Rui Alberto Pereira Roque contra His Excellency the Lieutenant Governor of Jersey.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1997:425
Docket NumberC-171/96
Celex Number61996CC0171
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date23 September 1997
EUR-Lex - 61996C0171 - FR 61996C0171

Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 23 septembre 1997. - Rui Alberto Pereira Roque contre His Excellency the Lieutenant Governor of Jersey. - Demande de décision préjudicielle: Royal Court of Jersey. - Libre circulation des personnes - Acte d'adhésion de 1972 - Protocole nº 3 concernant les îles anglo-normandes de l'île de Man - Jersey. - Affaire C-171/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-04607


Conclusions de l'avocat général

I - Les questions préjudicielles et leur cadre normatif

1 La Royal Court of Jersey (ci-après la «Royal Court») a posé à la Cour dans la présente procédure - la première dans laquelle une instance juridictionnelle de l'île se prévaut du mécanisme de coopération institué par l'article 177 du traité - les questions préjudicielles suivantes:

«1) Considérant que les citoyens britanniques ne sont pas soumis au contrôle en matière d'immigration à Jersey ni susceptibles d'en être expulsés, faut-il en déduire que l'article 4 du protocole n_ 3 de l'acte d'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes a pour effet que les ressortissants d'un autre État membre ne sont pas non plus susceptibles d'être expulsés de Jersey?

2) En cas de réponse négative à la première question, l'article 4 précité interdit-il aux autorités compétentes de Jersey d'expulser un ressortissant d'un autre État membre sauf si cette expulsion est justifiée par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, l'article 4 précité interdit-il aux autorités compétentes de Jersey d'expulser un ressortissant d'un autre État membre de Jersey lorsque les considérations relevant de l'ordre public invoquées par ces autorités n'entraîneraient pas, en pratique, l'expulsion de cette personne du Royaume-Uni?»

2 La bonne compréhension, avant même la solution, des questions préjudicielles exige un rappel préliminaire des rapports de droit constitutionnel du bailliage de Jersey (Bailiwick of Jersey) avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, ainsi que du statut de droit international de Jersey, également à la suite de l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes en 1973 (1).

3 Le bailliage de Jersey comprend, outre l'île du même nom, les petites îles des Minquiers et des Ecréhos. Comme les autres îles britanniques (2), il ne fait pas partie du Royaume-Uni et ne constitue pas non plus une de ses colonies (3).

Jersey est, en revanche, une dépendance de la couronne britannique (4), dont le rapport constitutionnel (ou le modus vivendi) avec le Royaume-Uni a évolué sous une forme qui ne rentre pas dans un cadre rigide (5), étant fondé sur un équilibre singulier et fragile entre droits monarchiques et responsabilités insulaires d'autogouvernement (6). Jersey jouit, en effet, d'une large autonomie législative, administrative et juridictionnelle par rapport au Royaume-Uni (7).

4 Il y a en outre lieu de retenir que Jersey et les autres îles britanniques n'ont pas de personnalité internationale (entendue comme le pouvoir d'agir de façon indépendante) et constituent en droit international de simples subdivisions territoriales du Royaume-Uni (8). Cette conclusion semble à première vue incompatible avec ce qui a été observé sur les rapports entre Jersey et le Royaume-Uni sur le plan du droit constitutionnel interne. La contradiction n'est cependant qu'apparente. La situation constitutionnelle particulière réservée aux îles britanniques peut être considérée comme une simple forme d'autogouvernement prévue par l'ordre juridique interne du Royaume-Uni pour une partie de son territoire national (9).

En effet, comme nous l'avons déjà indiqué (10), la conduite et la responsabilité des rapports internationaux des îles britanniques incombent à la couronne, qui agit par l'intermédiaire du gouvernement du Royaume-Uni.

Or, selon le droit international public, il y a lieu de présumer que les traités - ainsi que tous les actes par lesquels chaque État exprime la volonté d'en devenir partie: signature, ratification, adhésion - s'appliquent non seulement au territoire national, mais aussi à tous les territoires dont chaque contractant a la responsabilité en matière de relations internationales, à moins que cette présomption soit écartée par une limitation expresse ou implicite du domaine d'application de l'accord dans l'espace (laquelle pourrait, par exemple, résulter d'une clause qui confère aux parties la faculté d'appliquer l'accord à certains territoires dépendants) (11).

Par ailleurs, avant de conclure des accords internationaux applicables aux îles britanniques - et particulièrement lorsque cette application requiert l'adoption de nouvelles dispositions dans des matières relevant normalement des compétences des organes législatifs insulaires - le gouvernement du Royaume-Uni a pour pratique constante de consulter les autorités des îles (12).

