Martin Leitner contra Landespolizeidirektion Tirol.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:993
Date06 December 2018
Celex Number62017CC0396
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-396/17
62017CC0396

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 6 décembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑396/17

Martin Leitner

contre

Landespolizeidirektion Tirol

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Interdiction des discriminations fondées sur l’âge – Système national de rémunération et d’avancement des fonctionnaires – Réglementation d’un État membre jugée discriminatoire – Adoption d’une nouvelle réglementation en vue de remédier à cette discrimination – Modalités du transfert des personnes concernées vers le nouveau système – Perpétuation de la différence de traitement – Justifications – Droit à une protection juridictionnelle effective – Droit à réparation – Principe de primauté »

I. Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) porte sur l’interprétation des articles 21 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des articles 1er, 2, 6, 9, 16 et 17 de la directive 2000/78/CE, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 2 ).

2.

Cette demande s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant un fonctionnaire à l’administration autrichienne dont il dépend et ayant pour objet une décision prise par celle-ci en vertu du régime fédéral de rémunération et d’avancement des fonctionnaires qui a été adopté en Autriche au début de l’année 2015, pour mettre fin à une discrimination fondée sur l’âge, consécutivement à l’arrêt Schmitzer ( 3 ).

3.

En substance, la juridiction de renvoi interroge la Cour, tout d’abord, sur le point de savoir si les modalités suivant lesquelles les fonctionnaires déjà en service sont transférés de l’ancien régime de rémunération et d’avancement vers ce nouveau régime conduisent à maintenir une discrimination fondée sur l’âge qui est interdite par le droit de l’Union, en particulier au regard des articles 2 et 6 de la directive 2000/78 lus en combinaison avec l’article 21 de la Charte. Je considère que tel est le cas, pour les raisons que j’exposerai dans les présentes conclusions.

4.

Ensuite, en se référant à ces mêmes dispositions et au surplus à l’article 47 de la Charte, la juridiction de renvoi doute de la conformité au droit de l’Union de la réglementation nationale mise en cause qui, selon elle, n’éliminerait la discrimination concernée que de façon déclaratoire, non de façon concrète, et ne permettrait pas un droit de recours effectif. J’estime que ces considérations devraient être sans répercussions à l’égard dudit litige.

5.

Enfin, cette juridiction souhaite savoir si le droit de l’Union, plus spécifiquement l’article 17 de la directive 2000/78 et l’article 47 de la Charte, fait obstacle à la réglementation concernée. Dans l’affirmative, elle demande si le principe de primauté du droit de l’Union exige que les dispositions de l’ancienne réglementation, abrogées de façon rétroactive, continuent néanmoins à être appliquées pour remédier aux défaillances de la nouvelle réglementation. Je suis d’avis qu’une réponse nuancée devrait être apportée à ces deux questions, en se fondant plutôt sur l’article 16 de cette directive.

6.

Je souligne que des liens de connexité étroits existent entre la présente affaire et l’affaire C‑24/17, Österreichischer Gewerkschaftsbund, qui fait l’objet de conclusions distinctes mais datées du même jour que les présentes conclusions ( 4 ).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

7.

L’article 1er de la directive 2000/78 énonce que celle-ci « a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur [...] l’âge [...], en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».

8.

L’article 2 de cette directive, intitulé « Concept de discrimination », définit, à son paragraphe 1, le « principe de l’égalité de traitement » comme étant « l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er ». À son paragraphe 2, sous a), il énonce qu’« une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ».

9.

L’article 6 de ladite directive, intitulé « Justification des différences de traitement fondées sur l’âge », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, que « [n]onobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Son second alinéa précise que « [c]es différences de traitement peuvent notamment comprendre [...] la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi [...] ».

10.

L’article 9 de la même directive, intitulé « Défense des droits », prévoit, à son paragraphe 1, que « [l]es États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non‑respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées ».

11.

L’article 16 de la directive 2000/78, intitulé « Conformité », prévoit, à son point a), que « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires afin que [...] soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement ».

12.

L’article 17 de cette directive, intitulé « Sanctions », énonce que « [l]es États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues qui peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives [...] ».

B. Le droit autrichien

1. Le GehG 2010

13.

Le classement des fonctionnaires dans le barème des salaires et leur avancement, lequel survient en principe tous les deux ans, sont régis par le Gehaltsgesetz 1956 ( 5 ) (loi sur les salaires de 1956, ci-après le « GehG 1956 »), tel qu’adapté à plusieurs reprises, en particulier pour tenir compte d’arrêts de la Cour rendus dans le cadre de litiges relatifs aux dispositions du droit autrichien en la matière.

14.

À la suite de l’arrêt Hütter ( 6 ), le GehG 1956 a été modifié par une loi fédérale publiée le 30 août 2010 ( 7 ) (GehG 1956 dans la version issue de cette loi, ci-après le « GehG 2010 »).

15.

L’article 8, paragraphe 1, du GehG 2010 énonçait que « [l]’avancement est déterminé en fonction d’une date de référence » et que « [s]auf disposition contraire dans le présent article, la période nécessaire à un avancement au deuxième échelon de chaque catégorie d’emploi est de cinq ans et de deux ans pour les autres échelons ».

16.

L’article 12, paragraphe 1, du GehG 2010 prévoyait que « [s]ous réserve des restrictions énoncées aux paragraphes 4 à 8, la date de référence à prendre en considération aux fins de l’avancement d’échelon se calcule en remontant dans le temps à partir du jour de l’engagement à raison de périodes postérieures au 30 juin de l’année durant laquelle neuf années scolaires ont été accomplies ou auraient été accomplies après admission dans le premier degré d’enseignement [...] ».

2. Le GehG modifié

17.

À la suite de l’arrêt Schmitzer ( 8 ), la teneur des articles 8 et 12 du GehG 1956 a de nouveau été réformée, avec effet rétroactif, en vertu d’une loi fédérale publiée le 11 février 2015 ( 9 ) (GehG 1956 dans la version issue de cette loi, ci-après le « GehG 2015 »).

18.

Par ailleurs, afin de se conformer à un arrêt du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) ( 10 ), une loi fédérale publiée le 6 décembre 2016 ( 11 ) a modifié derechef le GehG 1956 (dans la version issue de cette loi, ci-après le « GehG 2016 » et, pris ensemble avec le GehG 2015, le « GehG modifié »), en ce qui concerne la date d’entrée en vigueur des articles 8 et 12 du GehG 2015.

19.

Sous l’intitulé « Classement et avancement », l’article 8, paragraphe 1, du GehG 2015 prévoit que « [l]e classement et l’avancement ultérieur sont déterminés en fonction de l’ancienneté dans le barème de rémunération ».

20.

Sous l’intitulé « Ancienneté dans le barème de rémunération (âge de référence) », l’article 12 du GehG 2015 énonce :

« 1. L’ancienneté dans le barème de rémunération comprend la durée des périodes d’activité utiles pour l’avancement, augmentée de la durée des périodes d’activité antérieures devant être prises en compte.

2...

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