Chapitre II. Le régime international des mesures sanitaires : souci scientifique ou protection des intérêts économiques

AuthorMagdalena Lewandowski-Arbitre
ProfessionDocteur en droit communautaire et international (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
Pages115-140

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Le 15 avril 1994, avec l'Accord de Marrakech, l'OMC voit le jour, et s'intègre dans la tradition des relations commerciales internationales. Cet accord est la résultante de l'histoire des relations internationales. Les premiers traités se déroulaient dans un contexte purement bilatéral, sans encadrement collectif extérieur. Néanmoins, dès le XIIe siècle, sont apparus les ancêtres des traités de commerce bilatéraux contemporains sous forme d'accords entre monarques. Ces textes accordaient à leurs sujets - en général sur une base réciproque - des traitements particuliers, le plus souvent, en matière d'établissement et de droits de douane.

Puis, avec la naissance de l'État moderne à partir du XVIe siècle, les traités bilatéraux de commerce connaissent un essor considérable. Au XIXe siècle, les clauses de la nation la plus favorisée, fondés sur la réciprocité (type conditionnel), se multiplient. Àpartir de 1921, à l'occasion de la conclusion du nouvel accord de commerce entre les États-Unis et l'Allemagne, une nouvelle clause de la nation la plus favorisée est insérée de : "elle est de type inconditionnel, c'est-à -dire qu'elle est automatique et sans réciprocité".

Aussi, lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne posent entre 1941 (avec la Charte de l'Atlantique) et 1945 (avec le dernier de leurs accords économiques bilatéraux de l'époque) les bases du "monde meilleur" de l'après-guerre, l'ac- cord se fait sur les notions d'égalité de traitement et d'avantages mutuels entre les nations, dans une optique de réalisation des transactions internationales. Ainsi, le concept cardinal de l'égalité de traitement (ou non-discrimination), de réciprocité et de libéralisation deviennent les éléments constitutifs du multilatéralisme ou de l'organisation des échanges commerciaux350.

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Àl'origine, le GATT apparaissait comme un simple cadre de négociations périodiques351. Les membres fondaient leurs négociations sur quatre principes, dont la portée est aujourd'hui remise en cause, notamment en fonction des niveaux de développement des États. Ainsi, le premier principe de la réciprocité ne joue plus que dans les négociations entre égaux, et c'est le principe inverse, de non-réciprocité, qui régit les négociations avec les pays en développement352. Le second principe des avantages mutuels s'associe à la règle précédente, et la précise353.

Le troisième principe est celui de l'égalité de traitement entre les participants. Les concessions commerciales offertes par les participants lors des négociations, ensuite insérées dans leurs listes (schedules) sont automatiquement étendues à tous les autres participants, en application du jeu de la clause de la nation la plus favorisée de type inconditionnel354.

Le dernier principe est celui de la protection juridique des concessions commerciales négociées. Àla fin de chaque négociation, les participants déposent des listes récapitulant les offres faites en matière commerciale - actes unilatéraux des parties contractantes - jointes à l'Accord général dont elles font partie intégrante355. Cette intégration leur donne ainsi la même portée juridique convention- nelle obligatoire.

Ainsi, au cours des ans, les droits de douane - obstacles visibles - aux échanges se sont considérablement réduits. Parallèlement, les barrières non-tarifaires, obstacles invisibles à l'accès aux marchés ont proportionnellement augmenté.

C'est en 1986, à l'initiative des États-Unis, subissant la pression des exportateurs américains de produits agricoles, qu'une conférence ministérielle du GATT a reconnu la nécessité de renforcer les règles de cette organisation internationale pour empêcher l'utilisation de mesures sanitaires comme des barrières commerciales arbitraires. Dans ce sens, force est de constater que plusieurs États membres du GATT ont eu recours de manière croissante à l'emploi des mesures SPS en invoquant notamment l'article XX(b). Àcet effet, il a été retenu d'inclure les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) parmi les thèmes des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round356.

Dans cette optique, la déclaration ministérielle lançant le Cycle d'Uruguay a souligné que "les négociations viseront à libéraliser davantage le commerce des produits agricoles par la réduction au minimum des effets défavorables que les réglementations et obstacles sanitaires et phytosanitaires peuvent avoir sur le commerce des produits agricoles, en tenant compte des accords internationaux Page 117 applicables en l'espèce". L'Accord général de 1947 avait appréhendé initialement l'agriculture, sans doute avec quelques spécificités, et s'en était progressivement désintéressé au cours des ans. L'OMC revenait donc sur cet abandon.

Ainsi, un accord sur l'agriculture a été conclu et annexé à l'Accord de Marrakech au titre des "accords multilatéraux sur le commerce des marchandises". D'une manière générale, le régime des produits agricoles dans le "système OMC" se manifeste par l'application de principe du "GATT 1994" sous réserve des dispositions spécifiques et dérogatoires de cet accord (article 21 de ce dernier). Les mesures adoptées relèvent d'un caractère hautement technique, et seuls les principaux caractères seront brièvement examinés ici.

L'accord a instauré un calendrier de libéralisation. D'une manière générale, la mise en oeuvre de l'accord devra s'étale sur une période de six ans commençant en 1995357. Toutefois, il en va différemment en ce qui concerne l'engagement de modération (parfois qualifiée de "clause de paix") visé à l'article 13 et qui couvrira une période de neuf ans.

Concernant l'accès aux marchés, il est établi que pour les produits agricoles concernés (annexe 1), les droits de douanes devront être consolidés et être réduits de 36 % sur une période de six ans. Les pays en développement bénéficient d'une durée de dix ans et sont tenus qu'à une réduction moindre (24 %)358.

Les disciplines en matière de soutien interne sont aménagées. Elles constituent une des caractéristiques majeures des politiques agricoles nationales (ou communautaire). Les pays membres de l'OMC ont pris des engagements en la matière qui brillent par leur complexité. Les États s'engagent à convertir leurs mesures de soutien interne en faveur des producteurs agricoles en une "mesure globale du soutien totale" (ou MGS) selon des modes de calcul d'une grande technicité359.

Des règles sont aménagées en matière de subventions à l'exportation. Les subventions à l'exportation, plus détectables mais aussi nuisibles en ce qu'elles portent directement atteinte à la loyauté des échanges, font l'objet d'un traitement spécial plus stricte360. Tout d'abord, elles sont cernées avec plus de précision à partir des techniques utilisées par les pouvoirs publics. Ensuite, les pays membres prennent l'engagement de les consolider, puis de les réduire de 36 % sur la période de mise en oeuvre de droit commun de six ans.

Et enfin, les obstacles aux importations agricoles sont transformés en équivalents tarifaires. Jusqu'alors, les principales barrières aux importations de produits agricoles prenaient la forme d'obstacles non-tarifaires. Il s'agit là de mesures gouvernementales, de nature administrative, qui ont pour caractéristique commune de ne pas reposer sur des mécanismes de prix. D'où l'idée révolutionnaire de les transformer en droits de douanes selon des bases de calcul complexes posées par l'accord lui-même361. Ainsi, l'échange portant sur les produits agricoles rentre dans le droit commun du commerce des marchandises : celui-ci est en effet fondé Page 118 sur le principe de la protection douanière exclusive. Les restrictions aux importations de produits agricoles étant quantifiées deviennent ainsi transparentes.

Finalement, l'Accord sur l'agriculture et l'"Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires" apparaissent comme intimement liés, le premier faisant d'ailleurs expressément référence au second362. En un...

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