République française contre Commission européenne.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:T:2020:461
Date05 October 2020
Celex Number62011TJ0479(01)
Docket NumberT-479/11
CourtGeneral Court (European Union)
62011TJ0479(01)

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

5 octobre 2020 ( *1 )

« Aides d’État – Recherche pétrolière – Régime d’aides mis à exécution par la France – Garantie implicite et illimitée de l’État conférée à l’IFPEN par l’octroi du statut d’EPIC – Avantage – Présomption d’existence d’un avantage – Proportionnalité »

Dans les affaires jointes T‑479/11 RENV et T‑157/12 RENV,

République française, représentée par M. P. Dodeller, en qualité d’agent,

partie requérante dans l’affaire T‑479/11 RENV,

IFP Énergies nouvelles, établi à Rueil-Malmaison (France), représenté par Mes E. Lagathu et É. Barbier de La Serre, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑157/12 RENV,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Stromsky et D. Grespan, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision 2012/26/UE de la Commission, du 29 juin 2011, concernant l’aide d’État C 35/08 (ex NN 11/08) accordée par la France à l’établissement public « Institut français du pétrole » (JO 2012, L 14, p. 1),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva (rapporteure) et M. G. De Baere, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 novembre 2019,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

Par leurs recours, la République française et IFP Énergies nouvelles (ci-après l’« IFPEN »), dénommé antérieurement au 13 juillet 2010 Institut français du pétrole, demandent l’annulation intégrale de la décision 2012/26/UE de la Commission, du 29 juin 2011, concernant l’aide d’État C 35/08 (ex NN 11/08) accordée par la France à l’établissement public « Institut français du pétrole » (JO 2012, L 14, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

2

L’IFPEN est un établissement public de recherche chargé de trois missions d’intérêt général, à savoir une mission de recherche et de développement dans les domaines de la prospection pétrolière et gazière, des technologies de raffinage et de la pétrochimie, une mission de formation d’ingénieurs et de techniciens et une mission d’information et de documentation des secteurs (considérant 14 de la décision attaquée).

3

Par ailleurs, l’IFPEN détient directement et indirectement le contrôle de trois sociétés commerciales, Axens, Beicip-Franlab et Prosernat, avec lesquelles il a conclu des accords exclusifs de recherche et de licence.

4

Jusqu’en 2006, l’IFPEN était constitué sous forme d’une personne morale de droit privé, placée, conformément aux dispositions internes françaises, sous le contrôle économique et financier du gouvernement français. En vertu de la loi 2005-781, du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique (JORF du 14 juillet 2005, p. 11570), l’IFPEN a été transformé, avec effet au 6 juillet 2006, en une personne morale de droit public, plus précisément en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) (considérants 21 à 23 de la décision attaquée).

5

Il ressort du dossier, d’une part, que cette transformation a été motivée par la volonté des autorités françaises de mettre en cohérence la nature et le mode de fonctionnement de l’IFPEN avec son mode de financement. En effet, dans la mesure où l’IFPEN était principalement financé par une dotation budgétaire, la transformation avait pour objectif de réduire le décalage entre le statut privé de cet établissement et la provenance publique d’une partie importante de ses ressources. D’autre part, cette transformation s’inscrivait dans le processus d’uniformisation des statuts des établissements français de recherche.

6

En ce qui concerne le statut juridique des EPIC en droit français, il importe de préciser que ces établissements constituent une catégorie de personnes morales de droit public exerçant des activités de nature économique. Ils disposent d’une personnalité juridique distincte de l’État et d’une autonomie financière ainsi que de compétences d’attribution spéciales, lesquelles incluent généralement l’exercice d’une ou de plusieurs missions de service public. Selon le droit français, les personnes morales de droit public ne relèvent pas du droit commun des procédures d’insolvabilité en vertu du principe général d’insaisissabilité des biens publics. L’inapplicabilité des procédures d’insolvabilité aux EPIC a été confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation française formulée sur la base de la loi 85-98, du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises (JORF du 26 janvier 1985, p. 1097).

