Conclusiones del Abogado General Sr. J. Richard de la Tour, presentadas el 22 de abril de 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:322
Date22 April 2021
Celex Number62020CC0030
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 22 avril 2021 (1)

Affaire C30/20

RH

contre

AB Volvo,

Volvo Group Trucks Central Europe GmbH,

Volvo Lastvagnar AB,

Volvo Group España SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil nº 2 de Madrid (tribunal de commerce nº 2 de Madrid, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétences spéciales – Article 7, point 2 – Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Lieu où le fait dommageable s’est produit – Lieu de la matérialisation du dommage – Demande en réparation du préjudice causé par une entente déclarée contraire à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen – Désignation directe de la juridiction compétente – Lieu de l’acquisition des biens – Lieu du siège social – Faculté pour les États membres d’instaurer une concentration des compétences »






I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle du Juzgado de lo Mercantil nº 2 de Madrid (tribunal de commerce nº 2 de Madrid, Espagne) porte sur l’interprétation de l’article 7, point 2, du règlement (UE) nº 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’une action engagée par RH, établie à Cordoue (Espagne), en réparation du préjudice que lui aurait causé une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (3), contre quatre sociétés du groupe Volvo dont les sièges, pour trois d’entre elles, sont situés dans d’autres États membres que le Royaume d’Espagne.

3. La Cour est saisie afin qu’elle précise si l’article 7, point 2, du règlement nº 1215/2012 désigne directement la juridiction compétente, sans renvoyer aux règles internes des États membres.

4. Si la réponse à cette question paraît pouvoir être déduite de certaines décisions de la Cour et, plus spécialement, des plus récentes en matière délictuelle ou quasi délictuelle, il apparaît, notamment au regard des doutes exprimés par la juridiction de renvoi, qu’elle devrait être complétée sur trois autres points étroitement liés.

5. En effet, les objectifs de sécurité juridique et d’efficacité du contentieux complexe de la réparation des dommages causés par des pratiques anticoncurrentielles justifient que soient apportées des précisions utiles aux juridictions nationales quant à la désignation de la juridiction territorialement compétente et à la coexistence de plusieurs points de rattachement retenus dans les décisions de la Cour. La question de la liberté des États membres de concentrer le traitement de ce contentieux devant des juridictions spécialisées, soulevée par certains d’entre eux dans leurs observations écrites, devra également être examinée à cette occasion.

6. Je vais ainsi exposer les raisons qui me conduisent à considérer, pour l’essentiel :

– que l’article 7, point 2, du règlement nº 1215/2012 détermine tant la compétence internationale que la compétence interne de la juridiction saisie ;

– que, dans les circonstances de l’affaire au principal, la juridiction territorialement compétente est celle dans le ressort de laquelle se trouve le lieu de l’acquisition des biens en cause, et

– que les États membres ont la faculté, dans le cadre de leur organisation juridictionnelle, de choisir de concentrer le traitement des litiges en matière de pratiques anticoncurrentielles devant certaines juridictions spécialisées, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

II. Le règlement no 1215/2012

7. Les considérants 15, 16 et 34 du règlement nº 1215/2012 sont libellés comme suit :

« (15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation.

[...]

(34) Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (4), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (5)], le règlement (CE) nº 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (6),] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de [cette] convention [...] et des règlements qui la remplacent. »

8. Au sein du chapitre I du règlement nº 1215/2012, intitulé « Portée et définitions », l’article 1er, paragraphe 1, prévoit :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction [...] »

9. Le chapitre II de ce règlement, intitulé « Compétence », contient au sein de la section 1, relative aux « [d]ispositions générales », les articles 4 à 6.

10. L’article 4, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

11. Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du règlement nº 1215/2012 :

« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre. »

12. La section 2 dudit chapitre, intitulée « Compétences spéciales », comprend les articles 7 à 9.

13. L’article 7, point 2, du règlement nº 1215/2012, est libellé comme suit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

[...]

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. »

14. L’article 26 dudit règlement, qui figure au sein du chapitre II, section 7, intitulée « Prorogation de compétence », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Outre les cas où sa compétence résulte d’autres dispositions du présent règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente. Cette règle n’est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 24. »

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

15. Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, RH, établie à Cordoue, a acquis pour son activité de transport routier, entre l’année 2004 et l’année 2009, cinq camions auprès d’un concessionnaire de Volvo Group España SA. La propriété de l’un des camions a été transférée à RH en 2008, après avoir fait l’objet d’un contrat de crédit‑bail.

16. Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a adopté la décision relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39824 – Camions) [C(2016) 4673 final], dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 6 avril 2017 (7).

17. Par cette décision, la Commission a déclaré l’existence d’une entente entre quinze constructeurs de camions, dont AB Volvo, Volvo Lastvagnar AB et Volvo Group Trucks Central Europe GmbH entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011, en ce qui concerne deux catégories de produits, à savoir les camions pesant entre 6 et 16 tonnes (utilitaires moyens) et les camions pesant plus de 16 tonnes (poids lourds), qu’il s’agisse de porteurs ou de tracteurs.

18. Aux termes de ladite décision (8), « [l]’infraction a consisté à conclure des arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions dans l’[Espace économique européen (EEE)]. Elle concernait également le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions pour les utilitaires moyens et les poids lourds imposées par les normes Euro 3 à 6. Jusqu’en 2004, les discussions sur les prix, leur augmentation et l’introduction des nouvelles normes d’émissions avaient lieu directement aux sièges des destinataires. Au moins à partir d’août 2002, des discussions se sont tenues par l’intermédiaire de filiales allemandes, qui faisaient rapport à leur siège à des degrés divers. Les échanges avaient lieu tant au niveau multilatéral qu’au niveau bilatéral. Ces arrangements collusoires comprenaient des accords et/ou des pratiques concertées concernant, d’une part, la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts afin d’aligner les prix bruts pratiqués dans l’EEE et, d’autre part, le calendrier et la répercussion...

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