Conclusiones del Abogado General Sr. M. Campos Sánchez-Bordona, presentadas el 28 de mayo de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:394
Celex Number62018CC0626
Date28 May 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 28 mai 2020 (1)

Affaire C626/18

République de Pologne

contre

Parlement européen,

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Directive (UE) 2018/957 – Directive (UE) 96/71 – Détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services – Dispositions relatives aux conditions de travail, à la protection de la santé et à la sécurité des travailleurs – Base juridique non appropriée – Détournement de pouvoir – Restrictions discriminatoires, non nécessaires ou disproportionnées – Violation du principe de libre prestation des services – Rémunération des travailleurs détachés – Travailleurs détachés pour une longue durée – Violation du règlement(CE) no 593/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles –Transport par route »






1. La République de Pologne demande à la Cour, à titre principal, d’annuler plusieurs dispositions de la directive (UE) 2018/957 (2), modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (3). À titre subsidiaire, elle demande à la Cour d’annuler la directive 2018/957 dans son intégralité.

2. Ce même jour, je présente mes conclusions dans le recours parallèle (C‑620/18, Hongrie/Parlement et Conseil) (4) introduit par la Hongrie contre la même directive, pour des motifs similaires. Afin d’éviter d’inutiles répétitions, je reproduirai ou renverrai au contenu de ces conclusions lorsque ce sera nécessaire

I. Le cadre juridique

3. Je renvoie à la description des dispositions pertinentes des directives 2018/957 et 96/71 figurant dans les conclusions C‑620/18.

II. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

4. La République de Pologne demande à la Cour d’annuler l’article 1er, point 2, sous a), l’article 1er, point 2, sous b), et l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957. Elle demande, en outre, la condamnation du Parlement européen et du Conseil aux dépens.

5. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour estime que les dispositions contestées de la directive 2018/957 ne peuvent pas être dissociées du reste de ses dispositions sans en altérer la substance, la République de Pologne demande l’annulation de la directive 2018/957 dans son intégralité.

6. Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la République de Pologne aux dépens.

7. La République fédérale d’Allemagne, la République française, le Royaume des Pays‑Bas, le Royaume de Suède et la Commission ont été admis à intervenir dans la procédure en soutien des conclusions du Parlement et du Conseil. Tous ont présenté des observations écrites, même si le Royaume des Pays‑Bas n’a fait qu’appuyer les arguments du Conseil et du Parlement européen.

8. Le Conseil, le Parlement, la Commission et les gouvernements polonais, allemand, français, suédois et néerlandais ont assisté à l’audience du 3 mars 2020, lors de laquelle l’affaire C‑620/18 a également été traitée.

III. Recevabilité du recours

9. Le Parlement européen estime que les points contestés de la directive 2018/957 ne peuvent pas être dissociés du reste de ses dispositions. L’annulation partielle demandée est par conséquent irréalisable.

10. Dès lors que la République de Pologne demande, à titre subsidiaire, l’annulation de la directive dans sa totalité, le Parlement considère néanmoins que le recours est recevable.

11. Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que si les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle aurait pour effet de modifier la substance de cet acte. La vérification du caractère détachable de certains éléments d’un acte suppose l’examen de la portée de ceux‑ci, afin d’évaluer si une annulation de ces éléments modifierait l’esprit et la substance de cet acte (5).

12. À mon avis, la République de Pologne conteste deux dispositions qui, à la fois par leur portée et par leur finalité, peuvent être considérées comme des éléments essentiels de la directive 2018/957.

13. En effet, l’annulation demandée à titre principal affecterait deux mesures clé de la nouvelle réglementation : a) e remplacement de la notion de « taux de salaire minimal » par la notion de « rémunération » ; et b) le régime des travailleurs détachés pour une longue durée.

14. Ces deux nouvelles règles sont précisément les principales modifications que la directive 2018/957 introduit dans la directive 96/71. Tous deux visent à modifier l’équilibre des intérêts retenu dans la directive 96/71, afin d’accorder une protection accrue aux travailleurs détachés dans le cadre des prestations de services transnationales. Annuler ces règles de manière isolée modifierait la substance de la directive 2018/957.

15. Comme le reconnaît le Parlement européen, le recours est néanmoins recevable, dès lors qu’il contient une demande subsidiaire d’annulation de la directive 2018/957 dans son intégralité.

