Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 15 avril 2021.

JurisdictionEuropean Union
Date15 April 2021
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 15 avril 2021 (1)

Affaire C490/20

V.М.А.

contre

Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo »“ (Commune de Sofia, arrondissement de Pancharevo, Bulgarie)

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Article 21 TFUE – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Enfant d’un couple marié de même sexe né dans un État membre – Acte de naissance délivré par cet État membre désignant deux mères pour l’enfant, dont une ressortissante d’un autre État membre – Réglementation nationale de ce second État membre n’admettant pas la délivrance d’un acte de naissance désignant deux mères – Détermination de la filiation d’un enfant – Refus d’indiquer la femme ayant donné naissance à l’enfant – Article 4, paragraphe 2, TUE – Respect de l’identité nationale des États membres – Intensité du contrôle juridictionnel »






I. Introduction

1. Un État membre doit-il délivrer un acte de naissance sur lequel sont inscrites deux femmes en tant que mères, dont l’une est ressortissante de cet État membre, à un enfant né dans un autre État membre où un tel acte de naissance lui a été délivré ? C’est en substance la question posée à la Cour par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie) dans la présente procédure préjudicielle.

2. Le refus de la part des autorités bulgares de délivrer un tel acte de naissance est motivé, pour l’essentiel, par le fait que le droit bulgare ne permet pas d’inscrire deux mères en tant que parents d’un enfant sur un acte de naissance. Cette impossibilité provient du fait que, en Bulgarie, prévaut la conception de la famille dite « traditionnelle » qui constitue, selon les indications de la juridiction de renvoi, une valeur protégée au titre de l’identité nationale au sens de l’article 4, paragraphe 2, TUE. Étant donné que cela implique qu’il ne peut y avoir qu’une seule mère d’un enfant, les autorités bulgares estiment donc nécessaire d’identifier la femme qui a accouché de l’enfant afin de n’inscrire que celle‑ci sur l’acte de naissance, information que le couple concerné refuse de dévoiler.

3. La délivrance de l’acte de naissance demandé confirmerait non seulement, dans les faits, la nationalité de l’enfant concerné mais aussi son statut de citoyen de l’Union européenne. Il en dépend également la possibilité pour la requérante au principal et son épouse d’être considérées comme étant les parents de leur fille en vertu du droit national de l’État membre d’origine de l’une d’elles. C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a saisi la Cour de la question de savoir si le refus de délivrer un acte de naissance bulgare reconnaissant les liens de parenté noués en Espagne est contraire à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’aux droits fondamentaux de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), définis notamment à son article 7 et son article 24, paragraphe 2.

4. Cette question revêt un caractère très sensible, eu égard à la compétence exclusive que détiennent les États membres dans les domaines de la nationalité ainsi que du droit de la famille et aux différences considérables qui existent, à ce jour, au sein de l’Union en ce qui concerne le statut juridique et les droits reconnus aux couples de même sexe. Elle est en outre d’une importance pratique notable, ce dont fait preuve l’affaire C‑2/21, Rzecznik Praw Obywatelskich, actuellement pendante devant la Cour, dont le cadre factuel et juridique est fortement semblable à celui de la présente affaire et qui soulève pour partie des questions presque identiques.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le règlement (UE) 2016/1191

5. Le règlement (UE) 2016/1191/UE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, visant à favoriser la libre circulation des citoyens en simplifiant les conditions de présentation de certains documents publics dans l’Union européenne, et modifiant le règlement (UE) nº 1024/2012 (2), dispense de légalisation ou d’une formalité similaire certains documents publics délivrés par les autorités d’un État membre conformément à son droit national dont la finalité est d’établir, entre autres, la naissance et la filiation. Il s’applique, conformément à son article 2, paragraphe 1, lorsque de tels documents doivent être présentés aux autorités d’un autre État membre.

6. Conformément au considérant 7 de ce règlement, celui‑ci ne devrait pas obliger les États membres à délivrer des documents publics qui n’existent pas dans leur droit national.

