Opinion of Advocate General Kokott delivered on 5 March 2020.

JurisdictionEuropean Union
Date05 March 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 5 mars 2020 (1)

Affaire C66/18

Commission européenne

contre

Hongrie

« Procédure en manquement – Article 258 TFUE – Compétence de la Cour – Violation par un État membre des obligations découlant de l’accord général sur le commerce des services (AGCS) – Libre prestation de services – Directive 2006/123/CEArticle 16Article 56 TFUE – Liberté d’établissement – Article 49 TFUE – Services d’enseignement – Enseignement supérieur – Prestataire de services originaire d’un État tiers – Conditions légales pour la fourniture de services d’enseignement dans un État membre – Exigence d’une convention internationale avec l’État d’origine – Exigence d’une activité d’enseignement effective dans l’État d’origine – Applicabilité de la Charte des droits fondamentaux – Article 13 – Liberté des sciences – Article 14 paragraphe 3 – Liberté de créer des établissements d’enseignement »






I. Introduction

1. La présente procédure en manquement a pour objet deux modifications apportées en 2017 à la loi hongroise relative à l’enseignement supérieur. En vertu de cette loi, les établissements d’enseignement supérieur d’États en dehors de l’EEE doivent démontrer, pour lancer ou poursuivre leur activité en Hongrie, la conclusion d’une convention internationale entre la Hongrie et leur État d’origine, cette convention devant, dans le cas d’États fédéraux, nécessairement avoir été conclue par le gouvernement central. L’activité de tous les établissements d’enseignement supérieur étrangers est en outre soumise à la condition qu’un enseignement supérieur doit être également offert dans l’État d’origine concerné.

2. Selon ses détracteurs, le gouvernement hongrois poursuit avec cette loi un unique objectif : empêcher la Central European University (CEU) d’exercer son activité en Hongrie. Par conséquent, la loi est parfois qualifiée de « lex CEU » dans le débat public.

3. La CEU a été fondée en 1991 par une initiative dont l’objectif déclaré est d’encourager des échanges critiques dans le cadre de la formation des futurs décideurs des États d’Europe centrale et orientale dans lesquels le pluralisme était auparavant exclu. La CEU est une université fondée en vertu du droit de l’État de New York et elle dispose d’une autorisation d’exploitation (« Absolute Charter ») délivrée par cet État. Ses principaux soutiens sont les fondations « Open Society » de l’homme d’affaire américain d’origine hongroise, Georges Soros, controversé dans certains milieux (2). En raison de son objectif particulier, la CEU n’a à aucun moment développé d’activité d’enseignement ou de recherche aux États‑Unis.

4. Parmi les six établissements d’enseignement supérieur étrangers qui au moment de la modification de la loi sur l’enseignement supérieur exerçaient en Hongrie une activité nécessitant une autorisation, la CEU était la seule qui en raison de son modèle particulier ne pouvait pas satisfaire aux nouvelles exigences. Elle a par conséquent cessé ses activités en Hongrie ; en novembre 2019, elle a ouvert un nouveau campus à Vienne.

5. Dans ces circonstances, la Commission voit dans la nouvelle réglementation, non seulement une restriction de la libre prestation de services, mais aussi et en particulier une violation de la liberté des sciences consacrée par la Charte européenne des droits fondamentaux.

6. En outre, dans la mesure où l’une des deux nouvelles exigences ne s’applique qu’aux établissements d’enseignement supérieur provenant d’États hors EEE, la procédure revêt une dimension particulière supplémentaire. En effet, la Commission reproche à la Hongrie une violation du droit de l’organisation mondiale du commerce (World Trade Organization, ci‑après « OMC »), plus précisément de l’accord général sur le commerce des services. La Cour devra donc dans la présente procédure également juger dans quelle mesure la procédure en manquement peut servir d’instrument pour faire respecter et renforcer l’effectivité du droit du commerce international.

II. Cadre juridique

A. Droit de l’Union

1. Décision du Conseil relative à la conclusion des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay

7. Par la décision 94/800/CE du 22 décembre 1994 relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986 – 1994) (3), le Conseil a autorisé l’accord créant l’OMC ainsi que les accords dans les annexes 1 à 3 de cet accord dont notamment l’accord général sur le commerce des services (General Agreement on Trade in Services, ci‑après « AGCS »).

8. L’article 1er de l’AGCS dispose :

« (1) Le présent accord s’applique aux mesures des membres qui affectent le commerce des services.

