Gerhard Köbler v Republik Österreich.

JurisdictionEuropean Union
Date08 April 2003
CourtCourt of Justice (European Union)
EUR-Lex - 62001C0224 - FR 62001C0224

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 8 avril 2003. - Gerhard Köbler contre Republik Österreich. - Demande de décision préjudicielle: Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien - Autriche. - Égalité de traitement - Rémunération des professeurs d'université - Discrimination indirecte - Indemnité d'ancienneté - Responsabilité d'un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables - Violations imputables à une juridiction nationale. - Affaire C-224/01.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-10239


Conclusions de l'avocat général

1. La responsabilité dun État membre en cas de violation du droit communautaire est-elle susceptible dêtre engagée lorsque cette violation est le fait dune juridiction suprême? LÉtat membre en question est-il tenu dindemniser les particuliers pour les dommages qui en résultent? Si oui, quelles sont les conditions dengagement dune telle responsabilité?

2. Telles sont, en substance, les questions délicates que le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (Autriche) pose à la Cour dans la présente procédure . Pour la première fois, celle-ci est invitée à préciser la portée du principe de la responsabilité de lÉtat pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables. Ce principe a été posé par la Cour dans larrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. , et a connu de nombreux développements depuis larrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame , sagissant de la responsabilité de lÉtat du fait du législateur ou de ladministration.

3. Il est intéressant dobserver que, parallèlement, la Cour est saisie dun recours en manquement dans laffaire C-129/00, Commission/Italie , mettant notamment en cause une jurisprudence dominante des juridictions nationales, en particulier de la Corte suprema di cassazione (Italie). Cette affaire invite la Cour à réfléchir à une problématique analogue à celle formulée dans la présente procédure: un État membre doit-il répondre des actes adoptés par ses organes juridictionnels (ou par certains dentre eux) et, si oui, dans quelle mesure? Par ailleurs, la Cour est également saisie dune question préjudicielle néerlandaise visant à savoir si un organe administratif national est tenu, en vertu du droit communautaire, de revenir sur une décision dont il est lauteur et qui a été confirmée par une décision de justice définitive, dans lhypothèse où linterprétation de la réglementation communautaire pertinente sur laquelle sest fondée cette décision administrative serait démentie par la Cour, à loccasion dun arrêt préjudiciel prononcé ultérieurement. Cette question préjudicielle mérite dêtre signalée bien que la problématique en cause soit relativement différente de celle qui nous occupe. Nous rendrons prochainement nos conclusions dans cette affaire.

I Le cadre juridique national

A Sur le principe de la responsabilité de lÉtat

4. En droit autrichien, le principe de la responsabilité de lÉtat est consacré par la Constitution fédérale et défini par la loi fédérale du 18 décembre 1948 . Larticle 2 de cette loi prévoit les dispositions suivantes:

«(1) Il nest pas nécessaire de désigner un organe précis lors dune demande en réparation; il suffit détablir que le préjudice na pu être causé que par la violation du droit par un organe de la partie défenderesse.

(2) Le droit à réparation nest pas reconnu lorsque la personne lésée aurait pu éviter le préjudice par voie de recours, notamment auprès du Verwaltungsgerichtshof [Autriche ].

(3) Une décision du Verfassungsgerichtshof [Autriche ], de lOberster Gerichtshof [Autriche] ou du Verwaltungsgerichtshof ne donne pas droit à réparation.»

5. Il résulte de ces dispositions que la responsabilité de lÉtat autrichien est expressément exclue pour les dommages causés aux particuliers par des décisions émanant de juridictions suprêmes.

6. Par ailleurs, le contentieux de la responsabilité de lÉtat relève des compétences propres des juridictions de première instance en matière civile et commerciale [Landesgericht (Autriche), Handelsgericht Wien (Autriche)].

B Sur lindemnité spéciale dancienneté des professeurs duniversité

7. Larticle 50 bis du Gehaltsgesetz (loi salariale) de 1956 , tel que modifié en 2001 , prévoit quun professeur duniversité peut bénéficier dune indemnité spéciale dancienneté destinée à être prise en compte pour le calcul de sa pension de retraite. Loctroi de cette indemnité est subordonné, notamment, à lacquisition de quinze ans dancienneté de professorat dans des universités autrichiennes.

