Opinion of Advocate General Kokott delivered on 23 January 2020.

JurisdictionEuropean Union
Date23 January 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 23 janvier 2020 (1)

Affaire C658/18

UX

contre

Governo della Repubblica italiana

[demande de décision préjudicielle formée par le Giudice di pace di Bologna (juge de paix de Bologne, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Recevabilité – Indépendance externe et interne des juridictions – Politique sociale – Directive 2003/88/CE – Temps de travail – Article 7 – Congé annuel payé – Juges de paix – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non‑discrimination – Responsabilité des États membres pour violation du droit de l’Union »






I. Introduction

1. Les juges de paix italiens sont-ils des travailleurs et ont-ils, par conséquent, droit à des congés payés ?

2. C’est la question qui est posée en l’espèce. De l’avis de la République italienne et de ses juridictions suprêmes, les juges de paix exercent une fonction honorifique en contrepartie de laquelle ils touchent une indemnité à titre de remboursement de frais. La juge de paix requérante au principal, qui a clôturé environ 1800 procédures au cours de l’année ayant précédé la période de congé litigieuse et qui a tenu des audiences deux jours par semaine, estime en revanche qu’elle est une travailleuse et fait valoir son droit à des congés payés. Elle réclame l’indemnité de congés payés qui lui a été refusée dans le cadre d’une procédure en injonction de payer introduite devant un autre juge de paix.

3. La demande de décision préjudicielle qui s’inscrit dans le cadre de cette procédure soulève en particulier des questions relatives à la directive sur le temps de travail (2) et à l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée (3). Toutefois, la recevabilité de la demande est elle‑même litigieuse, car la République italienne et la Commission reprochent un conflit d’intérêts à la juridiction nationale.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive sur le temps de travail

4. L’article 1er de la directive sur le temps de travail régit l’objet et le champ d’application de celle‑ci :

« 1. La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

2. La présente directive s’applique :

a) aux périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire et de congé annuel ainsi qu’au temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail […]

b) […]

3. La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2 de la directive 89/391/CEE, sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive.

[…]

4. […] »

5. L’article 7 de la directive sur le temps de travail régit le droit à une période minimale de congé :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2. […] »

2. La directive 89/391/CEE

6. L’article 2 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (4) définit les secteurs d’activités qui sont visés par cette directive :

« 1. La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics (activités industrielles, agricoles, commerciales, administratives, de service, éducatives, culturelles, de loisirs, etc.).

2. La présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.

Dans ce cas, il y a lieu de veiller à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de la présente directive. »

3. L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée

7. L’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée a été rendu contraignant par la directive 1999/70.

8. La clause 2 de l’accord-cadre régit le champ d’application de celui‑ci :

« 1. Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre.

2. […] »

9. La clause 3 de l’accord-cadre définit plusieurs notions :

« Aux termes du présent accord, on entend par :

1. “travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;

2. “travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. […] »

10. La clause 4 de l’accord-cadre pose le principe de la non‑discrimination à l’encontre des travailleurs à durée déterminée :

« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

2. Lorsque c’est approprié, le principe du “pro rata temporis” s’applique.

3. Les modalités d’application de la présente clause sont définies par les États membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation [c]ommunautaire et [de] la législation, des conventions collectives et pratiques nationales.

4. Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont [justifiés] par des raisons objectives. »

B. Le droit italien

11. L’article 106 de la Constitution italienne comporte des dispositions fondamentales relatives à l’accès à la magistrature :

« Les magistrats sont nommés par concours.

La loi sur l’organisation judiciaire peut permettre la nomination, y compris élective, de magistrats “honoraires” [onorari] à toutes les fonctions attribuées à des juges uniques.

[…] »

12. L’article 1er de la legge n. 374, « Istituzione del giudice di pace » (loi nº 374 portant institution du juge de paix), du 21 novembre 1991, comporte des dispositions fondamentales relatives au statut et aux fonctions du juge de paix :

« 1. Il est institué un juge de paix, qui exerce la fonction juridictionnelle en matière civile et pénale et exerce la fonction de conciliation en matière civile selon les règles prévues par la présente loi.

2. La fonction de juge de paix est exercée par un magistrat “honoraire” appartenant à l’ordre judiciaire. »

13. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la loi nº 374 prévoit, pour l’accès à cette fonction, une procédure de concours qui est régie par les articles 4, 4a et 5 et qui se déroule en trois phases : a) établissement d’un classement provisoire sur titres aux fins de l’admission au stage ; b) déroulement du stage pendant une période de six mois ; c) établissement du classement définitif et nomination en tant que juge de paix à la suite des évaluations d’aptitude effectuées par les conseils judiciaires et le Consiglio superiore della magistratura (Conseil supérieur de la magistrature, Italie) (5). La République italienne expose que c’est le ministre de la Justice qui procède à la nomination proprement dite.

14. La République italienne expose en outre que les juges de paix sont nommés pour quatre ans et qu’ils peuvent tout au plus être reconduits dans leurs fonctions pour quatre années supplémentaires. Cette indication s’appuie vraisemblablement sur l’article 18, paragraphes 1 et 2, du décret législatif nº 116 du 13 juillet 2017. Il semble que la réglementation antérieure autorisait l’exercice des fonctions pendant une plus longue durée.

15. La compétence de la requérante en tant que juge de paix en matière pénale est réglementée par le decreto legislativo n. 274, « Disposizioni sulla competenza penale del giudice di pace » (décret législatif nº 274 portant dispositions sur la compétence pénale du juge de paix), du 28 août 2000 et par le codice penale (code pénal). L’article 4 du décret législatif nº 274/2000 prévoit notamment que le juge de paix est matériellement compétent pour connaître de certaines contraventions visées au code pénal ainsi que de certains délits ou tentatives de délits et contraventions indiqués dans certaines lois spéciales. Le juge de paix est également compétent pour connaître de certaines infractions liées à l’immigration, ainsi que pour contrôler certaines mesures relevant du droit des étrangers.

16. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la rémunération des juges de paix se compose de plusieurs éléments. Ils perçoivent, pour chaque mois de service effectif, un montant de base de 258,63 euros. Ils perçoivent en outre des indemnités au titre des audiences présidées et des procédures clôturées. Toutefois, les juges de paix ne sont pas rémunérés pendant les vacances judiciaires en août.

17. Cette réglementation concernant la rémunération se distingue de celle qui s’applique aux magistrats professionnels. Ceux-ci perçoivent un traitement mensuel et ont droit à un congé annuel payé de 30 jours.

18....

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