Opinion of Advocate General Hogan delivered on 16 September 2021.

JurisdictionEuropean Union
Date16 September 2021
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 16 septembre 2021 (1)

Affaire C251/20

Gtflix Tv

contre

DR

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Publication sur Internet de commentaires dénigrants à l’encontre d’une personne morale – Actions en rectification des données, suppression des contenus et réparation du préjudice subi – Compétence judiciaire pour connaître de l’action en réparation du préjudice subi – Poursuites stratégiques altérant le débat public (poursuites-bâillons) »






I. Introduction

1. Dès l’entrée en vigueur de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions (2), et son remplacement ultérieur par les diverses versions du règlement de Bruxelles (3), cet ensemble de règles de droit international privé « européanisées » a cherché à assurer prévisibilité et certitude dans l’attribution aux juridictions des différents États membres de la compétence en matière civile. Le système de Bruxelles a cherché également à concentrer, autant que faire se peut, les lieux où peuvent éventuellement être jugée une affaire spécifique dans aussi peu de systèmes juridiques que possible, à savoir ceux ayant le lien le plus étroit avec le recours.

2. Toutefois, ces objectives ont été bousculés par une série d’affaires qui remontent, à tout le moins, à la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Shevill e.a. (4) au début de l’année 1995. Le problème se fait ressentir de manière particulièrement aiguë lorsque le demandeur entend se voir indemniser dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle pour publication diffamatoire et autres types similaires de publication, en alléguant que l’acte dommageable a causé un préjudice dans bon nombre d’ordres juridiques différents. Dans pareilles circonstances, il ne paraît pas possible de se raccrocher à une règle qui réponde de manière satisfaisante à ces objectifs, éventuellement contradictoires, de garantir certitude, prévisibilité et proximité, d’une part, et, ce faisant, d’éviter une multiplicité de lieux de jugement possibles, d’autre part. Les avancées technologiques du monde d’aujourd’hui accentuent ces difficultés lorsque les commentaires prétendument diffamatoires ou répréhensibles à un autre titre ont été publiés sur Internet.

3. C’est dans ce contexte juridique général que s’inscrivent les questions complexes de compétence soulevées par le présent renvoi préjudiciel, qui porte sur l’interprétation de l’article 7, point 2, du règlement nº 1215/2012.

4. La demande a été présentée dans le cadre d’un litige qui oppose Gtflix Tv, une société de divertissement pour adultes établie en République tchèque, et DR, un réalisateur, producteur et distributeur de films pornographiques domicilié en Hongrie, concernant la réparation du préjudice subi en raison de propos prétendument dénigrants que DR a diffusés sur plusieurs sites et forums. Avant d’examiner les faits ou les questions quant au fond du droit, il convient d’exposer d’abord le cadre juridique pertinent.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

5. La convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, signée le 20 mars 1883, révisée à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, nº 11851, p. 305) concerne la propriété industrielle au sens large de la notion et couvre les brevets, marques de produits, dessins et modèles industriels, modèles d’utilité, marques de services, noms commerciaux, indications géographiques, ainsi que la répression de la concurrence déloyale.

6. L’article 10bis de cette convention prévoit :

« 1) Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale.

2) Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

3) Notamment devront être interdits :

1. tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;

2. les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;

3. les indications ou allégations dont l’usage, dans l’exercice du commerce, est susceptible d’induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l’aptitude à l’emploi ou la quantité des marchandises. »

B. Le droit de l’Union

1. Le règlement no 1215/2012

7. Les considérants 13 à 16 et 21 du règlement nº 1215/2012 précisent ce qui suit :

« (13) Il doit y avoir un lien entre les procédures relevant du présent règlement et le territoire des États membres. Des règles communes en matière de compétence devraient donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre.

(14) D’une manière générale, le défendeur non domicilié dans un État membre devrait être soumis aux règles de compétence nationales applicables sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.

Cependant, pour assurer la protection des consommateurs et des travailleurs, pour préserver la compétence des juridictions des États membres dans les cas où elles ont une compétence exclusive et pour respecter l’autonomie des parties, certaines règles de compétence inscrites dans le présent règlement devraient s’appliquer sans considération de domicile du défendeur.

(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation.

[...]

(21) Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans différents États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome. »

8. Les règles en matière de compétence sont contenues au chapitre II du règlement nº 1215/2012, qui englobe les articles 4 à 34.

9. L’article 4, paragraphe 1, du règlement nº 1215/2012, qui fait partie de la section 1 du chapitre II, intitulée « Dispositions générales », est libellé comme suit :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

10. L’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, qui figure à la section 1 dudit chapitre, dispose :

« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre. »

11. Le libellé de l’article 7, point 2, du règlement nº 1215/2012 est identique à celui de l’article 5, point 3, du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), règlement abrogé par le règlement nº 1215/2012, et il correspond au libellé de l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles. Faisant partie de la section 2 intitulée « Compétences spéciales » du chapitre II du règlement nº 1215/2012, cette disposition prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

[...]

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ; »

12. L’article 30 du règlement nº 1215/2012 est libellé comme suit :

« 1. Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

2. Lorsque la demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.

3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »

2. Le règlement (CE) no 864/2007

13. Le considérant 7 du règlement (CE) nº 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux...

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