Conclusiones del Abogado General Sr. E. Tanchev, presentadas el 27 de junio de 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:551
Celex Number62018CC0585
CourtCourt of Justice (European Union)
Date27 June 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Evgeni TANCHEV

présentées le 27 juin 2019 (1)

Affaires jointes C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18

A. K. (C‑585/18)

contre

Krajowa Rada Sądownictwa

et

CP (C‑624/18)

DO (C‑625/18)

contre

Sąd Najwyższy (C‑624/18 et C‑625/18)

En présence de :

Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową

[Demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – État de droit – Article 2 TUEArticle 19, paragraphe 1, TUE – Principe de protection juridictionnelle effective – Principe de l’indépendance des juges – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 47 et 51 – Mesures nationales établissant la Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Mesures nationales modifiant le mode de désignation des membres judiciaires du Conseil national de la magistrature – Primauté du droit de l’Union – Pouvoir de laisser inappliquée une législation nationale contraire au droit de l’Union »






I. Introduction

1. À l’instar des problèmes que j’ai examinés dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18) et dans l’affaire Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18) (2), les présentes affaires s’inscrivent dans le contexte de la réforme du système judiciaire polonais, instaurée par des mesures adoptées en 2017, qui ont fait l’objet d’une proposition motivée de la Commission (3) au titre de l’article 7, paragraphe 1, TUE, concernant l’État de droit en Pologne, ainsi que d’une vague de critiques au niveau international (4).

2. Ces litiges portent sur des demandes, fondées en partie sur le droit de l’Union, introduites devant la Chambre du travail et des assurances sociales du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) par des magistrats affectés par les mesures polonaises abaissant l’âge de départ à la retraite des juges. Dans son arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18)(5), la Cour a jugé que ces mesures étaient incompatibles avec les obligations de la Pologne au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, car elles sont contraires aux principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges, ces deux principes étant protégés en droit de l’Union.

3. Bien que, en droit national, la Chambre disciplinaire de la Cour suprême, nouvellement créée, ait été désignée aux fins de statuer sur ces demandes, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la Chambre disciplinaire offre des garanties d’indépendance suffisantes en vertu du droit de l’Union pour connaître de ces demandes. Il s’agit de tenir compte du fait que le groupe des juges susceptibles d’être nommés au sein de la Chambre disciplinaire par le président de la République est sélectionné par la Krajowa Rada Sądownictwa (conseil national de la magistrature, ci-après le « CNM »), soit l’organe chargé de préserver l’indépendance des juges en Pologne. Cependant, l’indépendance du CNM a été, à son tour, mise en doute à la suite d’une législation polonaise modifiant le mode de désignation de ses membres judiciaires. La composition du CNM est désormais définie, à titre principal, par les autorités législatives et exécutives.

4. Des interrogations plus spécifiques naissent également quant à la procédure de sélection des juges de la Chambre disciplinaire, utilisée par le CNM.

5. Par conséquent, la question essentielle sur laquelle la Cour doit statuer en l’espèce est de savoir si la Chambre disciplinaire de la Cour suprême répond aux exigences d’indépendance en vertu du droit de l’Union, au regard du mode de désignation des membres du CNM et des méthodes de sélection des juges devant siéger au sein de ladite Chambre disciplinaire.

6. Si la Cour devait juger que la Chambre disciplinaire de la Cour suprême ne répond pas à ces exigences, la juridiction de renvoi souhaite également savoir si, en vertu du droit de l’Union, elle est habilitée à laisser inappliquées des dispositions de droit national qui peuvent être perçues comme faisant obstacle à ce que ladite juridiction de renvoi se saisisse des litiges au principal.

7. Par conséquent, la juridiction de renvoi invite la Cour, en substance, à développer sa jurisprudence relative aux obligations des États membres, consistant à assurer l’indépendance des juges en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), afin de faire respecter l’État de droit dans l’ordre juridique de l’Union.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

8. L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dispose :

« Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. »

9. L’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte prévoit :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. […] »

B. Le droit polonais

1. Les dispositions relatives à l’abaissement de l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême

10. L’article 30, paragraphe 1, de l’ustawa z dnia 23 listopada 2002 r. o Sądzie Najwyższym (loi du 23 novembre 2002 relative à la Cour suprême, Dz. U. nº 240 de 2002, position 2052, telle que modifiée, ci-après la « loi de 2002 sur la Cour suprême ») a fixé à 70 ans l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême, à moins que le juge visé n’adresse au premier président de la Cour suprême, au plus tard six mois avant d’atteindre l’âge de 70 ans, une déclaration indiquant son souhait de continuer à exercer ses fonctions et qu’il ne présente un certificat attestant de son état de santé. Dans ce cas, selon l’article 30, paragraphe 5, de cette même loi, un tel juge pouvait automatiquement exercer ses fonctions jusqu’à l’âge de 72 ans.