(2) Aux fins du présent accord, le commerce des services est défini comme étant la fourniture d’un service :

a) en provenance du territoire d’un membre et à destination du territoire de toute autre membre ;

b) sur le territoire d’un membre à l’intention d’un consommateur de services de tout autre membre ;

c) par un fournisseur de services d’un membre, grâce à une présence commerciale sur le territoire de tout autre membre ;

d) par un fournisseur de services d’un membre, grâce à la présence de personnes physiques d’un membre sur le territoire de tout autre membre.

[…] »

9. L’article XIV de l’AGCS prévoit sous l’intitulé « Exceptions générales » ce qui suit :

« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où des conditions similaires existent, soit une restriction déguisée au commerce des services, aucune disposition du présent accord ne sera interprétée comme empêchant l’adoption ou l’application par tout membre de mesures :

a) nécessaires à la protection de la moralité publique ou au maintien de l’ordre public (4) […] ;

c) nécessaires pour assurer le respect des lois ou réglementations qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du présent chapitre, y compris celles qui se rapportent :

i) à la prévention des pratiques de nature à induire en erreur et frauduleuses ou aux moyens de remédier aux effets d’un manquement à des contrats de services ; […]

iii) à la sécurité ; […] »

10. L’article XVI de l’AGCS se trouve dans la partie III de l’accord sur les « engagements spécifiques ». Sous le titre « Accès aux marchés », cette disposition prévoit :

« (1) En ce qui concerne l’accès aux marchés […] chaque Membre accordera aux services et fournisseurs de services de tout autre Membre un traitement qui ne sera pas moins favorable que celui qui est prévu en application des modalités, limitations et conditions convenues et spécifiées dans sa Liste.

(2) Dans les secteurs où des engagements en matière d’accès aux marchés seront contractés, les mesures qu’un Membre ne maintiendra pas, ni n’adoptera, […] se définissent comme suit :

a) limitations concernant le nombre de fournisseurs de services, que ce soit sous forme de contingents numériques, de monopoles, de fournisseurs exclusifs de services ou de l’exigence d’un examen des besoins économiques ;

b) limitations concernant la valeur totale des transactions ou avoirs en rapport avec les services, sous forme de contingents numériques ou de l’exigence d’un examen des besoins économiques ;

c) limitations concernant le nombre total d’opérations de services ou la quantité totale de services produits, exprimées en unités numériques déterminées, sous forme de contingents ou de l’exigence d’un examen des besoins économiques ;

d) limitations concernant le nombre total de personnes physiques qui peuvent être employées dans un secteur de services particulier, ou qu’un fournisseur de services peut employer et qui sont nécessaires pour la fourniture d’un service spécifique, et s’en occupent directement, sous forme de contingents numériques ou de l’exigence d’un examen des besoins économiques ;

e) mesures qui restreignent ou prescrivent des types spécifiques d’entité juridique ou de coentreprise par l’intermédiaire desquels un fournisseur de services peut fournir un service ; et

f) limitations concernant la participation de capital étranger, exprimées sous forme d’une limite maximale en pourcentage de la détention d’actions par des étrangers, ou concernant la valeur totale d’investissements étrangers particuliers ou des investissements étrangers globaux. »

11. Aux termes de l’article XVII de l’AGCS, sous le titre « Traitement national » :

« Dans les secteurs inscrits dans sa Liste, et compte tenu des conditions et restrictions qui y sont indiquées, chaque Membre accordera aux services et fournisseurs de services de tout autre Membre, en ce qui concerne toutes les mesures affectant la fourniture de services, un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de services similaires.

[…]

(3) Un traitement formellement identique ou formellement différent sera considéré comme étant moins favorable s’il modifie les conditions de concurrence en faveur des services ou fournisseurs de services du Membre par rapport aux services similaires ou aux fournisseurs de services similaires de tout autre Membre. »

12. L’article XX de l’AGCS stipule :

« Chaque Membre indiquera dans une liste les engagements spécifiques qu’il contracte au titre de la Partie III du présent accord. En ce qui concerne les secteurs pour lesquels ces engagements sont contractés, chaque Liste précisera :

a) les modalités, limitations et conditions concernant l’accès aux marchés ;

b) les conditions et restrictions concernant le traitement national ; […]

(2) Les mesures incompatibles à la fois avec les articles XVI et XVII seront inscrites dans la colonne relative à l’article XVI. Dans ce cas, l’inscription sera considérée comme introduisant une condition ou une restriction concernant également...

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