CH contre Sofyiska rayonna prokuratura.

JurisdictionEuropean Union
Date14 May 2024
CourtCourt of Justice (European Union)

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2013/48/UE – Droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales – Article 3, paragraphe 6, sous b) – Dérogation temporaire au droit d’accès à un avocat dans des circonstances exceptionnelles – Article 9 – Renonciation à la présence ou à l’assistance d’un avocat – Conditions – Article 12, paragraphe 2 – Respect des droits de la défense et de l’équité de la procédure – Admissibilité des preuves – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Renonciation écrite d’un suspect analphabète à son droit d’accès à un avocat – Absence d’explication sur les conséquences éventuelles de la renonciation à ce droit – Implications sur des actes d’enquête ultérieurs – Décision sur une mesure de sûreté adéquate – Appréciation de preuves obtenues en violation du droit d’accès à un avocat »

Dans l’affaire C‑15/24 PPU [Stachev] (i),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décision du 11 janvier 2024, parvenue à la Cour le 11 janvier 2024, dans la procédure pénale contre

CH

en présence de :

Sofyiska rayonna prokuratura,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 mars 2024,

considérant les observations présentées :

– pour CH, par M. I. R. Stoyanov, advokat,

– pour la Commission européenne, par Mme J. Vondung et M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 avril 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 6, sous b), de l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), et de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1), ainsi que de l’article 47, paragraphes 1 et 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre CH, un ressortissant bulgare à qui il est reproché d’avoir commis deux vols avec violence.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 39, 40 et 50 à 53 de la directive 2013/48 énoncent :

« (39) Les suspects ou les personnes poursuivies devraient être autorisés à renoncer à un droit prévu au titre de la présente directive, pour autant qu’ils aient reçu des informations sur la teneur du droit concerné et sur les conséquences éventuelles d’une renonciation audit droit. Lorsque les informations en question sont communiquées, il devrait être tenu compte des conditions propres aux suspects ou aux personnes poursuivies concernés, notamment de leur âge et de leur état mental et physique.

(40) La renonciation et les circonstances dans lesquelles elle a été formulée devraient être consignées conformément à la procédure d’enregistrement prévue par le droit de l’État membre concerné. [...]

[...]

(50) Les États membres devraient veiller à ce que les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à la présente directive. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a établi qu’il serait, en principe, porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. Cela devrait s’entendre sans préjudice de l’utilisation de ces déclarations à d’autres fins autorisées par le droit national, telles que la nécessité de procéder à des actes d’instruction urgents ou d’éviter la commission d’autres infractions ou des atteintes graves à une personne, ou liées à une nécessité urgente d’éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale lorsque l’accès à un avocat ou un retard dans le déroulement de l’enquête porterait irrémédiablement atteinte aux enquêtes en cours concernant une infraction grave. En outre, cela devrait s’entendre sans préjudice des dispositifs ou régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves et ne devrait pas empêcher les États membres de conserver un système en vertu duquel tous les éléments de preuve existants peuvent être produits devant une juridiction ou un juge, sans qu’il y ait une appréciation distincte ou préalable quant à leur admissibilité.

(51) L’obligation d’accorder une attention particulière aux suspects ou aux personnes poursuivies se trouvant dans une situation de faiblesse potentielle est à la base d’une bonne administration de la justice. Le ministère public, les autorités répressives et judiciaires devraient donc faciliter l’exercice effectif par ces personnes des droits prévus dans la présente directive, par exemple en tenant compte de toute vulnérabilité éventuelle affectant leur capacité d’exercer leur droit d’accès à un avocat et d’informer un tiers dès leur privation de liberté, et en prenant les mesures appropriées pour garantir l’exercice de ces droits.

(52) La présente directive respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus par la Charte, y compris l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté, le respect de la vie privée et familiale, le droit à l’intégrité de la personne, les droits de l’enfant, l’intégration des personnes handicapées, le droit à un recours effectif en justice et le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence et les droits de la défense. La présente directive devrait être mise en œuvre conformément à ces droits et principes.

(53) Les États membres devraient veiller à ce que les dispositions de la présente directive, lorsqu’elles correspondent à des droits garantis par la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950], soient mises en œuvre en conformité avec les dispositions de [cette convention], telles qu’elles ont été développées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :

« La présente directive définit des règles minimales concernant les droits dont bénéficient les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales [...] d’avoir accès à un avocat [...] »

5 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », prévoit :

« 1. La présente directive s’applique aux suspects ou aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non. Elle s’applique jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir s’ils ont commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel.

[...]

4. [...]

En tout état de cause, la présente directive s’applique pleinement lorsque le suspect ou la personne poursuivie est privé de liberté à quelque stade que ce soit de la procédure pénale. »

6 L’article 3 de la directive 2013/48, intitulé « Le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales », est ainsi libellé :

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

2. Les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu. En tout état de cause, les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat à partir de la survenance du premier en date des événements suivants :

a) avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

[...]

c) sans retard indu après la privation de liberté ;

[...]

3. Le droit d’accès à un avocat comprend les éléments suivants :

a) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de rencontrer en privé l’avocat qui les représente et de communiquer avec lui, y compris avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire. [...]

c) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit au minimum à la présence de leur avocat lors des mesures d’enquête ou des mesures de collecte de preuves suivantes, lorsque ces mesures sont prévues par le droit national et si le suspect ou la personne poursuivie est tenu d’y assister ou autorisé à y assister :

i) séances d’identification des suspects ;

ii) confrontations ;

iii)...

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