Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 18 de septiembre de 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:755
Celex Number62018CC0622
CourtCourt of Justice (European Union)
Date18 September 2019

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 18 septembre 2019 (1)

Affaire C622/18

AR

contre

Cooper International Spirits LLC,

St Dalfour SAS,

Établissements Gabriel Boudier SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations des États membres sur les marques – Déchéance d’une marque pour absence d’usage sérieux – Droit pour le titulaire de la marque de s’opposer à l’usage par un tiers d’un signe identique ou similaire pour la période antérieure à la date d’effet de la déchéance »






1. Est-ce que le titulaire d’une marque, qui ne l’a jamais exploitée et a été déclaré déchu de ses droits sur celle-ci pour défaut d’usage sérieux à l’expiration du délai de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement, peut agir en contrefaçon et demander l’indemnisation du préjudice qu’il aurait subi en raison de l’utilisation par un tiers, antérieurement à la date de prise d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ?

2. Telle est, en substance, la question posée par la Cour de cassation (France) dans la demande de décision préjudicielle faisant l’objet des présentes conclusions, qui porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), et des articles 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (2).

3. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AR aux sociétés Cooper International Spirits LLC (ci-après « Cooper International »), Établissements Gabriel Boudier SA (ci-après « Établissements Boudier ») et St Dalfour SAS (ci-après « Dalfour ») au sujet de prétendus actes de contrefaçon de la marque française enregistrée « SAINT GERMAIN », commis antérieurement à la déchéance de cette dernière.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95 énonce :

« La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque. »

5. L’article 10 de la directive 2008/95, intitulé « Usage de la marque », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la procédure d’enregistrement est terminée, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise aux sanctions prévues dans la présente directive, sauf juste motif pour le non-usage. »

6. Sous le titre « Motifs de déchéance », l’article 12 de la directive 2008/95 dispose, à son paragraphe 1 :

« Le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage. »

B. Le droit français

7. L’article R. 712-23 du code de la propriété intellectuelle précise que « [l]a date à laquelle une marque est réputée enregistrée, notamment pour l’application des articles L. 712-4 et L. 712-5, est : 1° [p]our les marques françaises, celle du Bulletin officiel de la propriété industrielle dans lequel l’enregistrement est publié ».

8. Aux termes de l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, « [l]’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés ».

9. L’article L. 713-2 de ce code, qui prohibe les actes désignés, en droit des marques français, comme actes de « contrefaçon par reproduction », dispose :

« Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement [...] »

10. L’article L. 713-3, sous b), du même code, qui vise en revanche les actes relevant de la catégorie de la « contrefaçon par imitation », dispose que « [s]ont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public [...], [l]’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».

11. L’article L. 714-5, premier alinéa, du code de la propriété intellectuelle dispose :

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. »

12. Le dernier alinéa de cet article prévoit que « [l]a déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu ».

II. Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

13. AR, requérant au principal, était titulaire de la marque française semi-figurative « SAINT GERMAIN », déposée le 5 décembre 2005 et dont l’enregistrement a été publié le 12 mai 2006, pour désigner, notamment, les produits « boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs, vins et spiritueux, extraits ou essences alcooliques » (ci-après : « les produits en cause dans le litige au principal »).

14. Ayant appris que Cooper International, établie aux États-Unis, distribuait une liqueur de sureau sous la dénomination « St‑Germain », fabriquée par Dalfour et un sous-traitant de cette dernière, Établissements Boudier, AR a, le 8 juin 2012, assigné ces trois sociétés (ci-après, ensemble, les « défenderesses au principal ») devant le tribunal de grande instance de Paris (France) en contrefaçon de marque par reproduction ou, subsidiairement, par imitation.

15. Dans une instance parallèle, engagée par la société de droit américain Osez vous ? International Spirits LLC (3), le tribunal de grande instance de Nanterre (France), par un jugement du 28 février 2013, ayant retenu que AR n’avait pas fait la démonstration d’un usage sérieux de la marque française « SAINT GERMAIN » depuis son dépôt, a prononcé la déchéance de ses droits sur celle-ci pour les produits en cause dans le litige au principal à compter du 13 mai 2011, à savoir à l’expiration du délai de cinq ans ayant couru depuis la date de publication de l’enregistrement de la marque. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Versailles (France) du 11 février 2014, lequel, n’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi, est devenu irrévocable.

16. Devant le tribunal de grande instance de Paris, AR a maintenu ses demandes en contrefaçon pour la période non couverte par la prescription et antérieure à la déchéance, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.

17. Par jugement du 16 janvier 2015, ce tribunal, après avoir retenu qu’aucune exploitation de la marque en question n’était intervenue depuis son dépôt, a rejeté l’intégralité des demandes de AR (ci-après le « jugement du tribunal de grande instance de Paris »).

18. La cour d’appel de Paris (France), par arrêt du 13 septembre 2016, a confirmé ce jugement (ci-après : l’« arrêt de la cour d’appel de Paris »). Après avoir considéré, au vu des dissemblances entre les signes en conflit, que la contrefaçon alléguée par AR ne pouvait être appréhendée qu’au regard de l’article L. 713‑3 du code de la propriété intellectuelle, à savoir en tant qu’acte de contrefaçon par imitation, la cour d’appel de Paris a considéré que l’appréciation du risque de confusion dans l’esprit du public suppose que la marque invoquée ait fait l’objet d’une exploitation la mettant au contact des consommateurs. À cet égard, elle a d’abord rappelé que le tribunal de grande instance de Nanterre, approuvé par la cour d’appel de Versailles, avait prononcé la déchéance partielle des droits de AR sur la marque en cause au principal pour défaut d’usage sérieux. Ensuite, après avoir examiné les documents versés aux débats par AR, elle a constaté que ce dernier avait échoué à démontrer que sa marque avait été réellement exploitée. Elle a, dès lors, conclu que AR ne pouvait arguer utilement ni d’une atteinte à la fonction de garantie d’origine de cette marque, qui n’avait pas été mise au contact du public (4), ni au monopole d’exploitation conféré par celle-ci (5).

19. Le 21 décembre 2016, AR s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Au soutien de son pourvoi, il fait valoir une violation des articles L. 713‑3 et L. 714‑5 du code de la propriété intellectuelle. Il fait grief à la cour d’appel de Paris d’avoir rejeté ses actions en contrefaçon alors que, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de sa marque, il était en droit d’interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire et susceptible de porter atteinte aux fonctions de ladite marque, sans devoir démontrer un usage sérieux de celle-ci et, partant, sans démontrer qu’elle a été effectivement exploitée. AR fait valoir que, dans...

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