Conclusiones del Abogado General Sr. M. Campos Sánchez-Bordona, presentadas el 8 de julio de 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:561
Celex Number62020CC0289
Date08 July 2021
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 8 juillet 2021 (1)

Affaire C289/20

IB

contre

FA

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Paris (France)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence judiciaire internationale, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale – Règlement (CE) no 2201/2003 – Notion de résidence habituelle »






1. Dans le cadre de la coopération judiciaire en matière civile, facilitée d’abord par le traité de Maastricht (2), puis par le traité d’Amsterdam (3), l’Union européenne s’est, dans les dernières années du XXe siècle, saisie des problèmes du droit de la famille liés au phénomène de l’intégration.

2. S’agissant de la compétence judiciaire en matière matrimoniale, une première convention, qui n’est pas entrée en vigueur (4), a été suivie du règlement (CE) nº 1347/2000 (5), abrogé par le règlement (CE) nº 2201/2003 (6) , instrument actuellement en vigueur (7).

3. La Cour a interprété l’article 3 du règlement nº 2201/2003 au fil de plusieurs renvois préjudiciels (8). Sauf erreur de ma part, aucun de ces arrêts de la Cour n’a porté sur les conséquences que l’admission, pour l’un (ou les deux) époux, d’une « résidence habituelle » qui serait double, voire multiple, pourrait emporter pour l’interprétation dudit règlement.

4. Ce renvoi préjudiciel permettra donc à la Cour d’examiner une question qui s’est déjà posée dans d’autres domaines (9), mais n’a pas encore été tranchée en matière matrimoniale. La réponse exigera, au préalable, de délimiter la notion de « résidence habituelle » lorsqu’elle sert à déterminer la compétence judiciaire internationale pour les litiges en matière de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage.

I. Le cadre juridique. Le règlement no 2201/2003

5. Aux termes du considérant 1 :

« La Communauté européenne s’est donné pour objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes. À cette fin, la Communauté adopte, notamment, les mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur. »

6. Le considérant 8 énonce :

« En ce qui concerne les décisions de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage, le présent règlement ne devrait s’appliquer qu’à la dissolution du lien matrimonial et ne devrait pas concerner des questions telles que les causes de divorce, les effets patrimoniaux du mariage ou autres mesures accessoires éventuelles. »

7. Aux termes de l’article 3 :

« 1. Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :

a) sur le territoire duquel se trouve :

– la résidence habituelle des époux, ou

– la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou

– la résidence habituelle du défendeur, ou

– en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou

– la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou

– la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume‑Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ;

b) de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume‑Uni et de l’Irlande, du “domicile” commun.

[...] »

II. Les faits, le litige et la question préjudicielle

8. Mme FA, de nationalité irlandaise, et M. IB, de nationalité française, se sont mariés en Irlande en 1994. Ils ont trois enfants qui sont déjà majeurs.

9. Le 28 décembre 2018, M. IB a déposé une requête en divorce devant le tribunal de grande instance de Paris (France).

10. Par ordonnance du 11 juillet 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris (France) a déclaré les juridictions françaises incompétentes pour statuer sur le divorce. Il a justifié sa décision par les faits suivants :

– Le domicile familial se situait en Irlande, où la famille s’était installée en 1999 et avait acheté un bien immobilier constituant leur domicile conjugal ; les enfants résidaient également en Irlande et y poursuivaient leurs études.

– Aucune séparation n’était intervenue entre les époux et rien n’indiquait qu’ils aient eu une volonté commune de transférer leur domicile en France.

– Il existait en revanche de nombreux éléments confirmant le lien personnel et familial de M. IB avec l’Irlande, où il se rendait chaque fin de semaine pour rejoindre son épouse et ses enfants, et y pratiquer de façon régulière des activités sportives et de loisirs.

– Au cours des six mois précédant le dépôt de la requête (et donc postérieurement au 27 juin 2018), aucun changement n’est intervenu dans le mode de vie de M. IB laissant penser qu’il aurait abandonné sa résidence en Irlande. Il a au contraire poursuivi la même vie de famille jusqu’aux vacances de Noël 2018, qu’il a passées avec son épouse et ses enfants au domicile familial.

