Cofemel – Sociedade de Vestuário SA contra G-Star Raw CV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:363
Date02 May 2019
Celex Number62017CC0683
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-683/17
62017CC0683

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 2 mai 2019 ( 1 )

Affaire C‑683/17

Cofemel – Sociedade de Vestuário SA

contre

G-Star Raw CV

[demande de décision préjudicielle formée par le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême, Portugal)]

« Renvoi préjudiciel – Droit d’auteur et droits voisins – Protection juridique des dessins et modèles – Droit de reproduction – Vêtements »

Introduction

1.

La protection juridique des œuvres d’art appliqué est pratiquement aussi ancienne que celle de la propriété intellectuelle en général ( 2 ). Elle a cependant toujours du mal à trouver sa place au sein du système du droit de la propriété intellectuelle. Celle-ci couvre trois domaines principaux : la protection des inventions par le droit des brevets, celle des créations intellectuelles par le droit d’auteur et celle de la renommée par le droit de marques. Du fait de leur caractère à la fois décoratif et utilitaire et de leur destination tant artistique qu’industrielle, les objets des arts appliqués se prêtent à ces trois formes de protection, sans toutefois répondre parfaitement aux objectifs ni aux mécanismes d’aucune d’entre elles ( 3 ). Si des régimes de protection sui generis ont été développés, notamment en Europe, cette protection n’a cependant jamais acquis un statut exclusif : elle peut toujours être cumulée avec d’autres types de protection ( 4 ).

2.

La présente affaire concerne plus particulièrement le cumul de la protection des dessins et modèles dans le régime sui generis avec leur protection en tant qu’œuvres par le droit d’auteur. La relation entre ces deux régimes de protection est depuis toujours source d’hésitations, tant chez le législateur que dans la jurisprudence, et de controverses.

3.

D’une part, le caractère utilitaire et fonctionnel des objets des arts appliqués et leur vocation à être produits industriellement en masse font douter de leur aptitude à être protégés par le droit d’auteur et de la conformité de cette protection à ses fondements axiologiques (le lien personnel liant l’auteur à son œuvre) ainsi qu’à ses objectifs (la rémunération de l’effort intellectuel créatif). La protection par le droit d’auteur des dessins et modèles présente notamment deux sortes de dangers : l’inflation de la protection par le droit d’auteur et l’entrave à la libre concurrence économique ( 5 ). Pour cette raison, de nombreux ordres juridiques ont développé des dispositifs destinés à réserver la protection par le droit d’auteur aux dessins et modèles présentant une valeur artistique élevée. On peut citer la doctrine de la « scindibilità » en droit italien, la « Stufentheorie » en droit allemand, ou la limitation de la durée de la protection pour les objets produits à l’échelle industrielle en droit du Royaume-Uni ( 6 ).

4.

D’autre part, certains objets des arts appliqués ont indéniablement un haut degré d’originalité. Il suffit de songer aux styles développés dans ce domaine tels que l’Art déco ou le Bauhaus. Il en est de même dans le secteur d’activité concerné par la présente affaire, c’est-à-dire l’habillement : les pièces de la haute couture sont autant, sinon plus, des œuvres d’art que des vêtements. Il n’est donc pas justifié d’exclure a priori les objets des arts appliqués de la protection par le droit d’auteur du seul fait de leur caractère (également) fonctionnel. Par ailleurs, d’autres catégories d’œuvres, dont la protection par le droit d’auteur ne fait aucun doute, peuvent aussi avoir des fonctions utilitaires, tout en restant des créations intellectuelles originales. C’est le cas de certaines œuvres littéraires, photographiques, voire musicales.

5.

Ainsi, l’option choisie par le législateur de l’Union, dans l’esprit de la théorie de l’unité de l’art développée dans la doctrine juridique française ( 7 ), du cumul de la protection des objets des arts appliqués par un régime sui generis et par le droit d’auteur, ne semble pas dépourvue de pertinence ( 8 ). Il est cependant nécessaire d’assurer l’autonomie et la réalisation des objectifs respectifs de chaque régime de protection.

6.

C’est dans ce contexte que la Cour sera amenée à trancher les questions de droit déférées par le Supremo Tribunal de Justiça (cour suprême, Portugal) dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

Le cadre juridique

Le droit international

7.

Selon l’article 2, paragraphes 1 et 7, de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), telle que modifiée le 28 septembre 1979 (ci-après la « convention de Berne ») ( 9 ) :

« 1) Les termes “œuvres littéraires et artistiques” comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que : [...] les œuvres des arts appliqués [...]

[...]

7) Il est réservé aux législations des pays de l’Union de régler le champ d’application des lois concernant les œuvres des arts appliqués et les dessins et modèles industriels, ainsi que les conditions de protection de ces œuvres, dessins et modèles, compte tenu des dispositions de l’article 7.4) de la présente Convention [ ( 10 )]. Pour les œuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces œuvres seront protégées comme œuvres artistiques.

[...] »

8.

Selon l’article 25 de l’accord ADPIC :

« 1. Les Membres prévoiront la protection des dessins et modèles industriels créés de manière indépendante qui sont nouveaux ou originaux. [...]

2. Chaque Membre fera en sorte que les prescriptions visant à garantir la protection des dessins et modèles de textiles, en particulier pour ce qui concerne tout coût, examen ou publication, ne compromettent pas indûment la possibilité de demander et d’obtenir cette protection. Les Membres seront libres de remplir cette obligation au moyen de la législation en matière de dessins et modèles industriels ou au moyen de la législation en matière de droit d’auteur. »

Le droit de l’Union

9.

L’article 17 de la directive 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles ( 11 ) dispose :

« Un dessin ou modèle ayant fait l’objet d’un enregistrement dans ou pour un État membre, conformément aux dispositions de la présente directive, bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur de cet État à partir de la date à laquelle le dessin ou modèle a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »

10.

En vertu de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 12 ) :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a)

pour les auteurs, de leurs œuvres ;

[...] »

11.

Selon l’article 9 de cette directive :

« La présente directive n’affecte pas les dispositions concernant notamment les brevets, les marques, les dessins et modèles, les modèles d’utilité, les topographies des semi-conducteurs, les caractères typographiques, l’accès conditionnel, l’accès au câble des services de radiodiffusion, la protection des trésors nationaux, les exigences juridiques en matière de dépôt légal, le droit des ententes et de la concurrence déloyale, le secret des affaires, la sécurité, la confidentialité, la protection des données personnelles et le respect de la vie privée, l’accès aux documents publics et le droit des contrats. »

12.

L’article 96, paragraphe 2, du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires ( 13 ) dispose :

« Un dessin ou modèle protégé par un dessin ou modèle communautaire bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur des États membres à partir de la date à laquelle il a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »

Le droit portugais

13.

La directive 2001/29 est transposée en droit portugais dans le Código do Direito de Autor e dos Direitos Conexos (code du droit d’auteur et droits connexes), dont l’article 2, paragraphe 1, énumère les catégories d’objets protégés par le droit d’auteur en ces termes :

« 1. Les créations intellectuelles dans les domaines littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite, le mode de communication et l’objectif, comprennent notamment :

[...]

i)

les œuvres d’art appliqué, dessins ou modèles industriels et œuvres de design qui constituent une création artistique, indépendamment de la protection relative à la propriété industrielle ;

[...] »

Le litige au principal, la procédure et les questions préjudicielles

14.

G-Star Raw CV (ci-après « G-Star »), société de droit néerlandais, conçoit, produit et commercialise de vêtements. G-Star exploite, en tant que titulaire ou en vertu de contrats de licence exclusive, les marques...

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