7. L’article 2, paragraphe 4, dudit règlement prévoit qu’il ne s’applique pas à la reconnaissance dans un État membre d’effets juridiques attachés au contenu de documents publics délivrés par les autorités d’un autre État membre.

2. La directive 2004/38/CE

8. La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) nº 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (3), définit, à son article 2, point 2, les « membre[s] de la famille » d’un citoyen de l’Union comme suit :

« a) le conjoint ;

b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ;

c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; »

9. Cette directive prévoit à son article 4, intitulé « Droit de sortie » :

« 1. Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage, applicables aux contrôles aux frontières nationales, tout citoyen de l’Union muni d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité, ainsi que les membres de sa famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre munis d’un passeport en cours de validité, ont le droit de quitter le territoire d’un État membre en vue de se rendre dans un autre État membre.

[...]

3. Les États membres, agissant conformément à leur législation, délivrent à leurs citoyens, ou renouvellent, une carte d’identité ou un passeport indiquant leur nationalité.

[...] »

B. Le droit bulgare

10. Aux termes de l’article 46, paragraphe 1, de la Constitution bulgare qui figure à son chapitre 2, intitulé « Principaux droits et obligations des citoyens », « [l]e mariage est une union volontaire entre un homme et une femme ».

11. En l’état actuel, le droit bulgare ne permet ni le mariage ni toute autre forme d’union assortie d’effets juridiques entre personnes de même sexe.

12. La filiation est régie par le chapitre VI du Semeen kodeks (code de la famille) (4). Aux termes de son article 60, paragraphes 1 et 2 :

« (1) La filiation à l’égard de la mère est déterminée par la naissance.

(2) La mère de l’enfant est la femme qui lui a donné naissance, y compris en cas de procréation assistée. »

13. L’article 61 du code de la famille prévoit :

« (1) L’époux de la mère est réputé être le père de l’enfant, né au cours du mariage ou dans un délai de trois-cent jours suivant sa dissolution.

(2) Si l’enfant est né dans un délai de trois-cent jours après la dissolution du mariage, mais après que la mère s’est remariée, le nouvel époux de la mère est réputé être le père de l’enfant.

[...] »

14. Conformément à l’article 64 du code de la famille, lorsque la filiation d’un enfant à l’égard d’un de ses parents est inconnue, tout parent peut reconnaître son enfant. Cette reconnaissance se fait, selon l’article 65 de ce même code, par voie de déclaration unilatérale auprès de l’agent de l’état civil ou de déclaration avec signature certifiée conforme par un notaire.

15. Le naredba nº RD-02-20-9, du 21 mai 2012, sur le fonctionnement du système unique de registre de l’état civil, du ministre du Développement régional et de l’Aménagement du territoire (ci-après le « règlement nº RD-02-20-9 ») (5) prévoit à son article 12 :

« (1) En cas d’enregistrement d’une naissance survenue à l’étranger, les informations relatives au nom du titulaire, à la date et au lieu de naissance, au sexe et à la filiation établie sont inscrites dans l’acte de naissance telles qu’elles figurent dans la copie ou dans la traduction en langue bulgare du document étranger produit.

[...]

(3) Lorsque la filiation concernant un parent (mère ou père) n’est pas établie, lors de l’établissement d’un acte de naissance en République de Bulgarie, le champ correspondant, destiné aux données relatives à ce parent, n’est pas rempli et il est biffé.

(4) Si la copie ou l’extrait ne contient pas toutes les données requises concernant les parents, l’on recourt aux données de leurs documents d’identité ou du registre de la population. Les informations relatives au numéro d’identité personnel, à la date de naissance, au patronyme (s’il en a un) et à la nationalité du parent ressortissant bulgare sont complétées sur la base du registre de la population. La date de naissance et la nationalité du parent, ressortissant étranger, peuvent être complétées avec son document d’identité national. En cas d’impossibilité de compléter l’ensemble des données relatives à ce parent, l’acte ne contient que les informations disponibles.

[...] »

III. Les faits et le litige au principal

16. V.M.A...

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