– Le rattachement de M. IB à l’Irlande ne l’empêche pas d’avoir un lien avec la France, où, depuis 2017, il se rend toutes les semaines pour travailler. Il possède de facto deux résidences, l’une en semaine à Paris, pour des raisons professionnelles, et l’autre, le reste du temps, auprès de son épouse et de ses enfants en Irlande.

11. M. IB a interjeté appel de l’ordonnance du juge de première instance devant la cour d’appel de Paris (France), en demandant que celle‑ci soit infirmée et que soit déclarée la compétence territoriale des juridictions françaises pour statuer sur le divorce. Il a notamment contesté son absence d’intention d’installer en France « le centre permanent ou habituel de ses intérêts, avec la volonté de lui conférer un caractère stable ».

12. Mme FA a invité la cour d’appel à confirmer l’ordonnance attaquée.

13. Selon la cour d’appel de Paris, M. IB a établi une résidence stable et permanente en France au moins six mois avant l’introduction de sa requête en divorce, sans pour autant perdre sa résidence en Irlande, où il conservait des attaches familiales et où il effectuait des séjours pour sa convenance personnelle aussi régulièrement qu’auparavant.

14. La cour d’appel estime ainsi que M. IB conserve en France une résidence présentant les caractéristiques de stabilité et de permanence qui lui confèrent la nature de résidence habituelle, tout en ayant concomitamment une résidence présentant les mêmes caractéristiques en Irlande.

15. Elle en déduit que les juridictions françaises et irlandaises pourraient être également compétentes pour statuer sur le divorce, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième et sixième tirets, du règlement nº 2201/2003.

16. Dans ce contexte, l’interprétation de la notion de « résidence habituelle » lui paraît indispensable, de sorte qu’elle saisit la Cour de la question préjudicielle suivante :

« Quand, comme en l’espèce, il ressort des circonstances de fait qu’un des époux partage sa vie entre deux États membres, peut-il être considéré, au sens de l’article 3 du règlement nº 2201/2003 et pour son application, qu’il a sa résidence habituelle dans deux États membres, de sorte que si les conditions énumérées par cet article sont remplies dans deux États membres, les juridictions de ces deux États sont également compétentes pour statuer sur le divorce ? »

III. La procédure devant la Cour

17. La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 30 juin 2020.

18. Des observations écrites ont été présentées par Mme FA, les gouvernements allemand, français, irlandais et portugais, ainsi que par la Commission européenne.

19. Le 17 février 2021, M. IB a présenté une demande motivée d’audience de plaidoiries. Il a toutefois consenti à ce que, en raison de la crise sanitaire, cette audience soit remplacée par des observations écrites, ce qui a été convenu. Outre M. IB, les gouvernements français et irlandais ainsi que la Commission ont déposé des observations destinées à remplacer l’audience.

IV. Appréciation

A. Observations liminaires

20. La demande préjudicielle repose sur la prémisse qu’une personne « partage sa vie entre deux États membres » (10). La juridiction de renvoi souhaite connaître l’incidence de ce facteur dans la détermination de la juridiction compétente pour statuer sur une demande de divorce.

21. La réponse impose de prendre position sur ce qu’il faut entendre par « résidence habituelle » d’un adulte, aux fins de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 2201/2003. S’il était confirmé que M. IB peut avoir sa résidence habituelle, au sens de cette disposition, dans deux États membres, il conviendrait d’examiner si les juridictions des deux États membres sont également compétentes pour statuer sur le divorce.

22. Pour mieux comprendre la norme applicable, j’évoquerai d’abord sa genèse.

23. Le règlement nº 2201/2003 régit la compétence judiciaire internationale en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération entre autorités de tous les États de l’Union européenne, à l’exception du Danemark.

24. Il ne s’agit pas du premier instrument en la matière. Comme je l’ai déjà noté, une convention portant sur les mêmes aspects (quoique plus limitée en ce qui concerne la responsabilité parentale) a été conclue en 1998. Elle a été accompagnée d’un rapport explicatif exposant la raison d’être de ses règles (11).

25. La convention de 1998 n’est pas entrée en vigueur. La Communauté ayant peu après acquis une compétence dans le domaine de la coopération judiciaire civile, les dispositions de cette convention ont été incorporées dans le règlement nº 1347/2000, dont le...

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