Grand-duché de Luxembourg contre Commission européenne.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:T:2021:252
Date12 May 2021
Docket NumberT-816/17
Celex Number62017TJ0816
CourtGeneral Court (European Union)

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

12 mai 2021 (*)

« Aides d’État – Aide mise en exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et ordonnant sa récupération – Décision fiscale anticipative (tax ruling) – Prix de transfert – Avantage fiscal sélectif – Méthode de fixation des prix de transfert – Analyse fonctionnelle »

Dans les affaires T‑816/17 et T‑318/18,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. T. Uri, en qualité d’agent, assisté de Mes D. Waelbroeck, A. Steichen et J. Bracker, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑816/17,

soutenu par

Irlande, représentée par Mme J. Quaney et M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Gallagher, SC, B. Doherty, barrister, et Mme S. Kingston, SC,

partie intervenante dans l’affaire T‑816/17,

Amazon EU Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg),

Amazon.com, Inc., établie à Seattle, Washington (États-Unis),

représentées par Mes D. Paemen, M. Petite et A. Tombiński, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑318/18,

contre

Commission européenne, représentée, dans l’affaire T‑816/17, par MM. P. Stancanelli, P.-J. Loewenthal et Mme F. Tomat, en qualité d’agents, assistés de Me M. Chammas, avocate, et, dans l’affaire T‑318/18, par M. Loewenthal et Mme Tomat,

partie défenderesse,

ayant pour objet des demandes fondées sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2018/859 de la Commission, du 4 octobre 2017, concernant l’aide d’État SA.38944 (2014/C) (ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon (JO 2018, L 153, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de M. M. van der Woude, président, Mmes V. Tomljenović (rapporteure) et A. Marcoulli, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience des 5 et 6 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

I. Antécédents du litige

1 Amazon.com, Inc., dont le siège social est établi aux États-Unis, et les entreprises qui sont placées sous son contrôle (ci-après, dénommées ensemble, le « groupe Amazon ») exercent des activités en ligne, et notamment des opérations de vente au détail en ligne et de fourniture de divers services en ligne. À cette fin, le groupe Amazon gère plusieurs sites Internet en différentes langues de l’Union européenne, parmi lesquels amazon.de, amazon.fr, amazon.it et amazon.es.

2 Avant mai 2006, les activités européennes du groupe Amazon étaient gérées à partir des États-Unis. En particulier, les activités de vente au détail et de services sur les sites Internet européens étaient exploitées par deux entités établies aux États-Unis, à savoir Amazon.com International Sales, Inc. (ci‑après « AIS ») et Amazon International Marketplace (ci‑après « AIM »), ainsi que par d’autres établies en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.

3 En 2003, une restructuration des activités du groupe Amazon en Europe a été planifiée. Cette restructuration, qui a effectivement été mise en œuvre en 2006 (ci-après la « restructuration de 2006 »), était articulée autour de la création de deux sociétés établies à Luxembourg (Luxembourg). Plus précisément, il s’agissait, d’une part, d’Amazon Europe Holding Technologies SCS (ci-après « LuxSCS »), une société en commandite simple luxembourgeoise, dont les associés étaient des entreprises américaines, et, d’autre part, d’Amazon EU Sàrl (ci‑après « LuxOpCo »), qui, comme LuxSCS, avait son siège social à Luxembourg.

4 LuxSCS a, dans un premier temps, conclu plusieurs accords avec certaines entités du groupe Amazon établies aux États-Unis, à savoir :

– des accords de licence et de cession pour les droits de propriété intellectuelle préexistants (License and Assignment Agreements For Preexisting Intellectual Property, ci-après, dénommés ensemble, l’« accord d’entrée ») avec Amazon Technologies, Inc. (ci-après « ATI »), entité du groupe Amazon établie aux États‑Unis ;

– un accord de répartition des coûts (ci-après l’« ARC ») conclu en 2005 avec ATI et A 9.com, Inc. (ci-après « A 9 »), une entité du groupe Amazon établie aux États-Unis. En vertu de l’accord d’entrée et de l’ARC, LuxSCS a obtenu le droit d’exploiter certains droits de propriété intellectuelle et les « travaux dérivés » de ceux-ci, qui étaient détenus et mis au point par A 9 et ATI. Les actifs incorporels visés par l’ARC comportaient essentiellement trois catégories de propriété intellectuelle, à savoir la technologie, les données clients et les marques. En vertu de l’ARC et de l’accord d’entrée, LuxSCS pouvait également concéder les actifs incorporels en sous-licence, notamment dans le but d’exploiter les sites Internet européens. En contrepartie de ces droits, LuxSCS devait verser des paiements d’entrée et sa quote-part annuelle aux coûts liés au programme de développement de l’ARC.