IV. Considérations préliminaires

16. J’analyserai les moyens d’annulation en commençant par le deuxième moyen, ce qui me semble plus cohérent d’un point de vue systématique.

17. En ce qui concerne l’examen de la jurisprudence de la Cour dans ce domaine, le processus d’harmonisation des directives sur les travailleurs détachés dans le cadre de prestations de services transnationales et, d’une manière générale, l’évolution des dispositions du droit de l’Union relatives au régime de ces travailleurs, je renvoie aux conclusions C‑620/18 (6).

V. Deuxième moyen : erreur dans le choix de la base juridique de la directive 2018/957

A. Position des parties

18. Le gouvernement polonais conteste le recours à l’article 53, paragraphe 1, et à l’article 62 TFUE comme base juridique de la directive 2018/957, au motif que celle‑ci, contrairement à la directive 96/71, crée des restrictions à la libre prestation des services par les entreprises qui détachent des travailleurs.

19. À cet égard, il soutient que :

‐ La directive 2018/957 a pour principal objectif de protéger les travailleurs détachés et devrait par conséquent avoir pour base juridique les dispositions du traité FUE en matière de politique sociale (que le gouvernement polonais ne précise pas).

‐ L’objectif de l’article 1er, point 2, sous a) et b), de la directive 2018/957, n’est pas de faciliter l’exercice d’une activité professionnelle non salariée (la fourniture de services transfrontaliers), qui est au contraire fragilisé par ces dispositions. Le remplacement de la notion de « taux de salaire minimal » par la notion de « rémunération » et le nouveau régime des travailleurs détachés pour une longue durée aboutissent à des restrictions injustifiées et disproportionnées à la libre prestation des services. Il est dès lors contradictoire de recourir à la base juridique applicable à l’harmonisation de cette liberté de circulation.

20. La Commission, le Conseil, le Parlement européen et les gouvernements allemand, français et suédois sont d’avis que la base juridique de la directive 2018/957 (à savoir l’article 53, paragraphe 1, et l’article 62 TFUE) est correcte.

B. Appréciation

21. Afin d’éviter les répétitions, je renvoie aux conclusions C‑620/18 pour ce qui a trait à la jurisprudence de la Cour sur les bases juridiques des actes de l’Union (7) et à l’analyse des objectifs, du contenu et du contexte de la directive 2018/957 (8).

22. Après avoir effectué cette analyse, je ne vois aucune raison de considérer que la base juridique de la directive 2018/957 (article 53, paragraphe 1, et article 62 TFUE) est incorrecte.

23. Je rappellerai tout d’abord que la directive 2018/957 opère une modification importante, mais limitée, de la directive 96/71. Conformément à la jurisprudence de la Cour, un acte qui modifie un acte existant aura normalement la même base juridique que ce dernier (9), ce qui me paraît logique. Il s’ensuit que l’article 53, paragraphe 1, TFUE, et l’article 62 TFUE peuvent être la base juridique adéquate pour la directive 2018/957, comme ils l’étaient à l’époque pour la directive 96/71 qu’elle modifie.

24. La directive 2018/957 adapte la solution législative que la directive 96/71 a apportée au phénomène du détachement (croissant) transnational de travailleurs, afin de faciliter la libre prestation des services pour les entreprises qui recourent à cette forme de mobilisation de la main d’œuvre.

25. Cette adaptation a été rendue nécessaire par l’évolution des marchés du travail de l’Union et a été orientée vers une plus grande protection des conditions de travail des travailleurs détachés. Il est possible qu’elle aboutisse, dans certains cas, à une réduction corrélative de la compétitivité des entreprises aux fins de la prestation de services dans d’autres États membres par la voie du détachement de travailleurs, mais telle est l’option (légitime) retenue par le législateur de l’Union.

26. Le législateur de l’Union qui adopte un acte d’harmonisation ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité (10).

27. C’est précisément ce qui s’est passé avec l’adoption de la directive 2018/957. Le législateur de l’Union a apporté des modifications à la directive 96/17 afin d’adapter l’équilibre des intérêts qu’elle reflète à la nouvelle situation générée par la circulation transnationale des travailleurs. Les intérêts en lice restent les mêmes, mais leur point de rencontre et d’équilibre s’est déplacé vers une plus grande protection des droits de ces travailleurs. Ce rééquilibrage ne justifie pas de changer la base juridique retenue pour la directive 96/71.

28. Enfin, je souligne que...

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