Conclusiones del Abogado General Sr. P. Pikamäe, presentadas el 11 de diciembre de 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:1067
Date11 December 2019
Celex Number62018CC0457
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 11 décembre 2019 (1)

Affaire C457/18

République de Slovénie

contre

République de Croatie

« Manquement d’État – Article 259 TFUE – Exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité – Détermination de la frontière commune entre deux États membres – Différend frontalier entre la République de Croatie et la République de Slovénie – Convention d’arbitrage – Procédure d’arbitrage – Notification de la République de Croatie mettant fin à la convention – Sentences arbitrales partielle et définitive rendues par le tribunal arbitral – Validité et effets de la “sentence arbitrale définitive” »






1. Lorsque la Cour de justice de l’Union européenne est saisie par un État membre d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 259 TFUE, est-elle compétente pour en connaître au cas où les allégations de manquements au droit de l’Union reposent sur les termes d’une « sentence arbitrale », rendue en application d’une convention bilatérale d’arbitrage relevant du droit international public, mais à laquelle l’une des parties dénie toute valeur juridique ? Telle est la principale question que soulève la présente affaire, qui constitue l’un des rares cas de recours en manquement interétatique fondé sur l’article 259 TFUE (2) dont le premier alinéa prévoit qu’un État membre « peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne s’il estime qu’un autre État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités ».

2. Dans sa requête, la République de Slovénie demande notamment à la Cour de constater que la République de Croatie a violé l’article 2 et l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que toute une série de normes de droit dérivé en matière de politique commune de la pêche, de régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et de planification de l’espace maritime.

3. La République de Croatie a soulevé, avant toute défense au fond, des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité du recours dont l’analyse fait l’objet des présentes conclusions, exceptions que la Cour a décidé d’examiner de manière séparée, avant de se prononcer, le cas échéant, sur le fond de l’affaire.

4. La Cour doit donc s’interroger sur le point de savoir si le différend frontalier entre la République de Croatie et la République de Slovénie, sa tentative de résolution et la procédure arbitrale auquel il a conduit constituent des questions de droit international public pouvant servir de fondement à un recours en manquement introduit au titre de l’article 259 TFUE. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, selon moi, la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur le présent recours, comme le soutient la République de Croatie. Par ailleurs, je propose qu’il soit fait droit à la demande de la République de Croatie de retirer du dossier l’avis juridique de la Commission européenne figurant à l’annexe C.2 de la réponse de la République de Slovénie.

I. Le cadre juridique

A. Le droit international

1. La convention d’arbitrage

5. Le troisième considérant du préambule de la convention signée le 4 novembre 2009 entre la République de Croatie et la République de Slovénie (ci‑après la « convention d’arbitrage ») rappelle les moyens pacifiques de résolution de différends énumérés à l’article 33 de la charte des Nations unies (3). Ainsi, l’article 1er de la convention d’arbitrage institue un tribunal arbitral.

6. L’article 2 de cette convention prévoit sa composition et notamment les modalités de désignation de ses membres ainsi que les modalités de remplacement de ceux-ci.

7. L’article 3 de la convention d’arbitrage, intitulé « Mission du tribunal arbitral », prévoit à son paragraphe 1 que le tribunal arbitral détermine (a) le tracé de la frontière entre la Croatie et la Slovénie, (b) la jonction de la Slovénie à la haute mer et (c) le régime aux fins de l’utilisation des espaces maritimes respectifs. Le paragraphe 2 de cet article énonce les modalités de détermination de l’objet du litige. Le paragraphe 3 dudit article prévoit que le tribunal arbitral rend une sentence sur le différend. Aux termes du paragraphe 4 du même article, le tribunal arbitral a le pouvoir d’interpréter la convention d’arbitrage.

8. Selon l’article 4, sous a), de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral, en mettant en œuvre les dispositions prévues à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de cette convention, applique les règles et les principes du droit international. Aux termes de l’article 4, sous b), de ladite convention, le tribunal arbitral, en mettant en œuvre les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), applique le droit international, l’équité et le principe des relations de bon voisinage afin d’obtenir un résultat juste et équitable tenant compte de toutes les circonstances pertinentes.