5 Les autorités centrales ont en effet consulté les autorités locales - en particulier, et pour ce qui intéresse les présentes conclusions - à la suite de la demande d'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes, formalisée en 1967. Décider si Jersey et les autres îles britanniques devaient ou non rentrer dans la Communauté (alors qu'en toute hypothèse le Royaume-Uni y aurait adhéré) soulevait en effet une série de problèmes, surtout en raison de la faible superficie des îles, de leur proximité par rapport au continent et des liens économiques étroits qui les unissent au Royaume-Uni (et, dans une moindre mesure, à la France). Il s'agissait, en particulier, de déterminer quel impact l'adhésion du Royaume-Uni aurait eu, dans l'hypothèse de l'entrée simultanée des îles britanniques et dans le cas inverse: i) sur la situation de protection spéciale des industries maraîchères et agricoles insulaires, ii) sur leurs privilèges fiscaux et douaniers historiques, iii) sur les mesures d'aide aux activités financières dans les îles, reposant sur le secret bancaire strict et sur la fixation de faibles taux d'imposition, ainsi que iv) sur les industries touristiques locales à caractère saisonnier, en particulier sous les aspects du contrôle de l'immigration et de la sécurité sociale (13).

6 En vertu de l'article 227, paragraphe 4, du traité CE (ci-après le «traité»), «Les dispositions du présent traité s'appliquent aux territoires européens dont un État membre assume les relations extérieures».

En application de cette disposition, l'adhésion du Royaume-Uni aux Communautés européennes aurait donc nécessairement dû impliquer la pleine applicabilité du traité également aux îles britanniques, y compris Jersey (14).

7 L'article 26, paragraphe 3, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion aux Communautés européennes du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord aux adaptations des traités (ci-après l'«acte d'adhésion») (15) a toutefois ajouté à l'article 227 précité un nouveau paragraphe 5 qui, selon une formulation ambiguë, dispose: «Par dérogation aux paragraphes précédents ... c) les dispositions du présent traité ne sont applicables aux îles Anglo-Normandes et à l'île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l'application du régime prévu pour ces îles par le traité relatif à l'adhésion de nouveaux États membres à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l'énergie atomique, signé le 22 janvier 1972».

8 Le régime spécial prévu pour les îles britanniques, mentionné dans l'article 227, paragraphe 5, du traité, est celui institué par le protocole n_ 3 de l'acte d'adhésion, concernant les îles Anglo-Normandes et l'île de Man (ci-après le «protocole»). Le protocole est annexé à l'acte d'adhésion et fait partie intégrante du traité (article 158 de l'acte d'adhésion).

Comme on le sait, la solution des problèmes indiqués plus haut (voir ci-dessus, point 5) qui a prévalu au cours des négociations en vue de l'entrée du Royaume-Uni dans les Communautés a été d'autoriser d'importantes dérogations à la pleine application du traité. En conséquence, les dispositions du traité qui ne sont pas spécifiquement mentionnées dans le protocole ne sont pas applicables aux îles britanniques (16).

9 Le protocole prévoit que les îles normandes et l'île de Man sont comprises dans l'union douanière communautaire, mais exclues du domaine de la politique agricole commune (17). En vertu de l'article 1er du protocole, la réglementation communautaire en matière douanière et en matière de restrictions quantitatives s'applique aux îles britanniques «dans les mêmes conditions qu'au Royaume-Uni» (18).

Quant aux produits agricoles objet d'un régime d'échanges spécial, l'article 1er précité dispose l'applicabilité dans les îles britanniques: i) des prélèvements et autres mesures à l'importation, à l'égard des pays tiers, prévus par la réglementation communautaire et applicables au Royaume-Uni, et ii) des dispositions communautaires «nécessaires en vue de permettre la libre circulation et le respect de conditions normales de concurrence dans les échanges de ces produits».

10 Quant à la délicate matière de la libre circulation des personnes, l'article 2 du protocole a prévu que: «Les droits dont bénéficient les ressortissants [des îles britanniques] ne sont pas affectés par l'acte d'adhésion. Toutefois ceux-ci ne bénéficient pas des dispositions communautaires relatives à la libre circulation des personnes et des services».

Il convient de lire cette disposition en combinaison avec l'article 6 suivant selon lequel: «Est considéré au sens du présent protocole comme ressortissant des îles Anglo-Normandes ou de l'île de Man, tout citoyen britannique (19) qui détient cette citoyenneté en vertu du fait que lui-même, l'un de ses parents ou l'un de ses grands-parents est né, a été adopté, naturalisé ou inscrit au registre de l'état...

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