RT France contre Conseil de l'Union européenne.

JurisdictionEuropean Union
Date27 July 2022
CourtGeneral Court (European Union)

ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)

27 juillet 2022 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction temporaire de diffusion et suspension des autorisations de diffusion des contenus de certains médias – Inscription sur la liste des entités auxquelles s’appliquent des mesures restrictives – Compétence du Conseil – Droits de la défense – Droit d’être entendu – Liberté d’expression et d’information – Proportionnalité – Liberté d’entreprise – Principe de non-discrimination en raison de la nationalité »

Dans l’affaire T‑125/22,

RT France, établie à Boulogne-Billancourt (France), représentée par Mes E. Piwnica et M. Nguyen Chanh, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Lejeune, MM. R. Meyer et S. Emmerechts, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, M. Van Regemorter et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

par

République d’Estonie, représentée par Mmes N. Grünberg et M. Kriisa, en qualité d’agents,

par

République française, représentée par Mme A.-L. Desjonquères, MM. J.-L. Carré, W. Zemamta et T. Stéhelin, en qualité d’agents,

par

République de Lettonie, représentée par Mmes K. Pommere, J. Davidoviča, I. Hūna, D. Ciemiņa et V. Borodiņeca, en qualité d’agents,

par

République de Lituanie, représentée par M. D. Karolis et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,

par

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme A. Miłkowska, en qualité d’agents,

par

Commission européenne, représentée par MM. D. Calleja Crespo, V. Di Bucci, J.-F. Brakeland et Mme M. Carpus Carcea, en qualité d’agents,

et par

Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, représenté par MM. F. Hoffmeister, L. Havas et Mme M. A. De Almeida Veiga, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (grande chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, H. Kanninen, Mme V. Tomljenović, MM. S. Gervasoni, D. Spielmann, S. Frimodt Nielsen, J. Schwarcz, E. Buttigieg, U. Öberg, R. Mastroianni (rapporteur), Mme M. Brkan, MM. I. Gâlea, I. Dimitrakopoulos, D. Kukovec et Mme S. Kingston, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 10 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, RT France, demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/351 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 65, p. 5, ci-après la « décision attaquée »), et du règlement (UE) 2022/350 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant le règlement (UE) nº 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 65, p. 1, ci-après le « règlement attaqué ») (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en ce que ces actes la visent.

Antécédents du litige

2 La requérante est une société par actions simplifiée à associé unique, établie en France, qui a pour activité l’édition de chaînes thématiques. L’intégralité du capital social de la requérante est détenue par l’association ANO « TV Novosti » (ci-après « TV Novosti »), association autonome à but non lucratif de la Fédération de Russie, sans capital social, ayant son siège social à Moscou (Russie), laquelle est presque entièrement financée par le budget de l’État russe.

3 Le 2 septembre 2015, la requérante a conclu avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, France), devenu l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, France), une convention pour la diffusion du service de télévision non hertzien dénommé RT France. Elle est opérationnelle en France depuis 2017 et son contenu est diffusé également dans tous les pays francophones, par le biais de satellites ou d’Internet.

4 En mars 2014, la Fédération de Russie a illégalement annexé la République autonome de Crimée ainsi que la ville de Sébastopol et mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. En réaction, l’Union européenne a instauré des mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie, des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que des mesures restrictives en réaction à l’annexion illégale de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol par la Fédération de Russie.

5 À partir du printemps de 2021, la situation à la frontière russo-ukrainienne s’est tendue, avec le déploiement par la Fédération de Russie d’importantes forces armées à proximité de sa frontière avec l’Ukraine.

6 Dans ses conclusions des 24 et 25 juin 2021, le Conseil européen a invité la Fédération de Russie à assumer pleinement sa responsabilité pour ce qui était d’assurer la mise en œuvre intégrale des « accords de Minsk », condition essentielle à toute modification substantielle de la position de l’Union. Il a souligné qu’il était nécessaire que l’Union et ses États membres « réagissent fermement et de manière coordonnée à toute nouvelle activité malveillante, illégale et déstabilisatrice de la Fédération de Russie, en utilisant sans réserve tous les instruments dont l’U[nion européenne] dispos[ait] et en assurant la coordination avec les partenaires ». À cette fin, le Conseil européen a également invité la Commission européenne et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut représentant ») à présenter des options en vue d’imposer des mesures restrictives supplémentaires, y compris des sanctions économiques.

7 Dans les conclusions adoptées lors de la réunion du 16 décembre 2021, le Conseil européen a souligné qu’il était urgent que la Fédération de Russie apaisât les tensions causées par le renforcement de la présence militaire le long de sa frontière avec l’Ukraine. Il a réaffirmé qu’il soutenait sans réserve la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Tout en encourageant les efforts diplomatiques, le Conseil européen a indiqué que toute nouvelle agression militaire de l’Ukraine aurait des conséquences massives et un coût sévère en réponse à celle-ci, y compris des mesures restrictives coordonnées avec des partenaires.

8 Le 24 janvier 2022, le Conseil de l’Union européenne a approuvé des conclusions dans lesquelles il avait condamné les actions agressives et les menaces répétées de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et a invité la Fédération de Russie à apaiser la situation, à respecter le droit international et à participer de manière constructive au dialogue dans le cadre des mécanismes internationaux établis. Rappelant les conclusions du Conseil européen du 16 décembre 2021, le Conseil a réaffirmé que toute nouvelle agression militaire aurait des conséquences massives et un coût sévère, y compris par l’intermédiaire d’un large éventail de mesures restrictives sectorielles et individuelles qui seraient adoptées en coordination avec les partenaires.

9 Le 15 février 2022, la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) a voté en faveur de l’envoi d’une résolution demandant au président M. Vladimir Poutine de reconnaître les parties de l’est de l’Ukraine revendiquées par des séparatistes comme des États indépendants.

10 Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones.

11 Le 22 février 2022, le haut représentant a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant ces actions, dès lors qu’elles constituaient une violation grave du droit international. Il a annoncé que l’Union réagirait à ces dernières violations par la Fédération de Russie en adoptant de toute urgence des mesures restrictives supplémentaires.

12 Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives. Celles-ci concernaient, premièrement, des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions de Donetsk et de Lougansk non contrôlées par le gouvernement, deuxièmement, des restrictions à l’accès au marché des capitaux, notamment en interdisant le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale, et, troisièmement, l’ajout de membres du gouvernement, de banques, d’hommes d’affaires, de généraux ainsi que de 336 membres de la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives.

13 Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

14 À la même date, le haut représentant a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie et a indiqué que la riposte de l’Union comprendrait des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles. Dans ses conclusions adoptées lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté cette « agression non provoquée et injustifiée », en estimant que, par ses actions militaires illégales, dont elle devrait répondre, la Fédération de Russie violait de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies et portait atteinte à la sécurité et à la...

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