Conclusiones del Abogado General Sr. G. Hogan, presentadas el 29 de julio de 2019.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62018CC0432 |
ECLI | ECLI:EU:C:2019:650 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Date | 29 July 2019 |
Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GERARD HOGAN
présentées le 29 juillet 2019 (1)
Affaire C‑432/18
Consorzio Tutela Aceto Balsamico di Modena
contre
BALEMA GmbH
[Demande de décision préjudicielle du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil – Règlement (CE) n° 1151/2012 – Protection des indications géographiques et des appellations d’origine – Article 13, paragraphe 1 – Règlement (CE) n° 583/2009 de la Commission – Enregistrement de la dénomination “Aceto Balsamico di Modena (IGP)” – Protection des composantes de cette indication »
I. Introduction
1. Le baume est une substance aromatique et huileuse qui provient de la sève de différentes plantes. Il est utilisé depuis des millénaires comme base pour des préparations médicinales, des onguents et des parfums. L’utilisation du baume à ces fins est bien établie dans la tradition et la culture européennes. On trouve plusieurs références à l’usage du baume à des fins curatives tant dans la Bible que dans les pièces de Shakespeare et, bien sûr, dans l’ultime opéra de Wagner, Parsifal, où l’on apprend que la souffrance et l’intense douleur que provoque chez le roi Amfortas la blessure par ailleurs incurable dont il souffre ne peuvent être soulagées que par l’administration d’une ampoule de baume provenant d’Arabie.
2. Le sens qu’a aujourd’hui le mot « baume » est donc chargé d’histoire. De nos jours, bien sûr, l’adjectif « balsamique » est souvent associé au produit bien connu qu’est l’« Aceto Balsamico di Modena ». Il s’agit d’un vinaigre très sombre, très concentré et très riche en goût fabriqué à partir de moût de raisin (partiellement fermenté) qui murit pendant plusieurs années dans des barriques en bois (2). Le produit lui‑même ne contient en réalité pas de baume, mais le mot italien « balsamico » signifie « qui a les qualités du baume ». L’adjectif « balsamico » est donc appliqué au vinaigre (« aceto ») pour en souligner les qualités curatives ou médicinales et plus généralement les qualités propres au baume que l’on prêtait à l’origine au produit.
3. Tout cela amène la question de savoir si le mot « balsamico » peut en tant que tel bénéficier d’une protection comme indication géographique. C’est la question qui se pose dans la présente demande de décision préjudicielle, déposée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) auprès du greffe de la Cour le 2 juillet 2018, qui concerne l’interprétation de l’article 1er et de l’annexe I du règlement n° 583/2009. C’est en vertu de ce règlement précis que la dénomination « Aceto Balsamico di Modena (IGP) » a été introduite dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées.
4. Par sa question, le juge de renvoi voudrait déterminer si la protection conférée par l’enregistrement de la dénomination complète « Aceto Balsamico di Modena (IGP) » s’étend également aux composants individuels non géographiques (3) de cette dénomination, et plus précisément aux termes « Aceto », « Balsamico » et « Aceto Balsamico ». Avant d’examiner ces questions, il est tout d’abord nécessaire d’exposer les dispositions juridiques pertinentes.
II. Le cadre juridique
5. Le règlement n° 583/2009 a été adopté sur le fondement du règlement (EC) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (4). Le règlement n° 510/2006 a été abrogé à compter du 3 janvier 2013 en vertu de l’article 58, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1151/2012 (5). Conformément à l’article 58, paragraphe 2, de ce même règlement n° 1151/2012, les références notamment au règlement n° 510/2006 abrogé s’entendent comme des références faites au règlement n° 1151/2012 (6).
A. Le règlement n° 1151/2012
6. L’article 3, point 6), du règlement n° 1151/2012 indique qu’on entend par « mentions génériques » « les dénominations de produits qui, bien que se rapportant au lieu, à la région ou au pays de production ou de commercialisation initiale, sont devenues la dénomination commune d’un produit dans l’Union ».
