Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 24 de marzo de 2022.

JurisdictionEuropean Union
Date24 March 2022
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

Présentées le 24 mars 2022 (1)

Affaire C56/21

UAB « ARVI » ir ko

contre

Valstybinė mokesčių inspekcija prie Lietuvos Respublikos finansų ministerijos,

(demande de décision préjudicielle adressée par la Mokestinių ginčų komisija prie Lietuvos Respublikos vyriausybės [Commission des litiges fiscaux près le gouvernement de la République de Lituanie])

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Article 137 – Faculté d’opter pour la taxation d’opérations exonérées – Conditions du droit d’option – Marge d’appréciation des États membres – Du sens de la forme – Conséquences d’une méconnaissance des formalités »






I. Introduction

1. En 1858 déjà, Rudolf von Jhering, juriste allemand bien connu, disait : « sœur jumelle de la liberté, la forme est l’ennemie jurée de l’arbitraire » (2).

2. Il est possible que ce soit également pour cette raison que la Lituanie a assorti d’effets juridiques au fond dans le régime de la TVA le respect de certaines formalités. Ainsi, la faculté d’opter pour la taxation ne peut-elle s’exercer que lorsque l’opération est effectuée pour un assujetti identifié à la TVA. En l’espèce, l’identification de l’acheteur n’a pu être accomplie qu’un mois plus tard. Cette condition n’était donc pas remplie au moment de l’opération. En vertu du droit lituanien, le prestataire ne pouvait dès lors pas renoncer à l’exonération de l’opération. Du seul fait du non‑respect de formalités, il a donc dû régulariser, prorata temporis, la TVA en amont afférente aux coûts de production qu’il avait déduite.

3. Selon la jurisprudence de la Cour, dans le régime de la TVA les considérations de fond prévalent cependant, dans certains cas, sur le respect de formalités (« substance over form » [le fond prime la forme]) (3), notamment en matière de déduction de la taxe payée en amont ou d’exonération d’une opération. Mais cette approche peut-elle être transposée aux droits d’option des États membres ? En l’espèce, il s’agit de l’incidence de formalités dans un État membre qui a exercé son droit d’option et prévu une taxation facultative. La Commission préconise également une approche purement matérielle dans ce cas de figure.

4. En revanche, ces derniers temps, le législateur de l’Union a tendance à considérer que le respect des formalités contribue à la sécurité juridique. On en voudra pour preuve la refonte de l’article 138, paragraphes 1 et 1 bis, de la directive TVA, qui n’était pas encore en vigueur en l’espèce (4). Il se peut que le législateur de l’Union se soit également inspiré sur ce point de l’adage cité plus haut. En tout état de cause, la Cour a ici une nouvelle occasion de se pencher sur le « sens de la forme » dans le régime de la TVA (5), cette fois dans le contexte de la faculté d’opter pour la taxation.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. Le cadre juridique est tracé par la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (6) (ci-après la « directive TVA »).

6. L’article 135, paragraphe 1, sous j), de la directive TVA comporte l’exonération suivante :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

j) les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, point a) ; »

7. L’article 137, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA dispose :

« 1. Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations suivantes :

b) les livraisons de bâtiments ou d’une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l’article 12, paragraphe 1, point a) ; »

8. L’article 137, paragraphe 2, de la directive TVA prévoit :

« Les États membres déterminent les modalités de l’exercice du droit d’option prévu au paragraphe 1. Les États membres peuvent restreindre la portée de ce droit. »

9. L’article 168, sous a), de la directive TVA régit le champ d’application matériel du droit à déduction :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ».

10. L’article 187 de la directive TVA, relatif à la régularisation de la TVA déduite, est libellé comme suit :

« 1. En ce qui concerne les biens d’investissement, la régularisation est opérée pendant une période de cinq années, dont celle au cours de laquelle le bien a été acquis ou fabriqué.

Toutefois, les États membres peuvent, lors de la régularisation, se baser sur une période de cinq années entières à compter du début de l’utilisation du bien.

En ce qui concerne les biens d’investissement immobiliers, la durée de la période servant de base au calcul des régularisations peut être prolongée jusqu’à vingt ans.

(2) Chaque année, la régularisation ne porte que sur le cinquième ou, dans le cas où la période de régularisation a été prolongée, sur la fraction correspondante de la TVA dont les biens d’investissement ont été grevés.

