Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 12 de mayo de 2022.

JurisdictionEuropean Union
Date12 May 2022
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 12 mai 2022 (1)

Affaire C197/21

Soda-Club (CO2) SA,

SodaStream International BV

contre

MySoda Oy

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande)]

« Renvoi préjudiciel – Marques – Épuisement – Bouteilles rechargeables contenant du dioxyde de carbone – Mise en circulation dans un État membre par le titulaire de la marque ou avec son consentement – Revente par un tiers, après reconditionnement et réapposition de la marque de ce dernier, dans le même État membre – Marque de la bouteille en circulation encore visible gravée sur le goulot de la bouteille – Reconditionnement – Conditions de l’arrêt Bristol-Meyers Suibb e.a. – Transposition à des produits autres que pharmaceutiques – Transposition à une situation concernant un seul État membre – Condition de nécessité – Impression d’un lien économique »






1. Le XXIe siècle se caractérise par une prise de conscience généralisée de l’impact de nos modes de consommation sur des enjeux fondamentaux tels que, notamment, la protection de l’environnement. Dans sa communication de 2015 intitulée « Boucler la boucle – Un plan d’action de l’Union européenne en faveur de l’économie circulaire » (2), la Commission européenne vantait les vertus de ce type d’économie en ces termes : « La transition vers une économie plus circulaire, dans laquelle la valeur des produits, des matières et des ressources est maintenue dans l’économie aussi longtemps que possible et la production des déchets est réduite au minimum constitue une contribution essentielle aux efforts consentis par l’Union pour développer une économie durable, à faible intensité de carbone, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive. » Cette circularité de l’économie implique que des produits mis une première fois en circulation sur le territoire de l’Union par les titulaires des marques seront réutilisés, remplis ou rechargés avant d’être ultérieurement à nouveau commercialisés. C’est dans ce contexte que s’inscrit la présente affaire préjudicielle, qui offre à la Cour l’opportunité de préciser dans quelles conditions la nécessaire conciliation entre les intérêts légitimes de ces titulaires et ceux des tiers réutilisant et revendant leurs produits doit s’opérer.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le règlement (UE) 2017/1001

2. Le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (3) a abrogé et remplacé, à compter du 1er octobre 2017, le règlement (CE) nº 207/2009 (4).

3. L’article 15 du règlement 2017/1001, intitulé « Épuisement du droit conféré par la marque de l’Union européenne », dispose :

« 1. Une marque de l’Union européenne ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis sur le marché dans l’[E]space économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. »

2. La directive (UE) 2015/2436

4. L’article 15 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (5), intitulé « Épuisement des droits conférés par une marque », est libellé comme suit (6) :

« 1. Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce sur le marché dans l’Union sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise sur le marché. »

B. Le droit finlandais

5. L’article 9, paragraphe 1, de la tavaramerkkilaki (544/2019) [loi sur les marques (nº 544/2019)], du 26 avril 2019, est applicable aux marques nationales depuis le 1er mai 2019. Il prévoit que le titulaire de la marque ne peut pas interdire l’utilisation de la marque sur des produits qui ont été mis sur le marché dans l’Espace économique européen, sous cette marque, par le titulaire ou avec son consentement. Le paragraphe 2 de cet article 9 prévoit que, nonobstant le paragraphe 1, le titulaire de la marque peut s’opposer à l’usage de celle-ci sur des produits lorsque son titulaire a des motifs légitimes de s’opposer à une offre ou à une commercialisation ultérieure des produits. En particulier, le titulaire de la marque peut s’opposer à l’usage de celle-ci lorsque l’état des produits a été modifié ou que leur qualité a été dégradée après leur mise dans le commerce (7).

II. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

6. Soda-Club (C02) SA et SodaStream International BV (ci-après, ensemble, « SodaStream ») fabriquent et vendent des appareils de carbonatation domestiques destinés à l’usage des particuliers. Ces appareils permettent de préparer facilement, à partir de l’eau du robinet, de l’eau gazeuse ainsi que des boissons gazeuses aromatisées. En Finlande, ces appareils sont commercialisés pourvus de la marque SODASTREAM. Les emballages de vente comprennent entre autres l’appareil en question ainsi qu’une bouteille de dioxyde de carbone rechargeable, composée d’un corps en aluminium gravé de la marque SODASTREAM ou SODA-CLUB. Une étiquette portant l’une ou l’autre de ces marques est également collée sur la bouteille. SodaStream propose, en outre, à la vente à l’unité des bouteilles remplies de dioxyde de carbone. SodaStream est titulaire des marques de l’Union européenne et des marques nationales SODASTREAM et SODA-CLUB. Les marques enregistrées SODASTREAM et SODA-CLUB couvrent à la fois les bouteilles en cause et le dioxyde de carbone qu’elles contiennent.