7. L’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1151/2012 prévoit que :
« Aux fins du présent règlement, on entend par “indication géographique” une dénomination qui identifie un produit :
a) comme étant originaire d’un lieu déterminé, d’une région ou d’un pays ;
b) dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre propriété peut être attribuée essentiellement à son origine géographique ; et
c) dont au moins une des étapes de production a lieu dans l’aire géographique délimitée ».
8. L’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1151/2012 dispose :
« Les dénominations génériques ne peuvent être enregistrées en tant qu’appellations d’origine protégées ou indications géographiques protégées. »
9. L’article 13 du règlement n° 1151/2012 intitulé « Protection » dispose :
« 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre :
a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients ;
b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu’ingrédients ;
c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit ;
d) toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.
Lorsqu’une appellation d’origine protégée ou une indication géographique protégée contient en elle-même le nom d’un produit considéré comme générique, l’utilisation de ce nom générique n’est pas considérée comme contraire au premier alinéa, point a) ou b).
2. Les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées ne peuvent pas devenir génériques. [...] »
10. L’article 41 du règlement n° 1151/2012 intitulé « Mentions génériques » prévoit :
« 1. Sans préjudice de l’article 13, le présent règlement n’a pas d’incidence sur l’utilisation des mentions qui sont génériques dans l’Union, même si la mention générique fait partie d’une dénomination qui est protégée au titre d’un système de qualité.
2. Pour déterminer si une mention est devenue générique, il est tenu compte de tous les facteurs pertinents et notamment :
a) de la situation existante dans les zones de consommation ;
b) des actes juridiques pertinents de l’Union ou nationaux.
3. Afin de protéger pleinement les droits des parties intéressées, la Commission est habilitée, en conformité avec l’article 56, à adopter des actes délégués établissant des règles supplémentaires afin de déterminer le caractère générique de mentions visées au paragraphe 1 du présent article. »
B. Le règlement n° 583/2009
11. Les considérants 2 à 5, 7, 8 et 10 du règlement n° 583/2009 sont libellés comme suit :
« (2) L’Allemagne, la Grèce et la France se sont déclarées opposées à l’enregistrement [...].
(3) La déclaration d’opposition de l’Allemagne portait en particulier sur la crainte qu’un enregistrement de l’indication géographique protégée “Aceto Balsamico di Modena” ne porte préjudice à l’existence de produits qui se trouvent légalement sur le marché depuis au moins cinq ans et commercialisés sous les dénominations Balsamessig/Aceto balsamico, ainsi que sur le caractère générique allégué de ces dernières dénominations [...].
(4) La déclaration d’opposition de la France portait en particulier sur le fait que l’“Aceto Balsamico di Modena” ne disposerait pas d’une réputation propre, distincte de celle de l’“Aceto balsamico tradizionale di Modena”, déjà enregistré en tant qu’appellation d’origine protégée par le biais du règlement (CE) nº 813/2000 du Conseil. Selon la France, le consommateur pourrait être induit en erreur quant à la nature et l’origine du produit en cause.
(5) La Grèce a mis quant à elle en évidence l’importance de la production de vinaigre balsamique sur son territoire, commercialisé entre autres sous les termes “balsamico” ou “balsamon” et sur l’effet défavorable qu’aurait, partant, l’enregistrement de la dénomination “Aceto Balsamico di Modena” sur l’existence de ces produits qui se trouvent légalement sur le marché depuis au moins cinq ans. La Grèce soutient également que les termes “aceto balsamico”, “balsamic” etc. sont génériques.
[...]
(7) Étant donné qu’aucun accord n’est intervenu entre la France, l’Allemagne, la Grèce et l’Italie endéans les délais prévus, la Commission est tenue d’arrêter une décision conformément à la procédure visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 510/2006.
(8) La Commission a demandé l’avis du comité scientifique des appellations d’origine, indications géographiques et attestations de spécificité, institué par la décision 93/53/CE de la Commission sur le point de savoir si les conditions pour l’enregistrement étaient satisfaites. Dans son avis rendu à l’unanimité le 6 mars 2006, le comité a considéré que la dénomination “Aceto Balsamico di Modena” a une réputation indiscutable sur le marché national, comme sur les marchés extérieurs, ce dont témoignent son utilisation fréquente dans de nombreuses...
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