BNP Paribas v European Central Bank.
Jurisdiction | European Union |
Date | 05 June 2024 |
Court | General Court (European Union) |
ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
5 juin 2024 ( *1 )
« Politique économique et monétaire – Surveillance des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Fixation des exigences prudentielles – Engagements de paiements irrévocables – Autorité de la chose jugée – Excès de pouvoir – Erreur manifeste d’appréciation – Principe de bonne administration – Proportionnalité »
Dans l’affaire T‑186/22,
BNP Paribas, établie à Paris (France), représentée par Mes A. Gosset-Grainville et M. Trabucchi, avocats,
partie requérante,
contre
Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mme E. Yoo, MM. D. Segoin et F. Bonnard, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
composé de M. F. Schalin (rapporteur), président, Mme P. Škvařilová-Pelzl, M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 20 juin 2023,
rend le présent
Arrêt
1 |
Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, BNP Paribas, demande l’annulation, d’une part, du point 1.10 et des points 3.10.1 à 3.10.8 de la décision ECB-SSM-2022-FRBNP-7 de la Banque centrale européenne (BCE), du 2 février 2022 (ci-après la « décision du 2 février 2022 »), y compris ses annexes, en ce qu’elle prescrit des mesures à prendre sur les engagements de paiements irrévocables (ci-après les « EPI ») concernant les systèmes de garantie des dépôts ou les fonds de résolution et, d’autre part, du point 1.10 et des points 3.9.1 à 3.9.8 de la décision ECB-SSM-2022-FRBNP-86 de la BCE, du 21 décembre 2022 (ci-après la « décision du 21 décembre 2022 »), y compris ses annexes, en ce qu’elle prescrit des mesures à prendre sur les EPI concernant les systèmes de garantie des dépôts ou les fonds de résolution. |
Antécédents du litige
2 |
La requérante, en tant qu’entité importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), relève de la surveillance prudentielle directe de la BCE. |
3 |
Le 31 mars 2021, dans le cadre de sa mission de surveillance prudentielle, la BCE a envoyé à la requérante un questionnaire, portant sur le traitement par cette dernière des EPI, qui constituent une faculté de s’acquitter de l’obligation de contribution aux fonds de résolution ou aux systèmes de garantie, en concluant un contrat par lequel il est convenu que le montant dû sera versé à première demande de l’autorité en charge des fonds de résolution ou des systèmes de garantie, ledit contrat étant assorti d’une garantie de mise à disposition exclusive des fonds, en pratique sous la forme d’un dépôt en espèces, d’un montant égal à la cotisation due. |
4 |
Le 29 avril 2021, la requérante a transmis ses réponses au questionnaire. |
5 |
Le 10 novembre 2021, la BCE a adressé à la requérante un projet de décision au terme du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP), comportant, notamment, l’exigence prudentielle que le montant cumulé des EPI soit déduit des fonds de base de catégorie 1 (ci-après les « CET 1 »). La requérante a été invitée à se prononcer sur ce projet. |
6 |
Par courrier du 22 novembre 2021, la requérante a présenté ses observations. |
7 |
En application de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16 du règlement no 1024/2013, la BCE a adopté la décision du 2 février 2022. |
8 |
Dans cette décision, la BCE a déterminé que, conformément à l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013, les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par la requérante et les fonds propres et liquidités qu’elle détenait n’assuraient pas une gestion saine et une couverture de ses risques dans la mesure où la requérante surestimait le niveau de ses CET 1. |
9 |
Pour couvrir ce risque, la BCE a imposé, d’une part, une mesure en application de l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013 (ci-après la « mesure de déduction ») et, d’autre part, une obligation en application de l’article 16, paragraphe 2, sous j), de ce même règlement (ci-après l’« obligation de déclaration »). |
10 |
La mesure de déduction équivaut, selon la formule de calcul figurant au point 1.10 de la décision du 2 février 2022, à la valeur des sommes placées en garantie et inscrites à l’actif du bilan de la requérante, diminuée des éléments susceptibles de réduire le risque, c’est-à-dire les éléments des CET 1 détenus par la requérante, relatifs aux sommes placées en garantie et, le cas échéant, de la valeur économique positive attribuée à l’actif enregistré, compte tenu des sommes placées en garantie des EPI. |
11 |
L’obligation de déclaration vise à permettre à la BCE de s’assurer de la bonne prise en compte de la déduction imposée à la requérante. |
Conclusions des parties et faits postérieurs à l’introduction du recours
12 |
Le 12 avril 2022, la requérante a introduit le présent recours. |
13 |
Dans le cadre d’un nouveau cycle du SREP, la BCE a adopté la décision du 21 décembre 2022, qui a remplacé la décision du 2 février 2022 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), à compter du 1er janvier 2023, et qui maintient la mesure de déduction et l’obligation de déclaration. |
14 |
Pour parvenir à cette décision, la BCE a suivi la même procédure que celle décrite aux points 3 à 6 ci-dessus. |
15 |
Le 15 février 2023, la requérante a déposé au greffe du Tribunal un mémoire en adaptation de la requête dans lequel elle conclut également à l’annulation partielle de la décision du 21 décembre 2022, en invoquant les mêmes moyens que ceux initialement soulevés dans la requête à l’encontre de la décision du 2 février 2022. |
16 |
Par courrier du 14 mars 2023, la BCE a présenté des observations sur le mémoire en adaptation de la requête. |
17 |
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
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18 |
La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
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En droit
19 |
À l’appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens, tirés, premièrement, d’une violation de l’autorité de la chose jugée et d’un excès de pouvoir, deuxièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de bonne administration, troisièmement, d’une erreur de droit résultant de la privation de l’effet utile de la réglementation entourant le recours aux EPI et, quatrièmement, d’une violation du principe de proportionnalité. |
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée et d’un excès de pouvoir
20 |
La requérante fait valoir, en substance, que la BCE a excédé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du règlement no 1024/2013, tels que précisés par les arrêts du 9 septembre 2020, Société Générale/BCE (T‑143/18, non publié, EU:T:2020:389), du 9 septembre 2020, Crédit Agricole e.a./BCE (T‑144/18, non publié, EU:T:2020:390), du 9 septembre 2020, Confédération nationale du Crédit Mutuel e.a./BCE (T‑145/18, non publié, EU:T:2020:391), du 9 septembre 2020, BPCE e.a./BCE (T‑146/18, non publié, EU:T:2020:392), du 9 septembre 2020, Arkéa Direct Bank e.a./BCE (T‑149/18, non publié, EU:T:2020:393), et du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE (T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394) (ci-après les « arrêts de 2020 »), en imposant une mesure générale qui ne tient pas compte de sa situation prudentielle individuelle. Ce faisant, la BCE aurait violé l’article 266 TFUE ainsi que l’article 4, paragraphe 1, sous f), et l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d) et j), du règlement no 1024/2013. |
21 |
Plus précisément, la requérante reproche à la BCE d’avoir fondé sa décision sur un raisonnement ne pouvant qu’aboutir à une déduction totale du montant des garanties associées aux EPI. De ce fait, la BCE ne se serait pas conformée aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 266 TFUE. |
22 |
À cet égard, la requérante soutient qu’une comparaison entre, d’une part, les décisions annulées par le Tribunal dans les arrêts de 2020 et, d’autre part, les décisions attaquées démontre que lesdites décisions sont fondées sur des motifs, en substance, identiques. |
23 |
De plus, la BCE n’aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation individuelle. À cet égard, la requérante fait valoir que la BCE a entendu donner l’illusion d’un examen individuel, en faisant état des éléments qu’elle a déclarés à l’occasion de ses réponses du 29 avril 2021 au questionnaire qui lui avait été envoyé par la BCE le 31 mars 2021, et en augmentant formellement sa motivation des décisions attaquées. Toutefois, la partie des décisions attaquées traitant de la quantification des risques des EPI serait entièrement standardisée et ne se fonderait pas sur des considérations spécifiques à la requérante, mais sur des constatations de nature générale, susceptibles de s’appliquer à n’importe quel établissement de crédit optant pour le traitement hors bilan des EPI. |
24 |
La BCE conteste les arguments de la requérante. |
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