5 Dans un deuxième temps, LuxSCS a conclu avec LuxOpCo un accord de licence, qui a pris effet le 30 avril 2006, portant sur les actifs incorporels susmentionnés (ci‑après l’« accord de licence »). En vertu de celui-ci, LuxOpCo a obtenu le droit d’utiliser les actifs incorporels en échange du paiement d’une redevance à LuxSCS (ci-après la « redevance »).

6 Enfin, LuxSCS a conclu un accord de licence et de cession de droits de propriété intellectuelle avec Amazon.co.uk Ltd, Amazon.fr SARL et Amazon.de GmbH, en vertu duquel LuxSCS a reçu certaines marques et les droits de propriété intellectuelle sur les sites Internet européens.

7 En 2014, le groupe Amazon a fait l’objet d’une deuxième restructuration et l’arrangement contractuel existant entre LuxSCS et LuxOpCo n’a plus été d’application.

A. Sur la décision fiscale anticipative (DFA) en cause

8 En préparation de la restructuration de 2006, Amazon.com et un conseiller fiscal ont, par lettres des 23 et 31 octobre 2003, demandé à l’administration fiscale luxembourgeoise l’adoption d’une décision fiscale anticipative confirmant le traitement réservé à LuxOpCo et à LuxSCS aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés.

9 Par sa lettre du 23 octobre 2003, Amazon.com a demandé que soit approuvé le calcul du taux de la redevance que LuxOpCo était censée verser à LuxSCS à partir du 30 avril 2006. Cette demande d’Amazon.com s’appuyait sur un rapport de prix de transfert préparé par ses conseillers fiscaux (ci‑après le « rapport sur les prix de transfert de 2003 »). Les auteurs de ce rapport proposaient, en substance, une méthode de fixation des prix de transfert qui, selon eux, permettait de déterminer la dette de l’impôt sur le revenu des sociétés dont LuxOpCo devait s’acquitter au Luxembourg. Plus particulièrement, par la lettre du 23 octobre 2003, Amazon.com avait demandé confirmation sur le fait que la méthode de fixation des prix de transfert aux fins de la détermination du taux de la redevance annuelle due par LuxOpCo à LuxSCS au titre de l’accord de licence, telle que cette méthode ressortait du rapport sur les prix de transfert de 2003, procurait à LuxOpCo un « bénéfice approprié et acceptable » au regard de la politique en matière de prix de transfert et de l’article 56 et de l’article 164, paragraphe 3, de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, telle que modifiée (ci-après la « LIR »). La méthode de calcul de la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS retenue dans la lettre du 23 octobre 2003 était décrite comme suit :

« 1) calculer et attribuer à LuxOpCo le « rendement de LuxOpCo » d’un montant égal au montant le plus faible entre a) [confidentiel](1) % du total des charges d’exploitation supportées par LuxOpCo pour l’Union européenne au cours de l’année considérée et b) le résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne, attribuable aux sites web européens, au cours de cette même année ;

2) la redevance de licence est égale au résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne, moins le rendement de LuxOpCo, sans pouvoir être inférieure à zéro ;

3) le taux de redevance pour l’année est égal à la redevance de licence divisée par le chiffre d’affaires total réalisé dans l’Union européenne pour l’année ;

4) nonobstant ce qui précède, le montant du rendement de LuxOpCo n’est, quelle que soit l’année, pas inférieur à 0,45 %, ni supérieur à 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne ;

5 a) si le rendement de LuxOpCo déterminé à l’étape 1 est inférieur à 0,45 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne, le rendement de LuxOpCo est ajusté afin qu’il soit égal au montant le plus faible entre i) 0,45 % du chiffre d’affaires ou du résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne et ii) le résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne ;

b) si le rendement de LuxOpCo déterminé à l’étape 1 est supérieur à 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne, le rendement de LuxOpCo est ajusté afin qu’il soit égal au montant le plus faible entre i) 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne et ii) le résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne. »

10 Par la lettre du 31 octobre 2003 rédigée par un autre conseiller fiscal, Amazon.com a demandé confirmation du traitement fiscal réservé à LuxSCS, à ses associés établis aux États-Unis et aux dividendes perçus par LuxOpCo dans le cadre de cette structure. Il était expliqué dans la lettre que LuxSCS, en tant que société en commandite simple, n’avait pas une personnalité fiscale distincte de celle de ses associés et que, en conséquence, elle n’était assujettie ni à l’impôt sur le revenu des sociétés ni à l’impôt sur la fortune au Luxembourg.

11 Le 6 novembre 2003, l’Administration des contributions directes du Grand-Duché de Luxembourg (ci‑après l’« administration fiscale luxembourgeoise » ou les « autorités fiscales luxembourgeoises ») a adressé à Amazon.com une lettre (ci‑après la « DFA en cause ») qui se lit, pour partie, comme suit :

« […] Monsieur,

Après avoir pris connaissance de la lettre du 31 octobre 2003, que...

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