11. Le 20 décembre 2017, le président de la République a signé l’ustawa z dnia 8 grudnia 2017 r. o Sądzie Najwyższym (loi du 8 décembre 2017 sur la Cour suprême, Dz. U. de 2018, position 5, telle que modifiée, ci-après la « loi de 2017 sur la Cour suprême »), laquelle est entrée en vigueur le 3 avril 2018.

12. Selon l’article 37, paragraphes 1 à 4, de la loi de 2017 sur la Cour suprême, les juges de la Cour doivent en principe partir à la retraite à l’âge de 65 ans, sauf s’ils déposent, dans le délai prévu, une déclaration de leur souhait de continuer à exercer leurs fonctions et un certificat attestant de leur bon état de santé, et si le président de la République consent à la poursuite de l’exercice de ces mêmes fonctions. Suivant la procédure prévue par lesdites dispositions, avant d’accorder une telle autorisation, le président de la République est obligé de consulter le CNM, qui lui fournit un avis. Conformément à l’article 111, paragraphe 1, de ladite loi, les juges de la Cour suprême qui avaient atteint l’âge de 65 ans en date du 3 juillet 2018 étaient tenus de partir à la retraite le 4 juillet 2018, à moins qu’ils n’aient soumis ces documents dans un délai spécifique et que le président de la République ait accordé son autorisation selon la procédure prévue à l’article 37 de ladite loi.

2. Les dispositions relatives à la Chambre disciplinaire

13. La loi de 2017 sur la Cour suprême a institué, entre autres, une nouvelle chambre au sein de la Cour suprême, appelée la « Chambre disciplinaire », établie, conformément à l’article 133 de ladite loi, à compter du 3 avril 2018.

14. L’article 20 de la loi de 2017 sur la Cour suprême dispose :

« S’agissant de la Chambre disciplinaire et des juges siégeant au sein de cette même Chambre, les prérogatives du premier président de la Cour suprême, telles que définies :

1) par l’article 14, paragraphe 1, points 1, 4 et 7, l’article 31, paragraphe 1, l’article 35, paragraphe 2, l’article 36, paragraphe 6, l’article 40, paragraphes 1 et 4, et l’article 51, paragraphes 7 et 14, sont exercées par le président de la Cour suprême dirigeant les travaux de la Chambre disciplinaire ;

2) par l’article 14, paragraphe 1, point 2, ainsi que par l’article 55, paragraphe 3, seconde phrase, sont exercées par le premier président de la Cour suprême, de commun accord avec le président de la Cour suprême dirigeant les travaux de la Chambre disciplinaire. »

15. L’article 27 de la loi de 2017 sur la Cour suprême énonce :

« 1. Relèvent de la compétence de la Chambre disciplinaire les affaires :

1) disciplinaires :

a) relatives aux juges de la Cour suprême ;

[...]

2) en matière de droit du travail et des assurances sociales, relatives aux juges de la Cour suprême ;

3) en matière de mise à la retraite d’un juge de la Cour suprême. »

16. L’article 29 de la loi de 2017 sur la Cour suprême prévoit :

« Les juges de la Cour suprême sont nommés aux fins d’exercer cette fonction par le président de la République de Pologne, sur proposition du Conseil national de la magistrature. »

17. L’article 79 de la loi de 2017 sur la Cour suprême dispose :

« Les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales relatives aux juges de la Cour suprême, ainsi que les affaires en matière de mise à la retraite de ces mêmes juges sont examinées :

1) en première instance, par la Cour suprême, siégeant en formation composée d’un seul juge de la Chambre disciplinaire ;

2) en degré d’appel, par la Cour suprême, siégeant en formation composée de trois juges de la Chambre disciplinaire. »

18. L’article 131 de la loi de 2017 sur la Cour suprême, tel que modifié par l’article 1er, point 14, de l’ustawa z dnia 12 kwietnia 2018 r. o zmianie ustawy...

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