9. L’article 6, paragraphe 2, de la convention d’arbitrage stipule que, sauf dispositions contraires, le tribunal arbitral mènera la procédure conformément au règlement facultatif de la Cour permanente d’arbitrage (ci-après la « CPA ») pour l’arbitrage des différends entre deux États. Le paragraphe 4 de cet article prévoit que le tribunal arbitral décide dans les meilleurs délais, après consultation des parties, sur toute question de procédure, à la majorité de ses membres.

10. L’article 7, paragraphe 1, de la convention d’arbitrage dispose notamment que le tribunal arbitral, après avoir dûment considéré tous les faits pertinents de l’affaire, rendra sa sentence dans les meilleurs délais. Le paragraphe 2 de cet article énonce que la sentence arbitrale liera les parties et constituera un règlement définitif du différend. Selon le paragraphe 3 dudit article, les parties prendront toutes les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre la sentence, y compris, en tant que de besoin, la modification de la législation nationale dans les six mois suivant l’adoption de la sentence.

11. En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la convention d’arbitrage, la République de Slovénie lèvera ses réserves relatives à l’ouverture et à la fermeture des chapitres des négociations relatives à l’adhésion à l’Union européenne lorsque l’obstacle porte sur le différend.

12. Conformément à l’article 11, paragraphe 3, de la convention d’arbitrage, tous les délais de procédure fixés dans cette convention s’appliqueront à partir de la date de la signature de la République de Croatie du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Croatie relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne (4) (ci-après le « traité d’adhésion »).

2. La convention de Vienne sur le droit des traités

13. La convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (5) (ci-après la « convention de Vienne »), prévoit, au paragraphe 1 de l’article 60, intitulé « Extinction d’un traité ou suspension de son application comme conséquence de sa violation » :

« Une violation substantielle d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie. »

B. Le droit de l’Union

1. L’acte d’adhésion

14. L’article 15 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (6) (ci-après l’« acte d’adhésion »), annexé au traité d’adhésion, dispose :

« Les actes énumérés dans la liste figurant à l’annexe III font l’objet des adaptations définies dans ladite annexe ».

15. L’annexe III de cet acte prévoit, à son point 5, les adaptations à effectuer au règlement relatif à la politique commune de la pêche (7) applicable à l’époque de cette adhésion. Ce point 5 prévoit que, à l’annexe I de ce règlement, les points 11 et 12, respectivement intitulés « Bande côtière de la Croatie » et « Bande côtière de la Slovénie », sont ajoutés. Ces points 11 et 12 contiennent un renvoi vers les notes en bas de page 2 et 3 selon lesquelles « [l]e régime s’appliquera à partir du moment où la sentence arbitrale découlant de la convention d’arbitrage entre le gouvernement de la République de Slovénie et le gouvernement de la République de Croatie, signée à Stockholm le 4 novembre 2009, aura été pleinement mise en œuvre ».

2. Le droit dérivé

a) Le règlement (UE) no 1380/2013

16. L’article 5 du règlement (UE) nº 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche (8), intitulé « Règles générales en matière d’accès aux eaux », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. Les navires de pêche de l’Union jouissent d’une égalité d’accès aux eaux et aux ressources dans toutes les eaux de l’Union autres que celles visées aux paragraphes 2 et 3, sous réserve des mesures adoptées en vertu de la partie III.

2. Dans les eaux situées à moins de 12 milles marins des lignes de base relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction, les États membres sont autorisés, jusqu’au 31 décembre 2022, à limiter la pêche aux navires de pêche opérant traditionnellement dans ces eaux à partir des ports de la côte adjacente, sans préjudice de régimes applicables aux navires de pêche de l’Union battant pavillon d’autres États membres au titre des relations de voisinage existant entre États membres et des modalités prévues à l’annexe I, qui fixe, pour chacun des États membres, les zones géographiques des bandes côtières des autres États membres où ces activités sont exercées ainsi que les espèces sur lesquelles elles portent. Les États membres informent la Commission des limitations mises en place en vertu du présent paragraphe. »

17. L’annexe I du règlement no 1380/2013, intitulée « Accès aux bandes côtières au sens de l’article 5...

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