… »

11. L’article 188 de la directive TVA est libellé comme suit :

« 1. En cas de livraison pendant la période de régularisation, le bien d’investissement est considéré comme s’il était resté affecté à une activité économique de l’assujetti jusqu’à l’expiration de la période de régularisation.

L’activité économique est présumée être entièrement taxée pour le cas où la livraison du bien d’investissement est taxée.

L’activité économique est présumée être entièrement exonérée pour le cas où la livraison du bien d’investissement est exonérée.

2. La régularisation prévue au paragraphe 1 se fait en une seule fois pour tout le temps de la période de régularisation restant à courir. Toutefois, lorsque la livraison du bien d’investissement est exonérée, les États membres peuvent ne pas exiger une régularisation dans la mesure où l’acquéreur est un assujetti qui utilise le bien d’investissement en question uniquement pour des opérations pour lesquelles la TVA est déductible ».

B. Le droit lituanien

12. L’article 32, paragraphe 3, du Lietuvos Respublikos pridėtinės vertės mokesčio įstatymas (loi lituanienne relative à la taxe sur la valeur ajoutée ; ci-après le « Code de la TVA »), qui est l’expression de la faculté des États membres prévue à l’article 137, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, dispose :

« Pour un bien immeuble par nature qui est exonéré de la TVA en vertu du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 du présent article, l’assujetti peut opter pour la taxation, selon les modalités prévues à la présente loi, si le bien est livré ou autrement transféré à un assujetti identifié à la TVA […] et que cette option s’applique, pour une durée d’au moins 24 mois à compter de la date de la déclaration d’option, à l’ensemble de ses opérations correspondantes. L’assujetti est tenu de déclarer son option selon les modalités fixées par l’administration fiscale centrale. […] »

13. Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, du Code de la TVA, « l’assujetti peut déduire la TVA en amont et (ou) à l’importation due au titre de biens et (ou) de services acquis et (ou) importés dès lors que ces biens et (ou) services sont destinés à être utilisés pour les besoins de ses opérations ci-après : 1. la livraison de biens et (ou) la prestation de services soumis à TVA ; … »

14. L’article 67, paragraphe 2, du Code de la TVA dispose :

« Les déductions sont régularisées de la manière définie au présent article : en ce qui concerne les biens immobiliers pour une période de 10 ans, à partir de la période imposable au cours de laquelle la TVA en amont et (ou) la taxe sur le chiffre d’affaires à l’importation sur le bien immeuble ont été déduites en totalité ou en partie (pour les travaux de rénovation de bâtiments/ouvrages, la déduction de la taxe en amont est régularisée pour les biens d’investissement qui en résultent plus de 10 ans à compter de la période d’imposition au cours de laquelle les travaux ont été achevés). … »

15. Aux termes de l’article 67, paragraphe 5, du Code de la TVA :

« S’il apparaît que le bien d’investissement corporel a été mis en service pour une activité autre que celles visées à l’article 58, paragraphe 1, de la présente loi ou est perdu, la déduction doit être régularisée dans la déclaration de TVA afférente à la période imposable au cours de laquelle les faits sont apparus, en majorant le montant de la TVA due (ou en réduisant le montant de la TVA à rembourser) du montant correspondant (à savoir la partie de la TVA déduite en amont ou à l’importation afférente à la période restant à courir avant l’expiration du délai de régularisation) ».

16. La République de Lituanie s’est prononcée contre la possibilité que lui offre l’article 188, paragraphe 2, de la directive TVA de renoncer à la régularisation.

III. Le litige au principal

17. La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans un litige opposant « ARVI » ir ko UAB (ci-après « ARVI »), une société à responsabilité limitée, au Kauno apskrities valstybinė mokesčių inspekcija (Inspection nationale des impôts du district de Kaunas, Lituanie ; ci‑après l’« administration fiscale »).

18. Sur un terrain loué par les associés, affecté à d’autres fins, ARVI avait érigé un bâtiment agricole annexe avec des engins d’entraînement et une salle de fitness (ci‑après le « bâtiment »). ARVI a déclaré la valeur du bien d’investissement et la TVA dans sa déclaration de TVA pour le mois de janvier 2013.

19. Le 8 mai 2015, ARVI a vendu le bâtiment et la cour attenante à la société UAB « Investicijų ir inovacijų fondas » (ci‑après « Fondas »), pour la somme de 371 582,48 euros, dont 64 489,52 euros...

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