Antonius van den Boogaard contra Paula Laumen.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1996:495
Date12 December 1996
Celex Number61995CC0220
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-220/95
EUR-Lex - 61995C0220 - FR 61995C0220

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 12 décembre 1996. - Antonius van den Boogaard contre Paula Laumen. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank Amsterdam - Pays-Bas. - Convention de Bruxelles - Interprétation de l'article 1er, second alinéa - Notion de régimes matrimoniaux - Notion d'obligation alimentaire. - Affaire C-220/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-01147


Conclusions de l'avocat général

1 Dans la présente affaire, qui résulte d'une demande de décision à titre préjudiciel formée par l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam, la question essentielle qui est soumise à la Cour est celle de savoir comment doit être qualifiée, aux fins de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (1), une décision de la High Court of Justice of England and Wales ordonnant, dans le contexte d'une procédure de divorce, le paiement d'une somme forfaitaire. Plus particulièrement, une telle décision concerne-t-elle les «régimes matrimoniaux» au sens de l'article 1er de la convention, auquel cas elle ne pourrait pas être exécutée sur la base de la convention, ou concerne-t-elle les obligations alimentaires, auquel cas elle pourrait être exécutée sur la base de la convention?

Dispositions pertinentes de la convention de Bruxelles

2 Le deuxième alinéa de l'article 1er de la convention de Bruxelles dispose que sont exclus de l'application de cette dernière: «1) l'état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux...».

3 L'article 5 de la convention de Bruxelles dispose:

«Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1. ...

2. en matière d'obligation alimentaire, devant le tribunal du lieu où le créancier d'aliments a son domicile ou sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une demande accessoire à une action relative à l'état des personnes, devant le tribunal compétent selon la loi du for pour en connaître, sauf si cette compétence est uniquement fondée sur la nationalité d'une des parties...»

4 En conséquence, il est clair que la convention de Bruxelles s'applique en matière d'obligation alimentaire, y compris lorsque l'obligation naît dans le contexte de la dissolution d'un mariage. En réalité, la raison d'inclure cette matière dans les exceptions, énumérées à l'article 5, à la règle générale selon laquelle le défendeur doit être attrait devant les juridictions de l'État de son domicile, était précisément de permettre à la femme mariée mais séparée de son mari d'attraire celui-ci en paiement de pensions alimentaires devant le juge du lieu où elle a sa résidence habituelle (2). Pour rendre cela possible, il était nécessaire de prévoir une exception supplémentaire au système général de la convention: l'article 5, point 2, est la seule disposition de la convention qui fasse de la résidence habituelle un critère alternatif par rapport au domicile pour l'établissement de la compétence. Étant donné que, dans la plupart des ressorts, les deux notions se recoupent dans une large mesure, on peut se demander pourquoi l'article 5, point 2, déroge ainsi à la règle générale. La raison en est que, dans certains États contractants, la femme acquiert par le mariage le domicile de son mari; en conséquence, si la compétence avait uniquement été attribuée aux juridictions du domicile de la femme mariée mais séparée, la convention n'aurait pas toujours réalisé son objectif de permettre à la femme d'attraire son mari devant le juge du lieu de sa résidence habituelle plutôt que devant celui de la résidence de son mari.

Le contexte de la décision dont l'exequatur est demandé

5 M. Van den Boogaard et Mme Laumen, tous deux de nationalité néerlandaise, se sont mariés en 1957 aux Pays-Bas sous le régime de la communauté universelle. En 1980, ils ont, comme le droit néerlandais le permet, conclu un accord de séparation de biens, et se sont, à cette occasion, réparti leurs biens en parts à peu près égales.

6 Au début de 1982, les parties se sont installées à Londres. En 1988, la High Court of Justice, London, a dissous leur mariage; elle s'est vraisemblablement estimée compétente parce qu'une des parties - ou les deux - avait eu sa résidence habituelle en Angleterre pendant l'année précédant l'engagement de la procédure de divorce (3). L'épouse divorcée a ultérieurement saisi la High Court d'une demande accessoire de règlement global, tendant à obtenir, conformément aux articles 23 et 24 du Matrimonial Causes Act 1973 (4), des décisions ordonnant des dispositions financières et une répartition des droits de propriété. Le 25 juillet 1990, M. le juge Cazalet a rendu une décision dont les éléments essentiels consistent à ordonner au mari: i) de céder à l'épouse la maison conjugale et un tableau de De Heem; ii) de lui payer une somme forfaitaire de 355 000 UKL et iii) d'effectuer en sa faveur des paiements périodiques (initialement 35 000 UKL par an en vertu d'une décision rendue à un stade antérieur de la procédure, et ensuite 30 000 UKL par an) sans interruption jusqu'au paiement de la somme forfaitaire et à la cession de la maison et du tableau.

