Google Ireland

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date12 September 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 12 septembre 2019 (1)

Affaire C482/18

Google Ireland Limited

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kiemelt Adó- és Vámigazgatósága

(demande de décision préjudicielle formée par le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság [tribunal administratif et du travail de Budapest, Hongrie])

« Demande de décision préjudicielle – Libertés fondamentales – Libre prestation des services – Restrictions et discriminations – Droit fiscal matériel et droit fiscal procédural – Taxe sur la publicité basée sur le chiffre d’affaires – Taxation d’activités étrangères en langue hongroise – Principe de territorialité en droit de l’Union – Obligation d’enregistrement au titre du droit fiscal – Différentes procédures d’enregistrement pour les ressortissants nationaux et pour les étrangers – Sanctions en cas de non‑enregistrement »






I. Introduction

1. Dans la présente procédure, la Cour est saisie principalement de questions de droit fiscal procédural, concernant notamment les sanctions frappant les violations d’obligations d’enregistrement au titre du droit fiscal ayant pour objectif de constater et d’exécuter une dette fiscale. Lesdites sanctions peuvent atteindre, en Hongrie, des niveaux importants [dans l’ensemble, jusqu’à un milliard de forint hongrois (HUF), soit environ trois millions d’euros], et visent à contraindre des assujettis qui n’étaient pas encore enregistrés en Hongrie à effectuer une déclaration fiscale. Lorsqu’il est visé par ces sanctions, l’assujetti se heurte à certains écueils procéduraux qui font qu’il lui est difficile d’échapper à l’amende ou de la soumettre à un contrôle juridictionnel. Ces deux aspects touchent en particulier les assujettis établis à l’étranger et qui n’ont pas encore de revenus soumis à l’impôt en Hongrie. C’est pourquoi des questions relatives aux libertés fondamentales sont soulevées.

2. En outre, la Cour peut aussi se poser la question de savoir si le droit de l’Union n’empêche pas la Hongrie, en soi, de soumettre des entreprises étrangères (européennes) à l’impôt, alors qu’elles ne sont pas établies en Hongrie. L’impôt en cause, dans la présente espèce, frappe en fait des entreprises qui proposent simplement des services en langue hongroise sur Internet, sans que ces services soient nécessairement « consommés » en Hongrie. On peut imaginer, par exemple, que des personnes vivant en-dehors de la Hongrie et ayant une connaissance de la langue hongroise bénéficient de ces services, tels que les membres de la minorité hongroise vivant en Roumanie. Dès lors, il y a lieu de clarifier si le droit de l’Union exige qu’un impôt national soit justifié par un lien territorial, et, dans l’affirmative, si un tel lien est établi par la référence à la langue hongroise.

3. Ce dernier point constitue une question nouvelle, dont la réponse peut avoir d’importantes répercussions sur les compétences fiscales des États membres. Elle se pose d’une façon comparable au regard, par exemple, d’une taxe italienne sur les transactions financières frappant les contrats dérivés négociés à l’étranger et qui se base sur les émissions de titres d’une entreprise établie en Italie (2).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. Les dispositions pertinentes du droit de l’Union sont celles du TFUE et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « charte »).

B. Le droit national

5. Le litige au principal a pour objet le reklámadóról szóló 2014. évi XXII. törvény (la loi n° XXII de 2014, relative à la taxe sur la publicité, ci‑après « la loi relative à la taxe sur la publicité »), dans la version en vigueur en 2016.

6. La taxe en question – une variété de taxe sur le chiffre d’affaires – a été introduite dans l’ordre juridique national dans le but de mettre en œuvre le principe de la contribution proportionnelle aux dépenses publiques.

7. Selon les termes de l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la loi relative à la taxe sur la publicité, ladite taxe est due sur toute publication ou diffusion à titre onéreux de publicités sur l’Internet en langue principalement hongroise, ou sur un site Internet de langue principalement hongroise. En vertu de l’article 5, paragraphe 3, de la loi relative à la taxe sur la publicité, ledit impôt s’applique, au regard de l’année litigieuse, seulement aux entreprises dont le chiffre d’affaires soumis à la taxe sur la publicité dépasse les 100 millions de HUF par an, de sorte qu’il présente une structure tarifaire progressive.

8. L’article 2, paragraphe 2, sous b), de la loi relative à la taxe sur la publicité prévoit que la taxe est due sur toute commande de publication, d’affichage ou de diffusion de publicités, à moins que […] l’auteur de la commande

ba) ait demandé à l’assujetti défini à l’article 3, paragraphe 1, d’effectuer la déclaration prévue à l’article 3, paragraphe 3, et soit en mesure de prouver ce fait de manière crédible,

bb) n’ait pas reçu la déclaration demandée en application du point ba) dans les 10 jours ouvrables qui suivent la réception de la facture ou pièce comptable concernant la publication, l’affichage ou la diffusion de publicités, et

bc) ait informé l’administration fiscale nationale du fait mentionné au point ba), ainsi que de l’identité de la personne ayant publié, affiché ou diffusé les publicités, et du prix payé pour la publication, l’affichage ou la diffusion.

9. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité, toute personne diffusant de la publicité sur Internet, à titre onéreux, en langue principalement hongroise, ou sur un site Internet de langue principalement hongroise est un « assujetti, quel que soit le lieu de sa résidence ».

10. L’article 7/B, paragraphe 1, de la loi relative à la taxe sur la publicité prévoit que tout assujetti, tel que défini à l’article 3, paragraphe 1, que l’administration fiscale nationale n’a pas enregistré en tant que contribuable au titre d’un impôt quelconque est tenu de se déclarer sur le formulaire prévu à cet effet par l’administration fiscale nationale dans un délai de 15 jours à compter du début de l’activité soumise à la taxe en vertu de l’article 2, paragraphe 1.

11. L’article 7/B, paragraphe 2, de la loi relative à la taxe sur la publicité dispose que, lorsque l’assujetti visé au paragraphe 1 n’exécute pas l’obligation de se déclarer, l’administration fiscale nationale, en plus de lui enjoindre de se conformer à cette obligation, prononce une première amende pour manquement d’un montant de 10 millions de forints.

12. L’article 7/B, paragraphe 3, de la loi relative à la taxe sur la publicité permet à l’administration fiscale nationale, lors de toute nouvelle constatation de l’inexécution de l’obligation, de prononcer une amende pour manquement dont le montant est égal à trois fois celui de l’amende pour manquement prononcée précédemment.

13. L’article 7/B, paragraphe 4, de la loi relative à la taxe sur la publicité prévoit que l’administration fiscale nationale constate l’inexécution de l’obligation de se déclarer visée au paragraphe 1 dans une décision adoptée jour après jour, laquelle décision est définitive et exécutoire dès sa notification et est susceptible d’un recours juridictionnel. Dans la procédure de recours juridictionnel, les preuves documentaires sont seules admises et le tribunal statue sans tenir d’audience de plaidoirie au préalable.

14. L’article 7/B, paragraphe 5, de la loi relative à la taxe sur la publicité prévoit la possibilité d’une réduction illimitée de l’amende pour manquement infligée lorsque l’assujetti s’acquitte de son obligation de se déclarer après la première injonction de l’administration fiscale nationale.

15. L’article 7/D de la loi relative à la taxe sur la publicité prévoit que les amendes pour manquement prononcées par l’administration fiscale nationale à l’encontre d’un même assujetti en application de l’article 7/B ne peuvent, au total, dépasser 1 milliard de forints.

16. En ce qui concerne les sociétés dont le siège social est situé en Hongrie, il ressort de l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la loi sur les règles d’imposition que le contribuable satisfait automatiquement à l’obligation de se déclarer auprès de l’administration nationale des Impôts et Douanes en adressant (par le moyen d’un formulaire dûment rempli) une demande d’enregistrement, accompagnée de ses annexes, au tribunal des sociétés et en demandant l’attribution du numéro d’identification fiscale.

17. Selon les termes de l’article 172 de la loi sur les règles d’imposition, l’inexécution des obligations de déclaration (obligation de se déclarer et de communiquer les changements de situation), de communication de données et d’ouverture d’un compte de paiement, ainsi que de l’obligation d’effectuer les déclarations fiscales est passible d’une amende de 500 000 HUF ou de 1 000 000 HUF, selon le cas.

18. L’article 172, paragraphe 7, de la loi sur les règles d’imposition dispose qu’en cas d’inexécution de l’obligation de se déclarer, de déclaration, de communication des changements de situation, de déclaration fiscale, de communication de données ou d’ouverture d’un compte de paiement, ainsi que dans le cas visé au paragraphe 1, sous f), l’autorité fiscale, en même temps qu’elle prononce l’amende pour manquement, doit enjoindre au contribuable d’exécuter l’obligation dans un certain délai, ou peut l’y enjoindre lorsque l’obligation non exécutée consiste dans la délivrance d’un reçu. Si le contribuable n’a pas respecté le délai imposé pour l’exécution dans la décision précédente, l’amende pour manquement infligée – à l’exception de celle visée au paragraphe 1, sous f) – est doublée et un nouveau délai est imparti.

III. Le litige au principal

19. La partie demanderesse, la « Google Ireland Limited » (ci‑après « Google ») est une société de capitaux enregistrée en Irlande. Son siège social et son administration...

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