Opinion of Advocate General Collins delivered on 19 May 2022.

JurisdictionEuropean Union
Date19 May 2022
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 19 mai 2022 (1)

Affaire C623/20 P

Commission européenne

contre

République italienne

« Pourvoi – Régime linguistique – Avis de concours généraux pour le recrutement d’administrateurs dans le domaine de l’audit – Connaissances linguistiques – Limitation du choix de la deuxième langue de concours à l’allemand, à l’anglais ou au français – Règlement nº 1 – Statut des fonctionnaires – Discrimination fondée sur la langue – Justification – Intérêt du service – Nécessité que le personnel nouvellement recruté soit immédiatement opérationnel »






I. Introduction

1. Les langues constituent un élément essentiel de l’identité culturelle et politique des citoyens de l’Union et tant le traité sur l’Union européenne que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacrent le respect de la diversité linguistique de l’Union (2). Ce respect trouve sa concrétisation dans le choix des 24 langues officielles de l’Union comme langues de travail de ses institutions (3).

2. Les langues facilitent la communication entre les personnes et leur permettent ainsi de travailler ensemble. Dès lors que, en l’état actuel des choses, l’utilisation simultanée des 24 langues officielles compromettrait gravement cette communication et cette collaboration, l’on peut comprendre que les institutions de l’Union cherchent à recruter des fonctionnaires ayant une connaissance professionnelle d’au moins une langue véhiculaire en plus de leur langue maternelle. La liste des langues dont on peut considérer qu’elles ont bénéficié, à certains moments de l’histoire européenne, du statut de langue véhiculaire sur l’ensemble, ou sur de larges parts, du continent, est longue. Une langue peut être perçue comme étant véhiculaire dans un contexte politique et économique particulier qui ne perdure pas au fil du temps ; il est toutefois indéniable qu’une langue qui est perçue comme étant véhiculaire voit son statut renforcé.

3. Dès lors que l’Union met l’ensemble de ses langues officielles sur un pied d’égalité et que le choix d’une langue comme langue véhiculaire à une fin donnée confère un avantage indiscutable aux candidats qui la maîtrisent, ce choix doit être justifié par des raisons objectives et raisonnables. Dans sa jurisprudence, la Cour reconnaît que les besoins du service constituent une telle justification, moyennant le respect de deux conditions. La justification avancée doit se rapporter aux fonctions que les personnes recrutées seront appelées à exercer. Les éléments de preuve invoqués pour justifier la restriction envisagée doivent être exacts, fiables et cohérents (4).

4. Dans la présente affaire, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du 9 septembre 2020, Italie/Commission (T‑437/16, EU:T:2020:410, ci-après l’« arrêt attaqué ») par lequel le Tribunal a annulé un avis de concours général pour le recrutement d’administrateurs dans le domaine de l’audit (AD5/AD7) (5). En l’espèce, l’avis de concours litigieux (6) précise que les candidats doivent remplir les conditions linguistiques spécifiques suivantes :

– Langue 1 : niveau C1 au minimum dans l’une des 24 langues officielles de l’Union européenne ;

– Langue 2 : niveau B2 au minimum en allemand, en anglais ou en français ; doit obligatoirement être différente de la langue 1 (7).

5. L’arrêt attaqué constate que la Commission n’a pas démontré que la limitation à l’allemand, à l’anglais et au français du choix, par les candidats, de la deuxième langue est objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif primordial escompté, qui consiste à recruter des administrateurs qui seraient immédiatement opérationnels. La Commission n’a pas non plus démontré que la limitation linguistique est justifiée par des motifs tirés des contraintes budgétaires et opérationnelles et/ou de la nature de la procédure de sélection (8). Dans son pourvoi, la Commission fait valoir que la charge que le Tribunal lui impose afin de justifier la limitation linguistique est excessivement lourde. Elle conteste également l’appréciation faite par le Tribunal des éléments de preuve qu’elle a produits à l’appui de cette limitation.

II. Le cadre juridique

A. Le règlement no 1/58

6. En adoptant le règlement nº 1/58, le Conseil a exercé les compétences qui lui sont conférées par ce qui est actuellement l’article 342 TFUE afin de fixer, notamment, le régime linguistique des institutions de l’Union et en leur sein. Dans sa version actuellement en vigueur, il prévoit, en ses parties pertinentes :

« Article 1er

Les langues officielles et les langues de travail des institutions de l’Union sont l’allemand, l’anglais, le bulgare, le croate, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’irlandais, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois et le tchèque.