7 L'ordonnance de renvoi reproduit différents extraits de la décision de M. le juge Cazalet, parmi lesquels l'extrait suivant:

«La demande formelle que l'on m'a présentée est une demande accessoire de règlement global (`full ancillary relief') introduite par une épouse contre son mari, visant notamment au paiement périodique d'une pension alimentaire pour la demanderesse et les deux plus jeunes enfants de la famille. Au stade actuel, l'épouse ne réclame plus le paiement périodique d'une pension alimentaire pour ses deux enfants; elle se réserve toutefois le droit de réitérer sa demande à un stade ultérieur.

Elle m'a également fait savoir, par l'intermédiaire de son conseil, qu'elle souhaitait que, dans la mesure du possible, il y ait une rupture claire et nette entre elle et son mari. En conséquence, si un capital suffisant devait lui être octroyé, le paiement périodique d'une pension alimentaire ne se justifierait plus. Elle ne dépendrait donc plus de son mari pour son entretien.

...

Ainsi, pour les motifs que j'ai exposés en résumé (5), je considère que le contrat néerlandais de séparation de biens conclu en 1980 n'a aucune influence sur la décision que j'aurai à prendre dans le cadre de la présente procédure.

...

Si l'on déduit ensuite du total les montants suivants, c'est-à-dire les 10 000 UKL de fonds propres, les 35 000 UKL que peuvent représenter le produit de la vente des biens meubles, les 430 000 UKL de l'immeuble situé au 39, Connaught Square et les 60 000 UKL du De Heem dont j'ai ordonné la cession (les deux derniers montants représentent l'évaluation du prix net de la vente de ces biens), elle devrait être en mesure de récolter ou d'avoir à sa disposition 535 000 UKL, alors que j'évalue le total dont elle a besoin pour subvenir à ses besoins à 875 000 UKL. 875 000 UKL moins 535 000 UKL égalent 340 000 UKL. Sur la base des éléments de preuve, je suis convaincu que le mari a les moyens de se conformer à mon ordonnance. En outre, je suis convaincu qu'il lui restera par la suite suffisamment de moyens pour subvenir de manière convenable à ses propres besoins et à ceux des deux plus jeunes enfants. J'estime également qu'il s'agit clairement en l'espèce d'un cas où il convient d'opérer une rupture claire et nette mettant fin aux obligations financières réciproques des parties.

La manière dont sera rédigé le texte définitif de mon ordonnance dépendra des arguments supplémentaires qui seront développés devant moi, mais j'estime que l'épouse devrait pouvoir disposer de la totalité du capital dans un délai de trois mois - je tiendrai compte également des arguments qui seront développés devant moi - et que les paiements périodiques doivent se poursuivre en attendant. Il faut aussi ajouter un montant supplémentaire de 15 000 UKL au montant forfaitaire qui lui sera versé pour couvrir les dépens de la procédure suisse (6). Le montant devrait dès lors être porté de 340 000 UKL à 355 000 UKL.

C'est ce montant forfaitaire que je voudrais retenir dans mon ordonnance.»

8 Les «motifs» exposés par M. le juge Cazalet pour ne pas tenir compte du contrat néerlandais de séparation de biens étaient principalement les suivants: l'épouse avait conclu le contrat dans la crainte que son mari tombe prochainement en faillite, et son mari l'avait conclu en sachant qu'il allait prochainement toucher une commission d'un montant considérable, sans toutefois le dire à son épouse. Comme nous l'expliquerons plus en détail ci-après (7), en droit anglais, un contrat conclu entre les époux à propos de la propriété de leurs biens ne lie pas la juridiction appelée à statuer sur les aspects financiers et patrimoniaux de leur divorce.

9 En outre, la décision du juge anglais contient deux autres éléments qui peuvent présenter un intérêt aux fins de la question soumise à la Cour et qui n'ont pas été mentionnés par la juridiction de renvoi.

10 Premièrement, il ressort clairement de la décision que le montant de départ de 875 000 UKL, utilisé par M. le juge Cazalet pour effectuer le calcul précité, et représentant le montant total qu'il estimait nécessaire à l'épouse divorcée pour subvenir à ses besoins, constitue l'addition des deux sommes suivantes: i) 375 000 UKL pour acquérir un logement approprié et s'y installer, et ii) 500 000 UKL représentant le capital, calculé conformément à la jurisprudence anglaise, nécessaire pour obtenir un revenu annuel de 30 000 UKL, que M. le juge Cazalet considérait comme le revenu adapté à la situation de l'épouse divorcée.

11 Deuxièmement, M. le juge Cazalet a précisé que l'épouse divorcée, étant âgée de 55 ans et ayant toujours la charge des trois plus jeunes des six enfants...

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