II Les faits et la procédure au principal

8. M. Köbler est lié, depuis le 1er mars 1986, à lÉtat autrichien par un contrat de droit public en qualité de professeur duniversité titulaire à Innsbruck (Autriche). Par lettre du 28 février 1996 adressée à lautorité administrative compétente, il a sollicité lattribution de lindemnité spéciale dancienneté des professeurs duniversité. À lappui de sa demande, il sest prévalu de lacquisition de quinze ans dancienneté en qualité de professeur titulaire auprès duniversités situées dans divers États membres de la Communauté européenne, notamment en Autriche. Cette demande a été rejetée au motif que lintéressé ne remplissait pas les conditions dancienneté requises par larticle 50 bis de la loi salariale de 1956, à savoir lacquisition dune telle ancienneté exclusivement auprès duniversités autrichiennes.

9. M. Köbler a alors formé un recours contre cette décision devant le Verwaltungsgerichtshof. Il a fait valoir que les conditions dancienneté requises par ladite loi pour bénéficier de lindemnité en cause reviennent à instaurer une discrimination indirecte contraire au principe de la libre circulation des travailleurs garanti par larticle 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) et par le règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à lintérieur de la Communauté .

10. Compte tenu dun tel débat, la juridiction suprême administrative a saisi la Cour dune question préjudicielle afin de savoir si les articles 48 du traité et 1er à 3 du règlement n° 1612/68 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre dun système de rémunération qui prévoit que le traitement est également fonction, entre autres, de lancienneté, il y a lieu dassimiler aux activités exercées antérieurement dans le pays considéré les activités équivalentes qui ont été exercées antérieurement dans un autre État membre .

11. Par lettre du 11 mars 1998, la Cour a demandé à la juridiction suprême administrative si elle estimait nécessaire de maintenir sa question préjudicielle compte tenu de larrêt du 15 janvier 1998, Schöning-Kougebetopoulou , intervenu entre-temps. La juridiction nationale a invité les parties à sexprimer à ce sujet, étant observé que, de prime abord, le point de droit faisant lobjet de la question préjudicielle en cause a été résolu par ledit arrêt de la Cour dans un sens favorable aux prétentions de M. Köbler. Le 24 juin 1998, elle a finalement retiré sa question préjudicielle, puis débouté lintéressé de sa demande au motif que lindemnité spéciale dancienneté constitue une prime de fidélité justifiant objectivement une dérogation aux dispositions de droit communautaire relatives à la libre circulation des travailleurs.

12. Le 2 janvier 2001, M. Köbler a engagé une action en responsabilité contre la république dAutriche devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien . Il soutient que larrêt de la juridiction suprême administrative du 24 juin 1998 a enfreint des dispositions de droit communautaire directement applicables. Selon lui, la jurisprudence de la Cour nassimilerait pas lindemnité litigieuse à une prime de fidélité. En conséquence, il demande à être indemnisé du préjudice quil aurait indûment subi du fait de la décision de justice en cause, cette dernière ayant refusé loctroi de lindemnité spéciale dancienneté à laquelle il serait en droit de prétendre, en vertu du droit communautaire. La république dAutriche soppose à cette demande dindemnisation au motif que larrêt de la juridiction suprême administrative ne serait pas contraire au droit communautaire et que, en tout état de cause, une décision dune juridiction suprême (comme le Verwaltungsgerichtshof) ne saurait engager la responsabilité de lÉtat. Elle précise quune telle responsabilité est expressément exclue en droit autrichien sans que cela soit contraire, selon elle, aux exigences du droit communautaire.

III Les questions préjudicielles

13. Eu égard aux thèses avancées par les parties, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) La jurisprudence de la Cour selon laquelle la responsabilité de lÉtat est engagée en cas de violation du droit communautaire, quel que soit lorgane de lÉtat membre auquel cette violation est imputable (notamment, par exemple, arrêt [¼ ] Brasserie du pêcheur et Factortame), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de lorgane réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision dune juridiction suprême dun État membre telle que, en lespèce, le Verwaltungsgerichtshof?

2) Dans lhypothèse dune réponse affirmative à la première question:

La jurisprudence de la Cour selon laquelle il appartient à lordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de lordre juridique communautaire (notamment, par exemple, arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C-54/96, Rec. p. I-4961), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de lorgane réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision dune juridiction suprême dun État membre telle que, en...

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