7. MySoda Oy a son siège en Finlande. Elle y commercialise des appareils similaires à ceux vendus par SodaStream sous la marque MYSODA dans des emballages qui n’incluent toutefois pas de bouteilles. Depuis 2016, MySoda commercialise en Finlande des bouteilles de dioxyde de carbone remplies, qui sont compatibles non seulement avec ses propres appareils de carbonatation mais également avec les appareils commercialisés par SodaStream. Les bouteilles de dioxyde de carbone remplies et vendues par MySoda sont notamment des bouteilles rechargées, initialement mises sur le marché par SodaStream. MySoda reçoit de la part de revendeurs des bouteilles de dioxyde de carbone de SodaStream qui ont été rapportées vides par les consommateurs. MySoda retire alors l’étiquette collée par SodaStream autour de la bouteille. Elle procède au rechargement de cette bouteille puis y appose sa propre étiquette. Il est constant que l’étiquette ainsi apposée laisse toujours visibles les gravures de la bouteille, y compris les marques SODASTREAM et SODA-CLUB.

8. En Finlande, les bouteilles de dioxyde de carbone sont disponibles dans les commerces de vente au détail. SodaStream et MySoda ne disposent pas de leurs propres magasins.

9. MySoda a utilisé deux étiquettes différentes. Sur l’étiquette dite « rose » apparaissait en grosses lettres le logo de MySoda accompagné de la précision qu’il s’agissait de « dioxyde de carbone finlandais pour appareils de carbonatation ». En petits caractères figuraient les informations sur le produit, une référence à la société qui a rempli la bouteille et un renvoi à son site Internet pour de plus amples informations. Sur l’étiquette dite « blanche » figurait, en lettres majuscules et en cinq langues différentes, le mot « dioxyde de carbone ». Les informations sur le produit, c’est-à-dire le nom de la société ayant rempli la bouteille, une mention de ce que cette société n’a aucun lien avec le fournisseur d’origine de la bouteille ni avec sa société ou ses marques visibles sur la bouteille ainsi qu’un renvoi au site Internet de MySoda, y étaient rédigées en petits caractères.

10. Estimant que cette pratique portait atteinte à ses droits conférés par la marque et qu’elle avait plusieurs motifs légitimes de s’y opposer, SodaStream a introduit un recours contre MySoda afin de faire constater que cette dernière avait contrefait ses marques en Finlande en les utilisant sans autorisation dans le cadre de son activité commerciale et en commercialisant sous ces marques des bouteilles rechargées sur lesquelles la propre marque de MySoda avait été apposée, après avoir retiré et remplacé les étiquettes originales, sans l’autorisation de SodaStream ou des bouteilles rechargées après que les étiquettes originales ont été remplacées par de nouvelles étiquettes. SodaStream demande l’interdiction de la pratique qu’elle estime constitutive d’une contrefaçon et demande réparation.

11. Dans un arrêt interlocutoire du 5 septembre 2019, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques, Finlande) a fait droit aux demandes de SodaStream en ce qui concerne l’utilisation par MySoda des étiquettes roses et a rejeté les demandes en ce qui concerne les étiquettes blanches. Le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) a constaté l’épuisement du droit exclusif conféré par les marques de SodaStream sur les bouteilles de dioxyde de carbone qu’elle avait initialement mises en circulation. Pour s’opposer à la pratique de MySoda, SodaStream devait donc démontrer un intérêt légitime. Après avoir écarté les conditions issues de l’arrêt Bristol-Myers Squibb e.a. (8) en raison du fait qu’il ne s’agissait pas, dans le cadre du litige opposant SodaStream à MySoda, d’une importation parallèle, le markkinaoikeus (tribunal des affaires économiques) s’est fondé sur l’arrêt Viking Gas (9) pour estimer que la pratique de MySoda ne modifiait ni ne dégradait la...

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