7

Les spécificités du statut juridique des EPIC ont attiré l’attention de la Commission européenne, qui, dans la décision 2010/605/UE, du 26 janvier 2010, concernant l’aide d’État C 56/07 (ex E 15/05) accordée par la France à La Poste (JO 2010, L 274, p. 1, ci-après la « décision La Poste »), a pour la première fois examiné ce statut au regard des règles régissant les aides d’État dans l’Union européenne. Dans cette décision, la Commission a conclu que, du fait de leur statut, les EPIC bénéficiaient d’une garantie implicite et illimitée de l’État sur leurs activités économiques mobilisant des ressources publiques. Cette conclusion était fondée sur les éléments suivants (considérant 25 de la décision attaquée et considérants 20 à 37 de la décision La Poste) :

les procédures d’insolvabilité de droit commun ne sont pas applicables aux EPIC ;

en revanche, les EPIC sont soumis aux dispositions de la loi 80‑539, du 16 juillet 1980, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public (JORF du 17 juillet 1980, p. 1799) et de ses textes d’application. Or, celles-ci désignent expressément l’État comme l’autorité compétente pour le recouvrement des dettes des établissements publics, lui confèrent des pouvoirs importants tels que le mandatement d’office et la création de ressources suffisantes, et organisent un principe de responsabilité en dernier recours de l’État pour les dettes des personnes morales de droit public ;

dans l’hypothèse d’une dissolution d’un EPIC, le principe du transfert des dettes à l’État ou à une autre entité publique est généralement applicable, de sorte que tout créancier d’un EPIC est assuré de ne jamais perdre la créance qu’il détient sur ce type d’établissement ;

les EPIC pourraient disposer d’un accès privilégié aux « comptes d’avance du Trésor ».

8

Dans la décision La Poste, la Commission a considéré que la garantie implicite et illimitée de l’État inhérente au statut d’EPIC de La Poste constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce qu’elle permettait à La Poste d’obtenir des conditions de crédit plus favorables que celles qu’elle aurait obtenues si elle avait été jugée sur ses seuls mérites (considérants 256 à 300 de la décision La Poste).

9

C’est dans le contexte de la procédure qui a conduit à l’adoption de la décision La Poste que, au cours de l’année 2006, les autorités françaises ont informé la Commission de la transformation de l’IFPEN en EPIC. Cette information a été transmise à la Commission dans le cadre d’une procédure ouverte en 2005 et portant sur l’examen, au regard des règles régissant les aides d’État, d’un financement public accordé à l’IFPEN par les autorités françaises (considérants 1 à 3 de la décision attaquée).

10

La Commission a alors décidé de séparer l’examen de la question de savoir si la transformation de l’IFPEN en EPIC pouvait constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de l’examen du financement public de l’IFPEN. Ainsi, le 16 juillet 2008, elle a clôturé l’examen du financement public accordé à l’IFPEN par adoption de la décision 2009/157/CE concernant la mesure d’aide mise à exécution par la France en faveur du groupe IFPEN [C 51/05 (ex NN 84/05)] (JO 2009, L 53, p. 13). Le même jour, par une décision publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2008, C 259, p. 12, ci-après la « décision d’ouverture de la procédure formelle »), elle a décidé d’ouvrir une procédure formelle d’examen relative à la garantie illimitée de l’État en faveur de l’IFPEN et a invité les parties intéressées à présenter des observations.

11

Dans la décision d’ouverture de la procédure formelle, la Commission a relevé, notamment, que l’IFPEN tirait un avantage de sa transformation en EPIC principalement au travers des conditions de financement réputées plus favorables dont il bénéficiait sur les marchés financiers. Cet avantage, financé au moyen des ressources de l’État, constituerait, selon la Commission, une aide d’État au sens de sa communication sur l’application des articles [107] et [108 TFUE] aux aides d’État sous forme de garanties (JO 2008, C 155, p. 10, ci-après la « communication sur les garanties »).

12

Les autorités françaises ont présenté leurs observations sur cette décision par lettre du 14 octobre 2008. Par la suite, elles ont encore répondu à des questions supplémentaires de la Commission et fourni des informations concernant les relations entre l’IFPEN et différents groupes de créanciers. Une réunion entre la Commission et les autorités françaises a également été organisée le 20 mai 2010.

13

En outre, un concurrent d’Axens, UOP Limited, qui est une société anglaise établie à Guilford (Royaume-Uni), a présenté ses commentaires en réponse à la décision d’ouverture de la procédure formelle. Les autorités françaises ont pu présenter leurs observations sur ces...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT