3 de la loi relative à l’impôt spécial définit les assujettis de la manière suivante :

« 1) Les assujettis sont les personnes morales, les autres organisations au sens du code général des impôts et les travailleurs indépendants exerçant une activité soumise à l’impôt au sens de l’article 2 ;

2) Sont également soumis à l’impôt les organisations et les particuliers non-résidents, pour les activités soumises à l’impôt, visées à l’article 2, dès lors qu’ils les exercent sur le marché intérieur par l’intermédiaire de filiales ».

11. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt spécial, la base imposable est :

« le chiffre d’affaires net des assujettis résultant des activités visées à l’article 2, durant l’exercice fiscal ».

12. L’impôt spécial présente une structure de taux d’imposition progressive. En vertu de l’article 5, sous b), de la loi relative à l’impôt spécial,

« En cas d’exercice d’une activité visée à l’article 2, sous b), le taux est de 0 % pour la partie de l’assiette d’imposition qui ne dépasse pas 500 millions de forints, de 4,5 % pour la partie de l’assiette d’imposition comprise entre 500 millions et 5 milliards de forints et de 6,5 %, pour la partie de l’assiette d’imposition qui dépasse 5 milliards de forints ».

13. L’article 7 de cette loi définit les conditions dans lesquelles l’impôt spécial s’applique aux entreprises dites liées :

« L’impôt des assujettis qualifiés d’entreprise liée au sens de la loi [nº LXXXI de 1996] relative à l’impôt sur les sociétés et les dividendes doit être déterminé en totalisant les chiffres d’affaires nets provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), exercées par des assujettis entretenant des relations d’entreprise liée, et le montant obtenu en appliquant le taux défini à l’article 5 à ce total doit être divisé entre les assujettis proportionnellement à leurs chiffres d’affaires nets respectifs provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), par rapport au chiffre d’affaires net total provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), réalisé par tous les assujettis liés ».

III. Le litige au principal

14. La partie requérante au principal, Vodafone Magyarország Mobil Távközlési Zrt. (ci‑après « Vodafone »), est une société anonyme de droit hongrois. Elle a pour actionnaire unique la société Vodafone Europe B.V., enregistrée aux Pays‑Bas.

15. L’activité principale de la partie requérante se situe sur le marché des télécommunications. Selon la juridiction de renvoi, au cours des années litigieuses, elle était, en importance, la troisième entreprise sur le marché hongrois des télécommunications.

16. Dans le cadre d’un contrôle fiscal a posteriori effectué auprès de la partie requérante pour la période comprise entre le 1er avril 2011 et le 31 mars 2015, l’administration fiscale a déterminé une différence fiscale de 8 371 000 forints hongrois (HUF) à la charge de celle‑ci ; elle a également imposé à la partie requérante des intérêts de retard et des amendes. La réclamation formée contre l’avis en cause n’ayant été que partiellement accueillie, la partie requérante a saisi la juridiction de renvoi d’un recours.

17. La juridiction de renvoi nourrit des doutes à l’égard de l’impôt spécial compte tenu des caractéristiques du marché hongrois des télécommunications. Ces doutes résident dans le fait que, selon la juridiction de renvoi, « seul le chiffre d’affaires des assujettis qui appartiennent à des ressortissants hongrois se voient en substance appliquer le taux le plus bas dans sa totalité, tandis que seules les filiales hongroises de sociétés mères étrangères paient l’impôt au taux prévu pour la tranche la plus élevée du chiffre d’affaire, en sorte que sur la base de la tranche la plus élevée que les assujettis relevant de la tranche de chiffres d’affaires la plus élevée paient la partie déterminante de l’impôt spécial payé par eux ».

18. Toutefois, les documents soumis à la Cour par la Commission et la Hongrie ne confirment pas pleinement cette déclaration de la juridiction de renvoi. Selon ceux-ci, au cours de la première année (2010), des seize entreprises concernées, six entreprises qui n’étaient pas contrôlées par des étrangers étaient quand même soumises au taux d’imposition le plus élevé. D’autres données statistiques indiquent que, en tout état de cause, les entreprises étrangères ne sont pas les seules à être affectées. De même, il ressort des statistiques que relèvent du taux d’imposition moyen également des entreprises détenues par des actionnaires étrangers.

19. En outre, la juridiction de renvoi rappelle qu’en 2012, la Commission a ouvert contre la Hongrie une procédure de manquement, à laquelle il a cependant été mis fin en 2013. La Commission a expliqué que la loi relative à l’impôt spécial n’était déjà plus en vigueur et qu’elle n’était donc plus...

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