Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 18 de junio de 2020.

JurisdictionEuropean Union
Date18 June 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 18 juin 2020 (1)

Affaire C433/19

Ellmes Property Services Limited

contre

SP

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire – Règlement (UE) n° 1215/2012 – Notion de “droits réels immobiliers” – Action en cessation contre un copropriétaire – Usage touristique contraire à l’affectation résidentielle de l’immeuble en copropriété, telle que définie dans le contrat de copropriété »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle donne à la Cour l’occasion de se prononcer sur la compétence de connaître d’une action de droit autrichien par laquelle un copropriétaire exige, en substance, d’un autre copropriétaire qu’il cesse de faire un usage touristique de son appartement soumis au régime de copropriété au motif que cet usage n’est pas autorisé par le contrat de copropriété. En effet, la juridiction de renvoi indique que cette action est susceptible de relever de deux règles de compétence figurant dans le règlement (UE) n° 1215/2012 (2) : celle qui établit la compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers au profit des juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé et celle qui établit la compétence alternative en matière contractuelle au profit de la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation. En conséquence, l’examen des questions préjudicielles déférées fournit également à la Cour l’opportunité de se pencher sur la nature du contrat de copropriété du droit autrichien du point de vue de ce règlement.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

2. L’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 dispose :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

3. L’article 7, point 1, sous a), de ce règlement prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

[...] »

4. L’article 24 dudit règlement est libellé comme suit :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.

[...] »

B. Le droit autrichien

5. L’article 2 de la Wohnungseigentumsgesetz (loi sur la copropriété) (3), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la copropriété »), énonce :

« (1) La copropriété est le droit réel conféré à un copropriétaire d’un immeuble ou à un partenariat de copropriété d’avoir l’usage exclusif d’un bien en copropriété et d’en disposer seul. [...]

(2) Les biens en copropriété sont des appartements, d’autres locaux indépendants et des emplacements de stationnement pour véhicule à moteur (biens susceptibles de copropriété) sur lesquels se fonde la copropriété. Un appartement est une partie architecturalement fermée, indépendante aux yeux du public, d’un bâtiment et qui, de par sa nature et sa taille, est apte à satisfaire un besoin individuel de logement des personnes. Un autre local indépendant est une partie, architecturalement fermée, indépendante aux yeux du public, d’un bâtiment et qui, de par sa nature et sa taille, a une grande importance économique, telle que par exemple un local commercial ou un garage. [...]

[...]

(5) Le copropriétaire est le copropriétaire d’un immeuble auquel appartient la copropriété d’un bien en copropriété situé dans cet immeuble.

[...] »

6. L’article 3 de cette loi dispose :

« (1) La copropriété peut reposer sur le fondement

1. d’une convention écrite entre tous les copropriétaires (contrat de copropriété) [...]

[...] »

7. L’article 16 de ladite loi prévoit :

« (1) L’usage du bien en copropriété appartient au copropriétaire.

(2) Le copropriétaire a le droit d’apporter, à ses frais, des modifications (y compris des modifications de l’affectation) à son bien en copropriété, aux conditions suivantes :

1. La modification ne doit ni endommager la maison ni porter atteinte à un intérêt digne de protection d’un autre copropriétaire [...]

2. S’il est aussi recouru pour une telle modification à des parties communes de l’immeuble, il faut en outre que cette modification corresponde aux pratiques usuelles ou serve un intérêt important du copropriétaire. [...] »

III. Les faits du litige au principal

8. Ellmes Property Services et SP sont copropriétaires d’un immeuble à appartements situé à Zell am See (Autriche). Cette société est établie au Royaume-Uni, tandis que l’adresse du domicile de SP correspond à l’adresse de l’appartement dont il est copropriétaire.

9. L’appartement dont Ellmes Property Services est copropriétaire, affecté à des fins d’habitation, est utilisé à des fins touristiques par cette société et loué régulièrement à des vacanciers.

10. Par une action en cessation introduite devant le Bezirksgericht Zell am See (tribunal de district de Zell am See, Autriche), SP a demandé la cessation de cet « usage touristique » au motif qu’il serait contraire à l’affectation de cet immeuble et arbitraire, à défaut d’accord des autres copropriétaires, et, par conséquent, porterait atteinte à son droit de copropriété. En ce qui concerne la compétence internationale des juridictions autrichiennes, SP s’est prévalu de l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement n° 1215/2012, qui, en matière de droits réels immobiliers, établit la compétence exclusive des juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.

11. La juridiction saisie en première instance a décliné sa compétence, considérant que le litige portait sur une convention d’usage de droit privé et n’affectait pas directement la situation juridique des parties à cette convention au regard d’un droit réel.

12. En revanche, le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche), saisi en deuxième instance par SP, a considéré que les juridictions autrichiennes étaient compétentes pour connaître de ce litige au titre de l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012. Selon cette juridiction, l’affectation d’un bien appartenant à une copropriété repose sur un accord de droit privé donné par les copropriétaires sous la forme, en principe, d’un contrat de copropriété. L’affectation à un usage déterminé d’un tel bien ainsi que le respect de l’usage ainsi défini font partie des droits réels des copropriétaires bénéficiant d’une protection absolue.

13. Ellmes Property Services a saisi la juridiction de renvoi d’un recours en révision.

IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

14. Dans ces circonstances, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) a, par décision du 21 mai 2019, parvenue au greffe de la Cour le 6 juin 2019, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 24, point 1, premier alinéa, première alternative, du règlement [n° 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens que les actions d’un copropriétaire tendant à interdire à un autre copropriétaire de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, son bien en copropriété, notamment l’affectation de celui‑ci, ont pour objet de faire valoir un droit réel ?

2) Dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative à cette question :

L’article 7, point 1, sous a), du règlement [n° 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens que les actions évoquées [dans la première question] ont pour objet des obligations contractuelles qui doivent être exécutées au lieu où se situe la chose ? »

15. Dans le cadre de la procédure ainsi instituée, les parties au principal et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience, estimant être suffisamment informée pour statuer.

V. Analyse

16. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que l’action d’un copropriétaire tendant à interdire à un autre copropriétaire de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, son bien en copropriété, notamment l’affectation de celui‑ci, relève de cette disposition. Par sa seconde question, cette juridiction demande à la Cour d’interpréter l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement eu égard aux particularités de cette action.

17. Il ressort de la formulation des questions préjudicielles que la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle, indépendamment de la réponse qui sera apportée, l’action de droit autrichien visée par ces questions relève de la notion de « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 et entre dans le champ d’application de ce règlement. Rien ne permet de remettre en cause cette prémisse. En effet, le litige au principal dans le cadre duquel cette action est intentée s’inscrit parfaitement dans cette notion et ne relève pas des exclusions prévues à l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement.

18. Dans les présentes conclusions, je présenterai donc, tout d’abord, quelques remarques générales sur l’action de droit autrichien au regard de laquelle sont posées les questions préjudicielles (titre A). Ensuite, j’analyserai les questions préjudicielles dans l’ordre privilégié par la juridiction de renvoi. En effet, comme l’estime à juste titre cette juridiction, la seconde question ne se pose que si la réponse à la première question est négative. Si une action relève de l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, qui concerne la compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers (titre B), il n’est plus nécessaire...

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