Opinion of Advocate General Kokott delivered on 16 September 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:747
Date16 September 2021
Celex Number62020CC0302
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 septembre 2021 (1)

Affaire C302/20

M. A

contre

Autorité des marchés financiers,

(demande de décision préjudicielle formée par la Cour d’appel de Paris, France)

« Procédure préjudicielle – Marché intérieur des services financiers – Fonctionnement et intégrité des marchés de capitaux – Informations privilégiées et opérations d’initiés – Directive 2003/6/CE (directive relative aux abus de marché) – Interdiction de divulguer des informations privilégiées – Directive 2003/124/CE – Article 1er, paragraphe 1 – Notion d’information privilégiée – Critères de la précision et du caractère susceptible d’influencer les cours – Rumeur de marché – Divulgation par un journaliste à une autre personne de la publication prochaine d’un article relatif à une rumeur de marché – Règlement (UE) no 596/2014 (règlement relatif aux abus de marché) – Article 21 – Divulgation d’une information privilégiée à des fins journalistiques – Article 10 – Divulgation d’une information privilégiée dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions »





I. Introduction

1. La législation européenne en matière d’abus de marché vise au premier chef à garantir l’intégrité et le caractère égalitaire des marchés de capitaux. Cela doit créer la confiance des investisseurs qui, de son côté, a un rôle clé dans la capacité de fonctionnement du marché (2). En tant qu’élément essentiel de la législation en matière d’abus de marché, la législation en matière d’opérations d’initiés vise à réaliser cet objectif au travers de l’égalité de traitement en matière d’information entre les opérateurs du marché. Aucun investisseur ne doit pouvoir tirer d’informations pertinentes, mais non publiquement accessibles, un avantage au détriment des investisseurs qui n’ont pas, ou ne peuvent pas avoir, connaissance de ces informations (3).

2. C’est la raison pour laquelle la législation en matière d’opérations d’initiés prévoit, d’une part, que, en principe, dans la mesure du possible, toutes les informations pertinentes doivent être mises à la disposition du public en ce que l’émetteur de valeurs mobilières doit régulièrement publier les informations le concernant (« publicité ad hoc ») (4). D’autre part, il ne faut pas qu’il puisse être tiré profit des déséquilibres en matière d’information qui persistent néanmoins (interdiction des opérations d’initiés (5)) et qu’ils restent cantonnés au plus petit nombre possible de personnes (interdiction de la divulgation illicite d’informations privilégiées (6)).

3. La présente demande de décision préjudicielle porte en substance sur l’interdiction de divulguer des informations privilégiées et ses limites. Dans la procédure au principal, un journaliste financier conteste une sanction qui lui a été infligée en raison de la communication alléguée d’une information privilégiée et il invoque à cet égard essentiellement une violation de sa liberté de presse. Certes, eu égard à l’objectif de la législation en matière d’opérations d’initiés d’établir la transparence la plus élevée possible, le traitement journalistique des informations privilégiées apparaît, du moins en partie, souhaitable du point de vue de la législation en matière d’opérations d’initiés. Toutefois, notamment au stade précédant la propagation large et la publication dans les médias d’une information, il se peut que survienne un conflit entre, d’une part, la législation en matière d’opérations d’initiés et, d’autre part, la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les médias. La manière dont ce conflit peut être résolu fait l’objet de la deuxième série des questions adressées à la Cour par la juridiction de renvoi, la Cour d’appel de Paris.

4. Mais, au préalable, cette juridiction se pose la question de savoir si la divulgation reprochée au demandeur au principal portait bien sur une information privilégiée. À cet égard, dans le cadre de la première série de questions, la Cour devra avant tout préciser dans quelles circonstances une rumeur de marché, et donc une information visiblement incertaine, peut déclencher les mécanismes de la législation en matière d’opérations d’initiés.

II. Cadre juridique

A. Droit de l’Union

1. Directive 2003/6 (directive relative aux abus de marché)

5. La directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (ci‑après la « MAD », acronyme de market abuse directive) (7) contient dans son article 1er, point 1, une définition de la notion d’« information privilégiée » :

« […] une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés ».

6. En vertu de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la MAD, les États membres interdisent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information.

7. En outre, en vertu de l’article 3 de la MAD, les États membres interdisent à toute personne soumise à l’interdiction prévue à l’article 2,

« a) de communiquer une information privilégiée à une autre personne, si ce n’est dans le cadre normal de l’exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ;

b) de recommander à une autre personne d’acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ».

2. Directive 2003/124

8. Les deux premiers considérants de la directive de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché (ci‑après la « directive 2003/124 ») (8) énoncent :

« (1) Les investisseurs raisonnables fondent leurs décisions d’investissement sur les informations dont ils disposent déjà (“informations disponibles ex ante”). En conséquence, la question de savoir si un investisseur raisonnable serait susceptible, au moment de prendre une décision d’investissement, de tenir compte d’une information donnée doit être appréciée sur la base des informations disponibles ex ante. Cette appréciation doit prendre en considération l’impact anticipé de l’information en question compte tenu de l’ensemble de l’activité de l’émetteur concerné, de la fiabilité de la source d’information et de toutes autres variables de marché susceptibles d’exercer en l’occurrence une influence sur l’instrument financier concerné ou tout instrument financier dérivé qui lui est lié.

(2) Les informations disponibles ex post peuvent servir à vérifier l’hypothèse de sensibilité des cours à l’information disponible ex ante, mais elles ne peuvent être utilisées pour poursuivre une personne qui aurait tiré des conclusions raisonnables des informations dont elle disposait ex ante ».

9. L’article 1er de cette directive définit plus précisément la notion d’information privilégiée :

« 1. Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la [MAD], une information est réputée “à caractère précis” si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

2. Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la [MAD], on entend par “information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés”, une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement ».

3. Règlement no 596/2014 (règlement relatifs aux abus de marché)

10. Le règlement nº 596/2014 (ci‑après le „MAR“, acronyme de market abuse regulation) a remplacé la MAD et, conformément à son article 39, paragraphe 2, s’applique dans les États membres depuis le 3 juillet 2016.

11. Le soixante-dix-septième considérant de ce règlement énonce :

« Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après dénommée “charte”). En conséquence, le présent règlement devrait être interprété et appliqué conformément à ces droits et principes. En particulier, lorsque le présent règlement fait référence à des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans d’autres médias, ainsi qu’aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, il convient de tenir compte de ces libertés telles qu’elles sont garanties dans l’Union et dans les États membres et consacrées par l’article 11 de la charte et par d’autres dispositions pertinentes ».

12. La définition de la notion d’information privilégiée à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du MAR correspond à celle figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la MAD.

13...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT