Conclusion générale

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Service public et Communauté européenne ont pu longtemps paraître étrangers l'un à l'autre, avant d'être perçus comme antagonistes

, ont souligné Robert Kovar et Denys Simon 1248, en se demandant si l'opposition entre le libéralisme de Bruxelles et le service public (à la française) ne relèverait pas « davantage de l'idée reçue que de la réalité » en s'estompant de plus en plus « au profit d'une indispensable coopération » ?

De fait, le débat a effectivement émergé de contradictions que l'on a pu qualifier d'« ontologiques » parce qu'elles portaient « sur l'essentiel même des deux systèmes juridiques et sur les principes vitaux qui les animent : missions d'intérêt général assumées par les États d'un côté, marché et concurrence de l'autre » 1249. Toutefois, la principale conclusion qu'il semble possible de tirer d'une étude d'ensemble est que l'antagonisme théorique disparaît au fur et à mesure qu'il est confronté à la réalité d'une double évolution : d'une part, l'évolution des régimes nationaux de service public - à commencer par ceux organisés en réseau - s'adaptant aux exigences du droit communautaire et d'un marché intérieur unifié ; et, d'autre part, l'évolution des règles matérielles communautaires qui prennent en compte - parfois pour les absorber en leur sein - les considérations d'intérêt général revendiquées au niveau national.

Si l'on s'attarde sur le cas du « service public à la française », cette double évolution a conduit à un rapprochement significatif des conceptions. Telle qu'elle a été progressivement révélée par l'étude, la conception française du service public peut être résumée autour de trois critères successivement : finaliste (une mission d'intérêt général) ; organique (une mission rattachée à l'État, que cette mission soit assurée par une personne publique ou une personne privée) et matériel (un régime exorbitant du droit commun comprenant l'obligation de respecter un certain nombre de principes généraux de fonctionnement). Ces critères communs aux Page 594 droits communautaire et français paraissent se renvoyer l'un à l'autre et se (re)définir 1250 l'un par rapport à l'autre.

Il est apparu qu'il en était ainsi de manière la plus évidente du critère matériel : le régime juridique français des services publics inspire autant celui du droit communautaire qu'il puise dans ce dernier de nouveaux principes de fonctionnement. Mieux : nous avons vu que, d'une part, le juge administratif, « créateur » du service public, semblait prêt à adopter la méthode d'identidification du droit communautaire 1251, encouragé en cela par le juge constitutionnel 1252 et que, d'autre part, l'impulsion communautaire donnée à l'ouverture des services publics pouvait se traduire « par l'expansion plutôt que par la contraction du champ du service public » 1253.

Il en a été ensuite démontré de même, mais de manière moins évidente, pour le critère organique. L'approche du droit communautaire ne néglige pas de mettre en valeur le lien entre l'organe chargé du service public et l'entité publique - l'État au sens large - qui lui en a confié la gestion. L'article 86 § 2 parle d'entreprises « chargées de » la gestion d'un service d'intérêt économique général tandis que les notions de service universel et d'obligations de service public présupposent l'intervention de l'État - ou d'une autorité réglementaire nationale - pour les imposer à un opérateur. En même temps qu'ils intègrent un élément organique dans leur approche du service public, les textes communautaires conduisent le droit interne à reconsidérer les liens entretenus par l'État avec ses services publics.

S'agissant enfin du critère finaliste, l'étude a mis en évidence sa double dimension aussi bien en droit communautaire qu'en droit français : d'une part, celle de la mission elle-même qui se concrétise dans une activité de prestation, certains observateurs ayant souligné que « le droit communautaire retrouve ainsi la dimension initiale de prestation du service public, que développe l'émergence d'une doctrine du service universel » 1254 ; d'autre part, celle du caractère d'intérêt général que revêt cette prestation, qu'il s'agisse de prendre en compte les définitions nationales de l'intérêt général ou de promouvoir « l'intérêt général européen ». Le droit com- Page 595 munautaire ne peut échapper à son tour à la dimension subjective, parce que politique, de la notion de service public dès lors qu'il prend conscience qu'est en jeu le « modèle européen de société » 1255 et que l'intérêt du citoyen est érigé « en principe fédérateur de la définition du service d'intérêt général au-delà des spécificités ou des exceptions nationales » 1256.

Sur ce constat d'une convergence des systèmes juridiques nationaux et communautaire consacrée sur l'autel du service public, deux questions finales sont permises : une telle convergence peut-elle jouer un rôle dans la consolidation d'un droit administratif communautaire, à l'instar du droit français (Paragraphe I) et correspond-elle à une évolution fondamentale de ces systèmes et des philosophies politiques qui les sous-tendent (Paragraphe II) ?

§ I - Service public et consolidation du droit administratif communautaire

L'identification d'un droit administratif communautaire à part entière est un sujet qui prête encore à débat (A). L'émergence d'une notion de service public à l'échelon européen pourrait contribuer à consolider l'autonomie de ce droit (B).

A - L'identification d'un droit administratif communautaire

Entre l'observation et l'hypothèse

. Par ces mots, Jean-Bernard Auby a conclu un colloque sur l'influence du droit communautaire sur les droits administratifs nationaux. Il explique que « l'observable réside dans les nombreuses traces que le droit communautaire a d'ores et déjà imprimées dans le tissu du droit administratif », mais que « derrière ces réalités constatables se dessinent des mouvements globaux probables : celui d'une convergence des droits européens, plus encore celui d'une articulation commune de ces droits au droit communautaire » ; et de conclure que « l'hypothèse scientifique d'un droit administratif européen, qui paraissait relever du paradoxe ou du jeu de mots, peut alors être avancée » 1257.

Même si, dans une certaine mesure, il s'inscrit dans le cadre plus général des perspectives d'un « droit commun de l'Europe » 1258, d'une « culture juridique Page 596 européenne » 1259 ou encore d'un « espace public européen » 1260, le débat sur l'émergence potentielle d'un droit administratif communautaire est relativement récent.

Encore faut-il s'entendre sur le contenu de la notion. Pour Jürgen Schwarze, auteur du traité à l'intitulé pionnier de « Droit administratif européen » 1261, cette notion peut s'entendre de deux manières : « Dans un sens plutôt étroit, le "droit administratif européen" comporterait les principes gouvernant l'action administrative des institutions mêmes de l'Union européenne ; grâce surtout à la jurisprudence de la Cour de justice, nous disposons déjà d'un ensemble de règles de droit qui mérite cette dénomination. Dans un sens plus large, la notion de "droit administratif européen" peut décrire le développement d'un droit administratif commun à tous les États membres de l'Union européenne » 1262.

Dans sa première acception ramenée au cadre uniquement de l'Union européenne, la notion de droit administratif communautaire renvoie donc aux règles de fonctionnement des institutions que les traités fondateurs instituent. M. Schmidt- Assmann 1263 affine l'analyse pour distinguer entre le « droit de l'administration communautaire » et le « droit administratif communautaire » proprement dit. Le droit de l'administration communautaire viserait ainsi les règles précitées régissant l'ensemble des administrations de l'Union, au sein duquel on distinguerait entre, d'une part, le « droit de l'organisation » au sens des structures administratives et de la fonction publique des Communautés européennes, et, d'autre part, le « droit des actes », c'est-à-dire des « normes habilitant les organes communautaires-26; à exercer des compétences...

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