[…]

Article 6

Les institutions [de l’Union européenne] peuvent déterminer les modalités d’application de ce régime linguistique dans leurs règlements intérieurs. »

B. Le statut des fonctionnaires

7. Dans la mesure où cela peut être pertinent, l’article 1er quinquies du statut des fonctionnaires (9) dispose :

« 1. Dans l’application du présent statut est interdite toute discrimination, telle qu’une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

[…]

6. Dans le respect du principe de non‑discrimination et du principe de proportionnalité, toute limitation de ces principes doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel. [...] »

8. Le chapitre 1 du titre III du statut des fonctionnaires est intitulé « Recrutement » et comporte les articles 27 à 34. L’article 27 dispose :

« Le recrutement doit viser à assurer à l’institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité, recrutés sur une base géographique la plus large possible parmi les ressortissants des États membres de l’Union. […] »

9. En vertu de l’article 28, sous f), du statut des fonctionnaires :

« Nul ne peut être nommé fonctionnaire :

[…] S’il ne justifie posséder une connaissance approfondie d’une des langues de l’Union et une connaissance satisfaisante d’une autre langue de l’Union dans la mesure nécessaire aux fonctions qu’il est appelé à exercer. »

10. L’annexe III du statut des fonctionnaires est intitulée « Procédure de concours ». En son article 1er, elle prévoit :

« 1. L’avis de concours est arrêté par l’autorité investie du pouvoir de nomination, après consultation de la commission paritaire.

Il doit spécifier :

[…]

f) Éventuellement les connaissances linguistiques requises par la nature particulière des postes à pourvoir ; […] »

III. Les faits, la procédure au principal et les conclusions

11. Les points 1 à 13 de l’arrêt attaqué résument les faits de l’espèce ainsi que les termes de l’avis de concours litigieux.

12. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– annuler l’arrêt attaqué ;

– si la Cour estime que le litige est en état d’être jugé, rejeter le recours en première instance comme non fondé ;

– condamner la République italienne aux dépens de la présente procédure et à ceux de la procédure en première instance.

13. À l’appui de ces conclusions, la Commission invoque trois moyens.

14. Le premier moyen comporte trois branches. La première branche est tirée d’une erreur de droit et d’une erreur de motivation au point 137 de l’arrêt attaqué.

15. La deuxième branche conteste le point 113, dernière phrase, les point 138, 144, 147, dernière phrase, ainsi que les points 157 à 161, 193 et 197 de l’arrêt attaqué. La Commission soutient que ces points lui imposent une charge excessivement lourde en ce qui concerne tant l’obligation de motivation de la limitation linguistique contenue dans l’avis de concours litigieux que l’appréciation des éléments de preuve qu’elle a produits à l’appui des motifs invoqués par EPSO.

16. Dans la troisième branche, la Commission soutient que les points 132 à 135 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une erreur de droit en ce que la jurisprudence n’impose pas à la Commission d’identifier dans son règlement intérieur un acte juridiquement contraignant comme étant le fondement d’une limitation linguistique.

17. Le deuxième moyen de pourvoi tend à identifier sept passages dans lesquels le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve produits devant lui. Le troisième moyen est tiré de l’illégalité de l’analyse par le Tribunal des langues de communication des candidats.

18. La République italienne conteste les arguments de la Commission. Elle conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– rejeter le pourvoi ;

– condamner la Commission aux dépens.

19. Le Royaume d’Espagne intervient au soutien de la République italienne.

20. La présente affaire a été jointe à l’affaire C‑635/20 aux fins de l’audience du 2 mars 2022, au cours de laquelle les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par la Cour.

21. Conformément à la demande de la Cour, mes conclusions se limitent au premier moyen du pourvoi.

IV. Appréciation du premier moyen

A. Sur la première branche

22. La Commission estime que le point 137 de l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal y conclut qu’il ne saurait être présumé, sans davantage d’explications, qu’un fonctionnaire nouvellement recruté, qui ne maîtrise pas la langue allemande, anglaise ou française, ne serait pas capable de fournir immédiatement un travail utile dans une...

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