Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 23 de abril de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:305
Date23 April 2020
Celex Number62019CC0093
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 23 avril 2020 (1)

Affaire C93/19 P

Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

contre

Chantal Hebberecht

« Pourvoi – Recours en annulation – Droit de la fonction publique – Service européen pour l’action extérieure – Affectation – Poste de chef de la délégation de l’Union européenne auprès de l’Éthiopie – Politique de rotation – Demande de prolonger l’affectation – Refus – Égalité des genres – Obligation de prendre en considération les aspects relatifs au genre – Annulation de décisions discrétionnaires de l’administration – Absence de prise en considération d’aspects qui auraient dû être intégrés dans la décision discrétionnaire – Aspects à prendre obligatoirement en considération »






I. Introduction

1. Lorsqu’il statue sur la demande d’une fonctionnaire de l’Union européenne de voir prolonger son affectation, donc d’être maintenue à un certain poste, son employeur peut-il écarter d’emblée des considérations relatives au genre ?

2. Cette question se pose dans un litige opposant le Service européen pour l’action extérieure (ci‑après le « SEAE ») et l’une de ses fonctionnaires, qui demande la prolongation de son affectation à un poste de management, à savoir le poste de chef de la délégation de l’Union européenne en Éthiopie. Le SEAE a refusé cette demande, estimant que seul l’intérêt du service était à prendre en considération et que le genre ne pouvait pas jouer de rôle dans cette décision.

3. Dans son arrêt du 27 novembre 2018, Hebberecht/SEAE (T‑315/17, EU:T:2018:842) (ci‑après l’« arrêt attaqué »), le Tribunal a, au contraire, considéré que l’égalité des genres était un élément essentiel à prendre en considération dans toutes les décisions prises sur le fondement du statut. Pour ce motif, il a annulé la décision attaquée.

4. À une époque où le concept de « gender mainstreaming » (2) est sur toutes les lèvres, la Cour est ainsi appelée, pour la première fois, à statuer sur l’importance juridique que revêt l’égalité des genres pour les décisions de l’Union en matière de personnel et les conséquences qui doivent, le cas échéant, en être tirées.

5. En effet, selon le SEAE, une obligation de prendre en considération les aspects relatifs au genre aboutirait, en l’espèce, à l’obliger à prolonger l’affectation de la fonctionnaire concernée. Or, une base juridique directement applicable ferait défaut pour une telle « discrimination positive ». En tout état de cause, le SEAE considère que le Tribunal n’aurait pas dû annuler la décision au seul motif que le SEAE n’a pas pris en considération les aspects relatifs au genre.

II. Le cadre juridique

6. Le statut des fonctionnaires de l’Union européenne a été établi par le règlement (CEE, Euratom, CECA) nº 259/68 du Conseil, du 29 février 1968, fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, et instituant des mesures particulières temporairement applicables aux fonctionnaires de la Commission (3).

7. Le considérant 7 du règlement (CE, Euratom) nº 723/2004 du Conseil du 22 mars 2004 modifiant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés (4) est rédigé comme suit :

« Il importe de veiller à l’application du principe de non‑discrimination consacré par le traité CE et de poursuivre ainsi le développement d’une politique du personnel garantissant l’égalité des chances pour tous, sans considération de sexe, de capacité physique, d’âge, d’identité raciale ou ethnique, d’orientation sexuelle ou de situation matrimoniale. »

8. Conformément à l’article 1er ter du statut des fonctionnaires de l’Union européenne tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) nº 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (5) (ci‑après le « statut »), le statut est applicable aux fonctionnaires du SEAE.

9. L’article 1er quinquies du statut dispose :

« 1. Dans l’application du présent statut est interdite toute discrimination, telle qu’une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

[…]

2. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, ce qui constitue un élément essentiel à prendre en considération dans la mise en œuvre de tous les aspects du présent statut, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas les institutions de l’Union européenne de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle.

3. Les autorités investies du pouvoir de nomination des institutions définissent, d’un commun accord, après avis du comité du statut, les mesures et les actions destinées à promouvoir l’égalité des chances entre hommes et femmes dans les domaines couverts par le présent statut, et prennent les dispositions appropriées, notamment en vue de remédier aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines couverts par le statut.

[…]

6. Dans le respect du principe de non‑discrimination et du principe de proportionnalité, toute limitation de ces principes doit être objectivement et raisonnablement justifiée et doit répondre à des objectifs légitimes d’intérêt général dans le cadre de la politique du personnel. [...] »

III. Contexte du litige et procédure devant le Tribunal

10. Aux fins du présent pourvoi, le contexte du litige et la procédure devant le Tribunal peuvent être résumés comme suit.

11. La partie défenderesse sur pourvoi est fonctionnaire du SEAE. Le 1er septembre 2013, elle a été nommée cheffe de la délégation de l’Union européenne en Éthiopie, pour une durée de quatre ans.

12. Elle a, le 15 avril 2016, demandé une prolongation de son affectation d’un an, jusqu’au 1er septembre 2018. Elle a motivé sa demande par le souhait de valoriser son expérience en Éthiopie pour une cinquième année avant de prendre sa retraite le 1er septembre 2018.

13. Par décision du 30 juin 2016 (ci‑après la « décision litigieuse »), l’autorité investie du pouvoir de nomination du SEAE a rejeté la demande en indiquant que « dans l’intérêt d’assurer une rotation régulière des chefs de délégation, une politique claire de mobilité après un maximum de quatre ans dans le poste a généralement été mise en œuvre ».

14. La partie défenderesse sur pourvoi a d’abord introduit une réclamation sur le fondement de l’article 90, paragraphe 2, du statut et, après le rejet de celle‑ci, a déposé un recours devant le Tribunal.

15. À l’appui de son recours, elle a fait valoir, notamment, qu’une prolongation de son affectation était dans l’intérêt du service et que son départ créerait une discontinuité du service au niveau du management assuré par le SEAE. En outre, sa prolongation au poste de cheffe de délégation, en tant que femme de grade AD 14, aurait constitué une mesure de discrimination positive exemplaire.

16. Tant dans le cadre de la procédure de réclamation que devant le Tribunal, le SEAE a, en revanche, défendu la position selon laquelle une prolongation n’était pas dans l’intérêt du service. Par ailleurs, en l’absence d’obligation en ce sens, il ne saurait être tenu compte du fait qu’une femme soit l’auteur de la demande pour examiner la prolongation sollicitée, celle‑ci devant être motivée uniquement par l’intérêt du service.

17. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait droit au recours de la requérante en première instance et partie défenderesse sur pourvoi, dans la mesure où elle concluait à l’annulation de la décision litigieuse.

18. Selon le Tribunal, si la partie défenderesse sur pourvoi n’a pas démontré que l’appréciation par le SEAE de l’intérêt du service était manifestement erronée (6), et que le SEAE pouvait de surcroît, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, estimer que la continuité du service pouvait également être assurée par le maintien du chef de délégation adjoint (7), le SEAE a néanmoins méconnu l’article 1er quinquies, paragraphes 2 et 3, du statut en ne prenant pas en compte l’égalité des genres pour statuer sur la demande de prolongation, bien que le législateur considère ce principe comme une dimension essentielle du statut (8). À cet égard, le Tribunal a indiqué que tant dans le cadre de la procédure écrite qu’à l’occasion de l’audience de plaidoiries devant le Tribunal, le SEAE a souligné qu’il n’y avait pas de lien entre la politique d’égalité des chances et la politique de mobilité et que les demandes de prolongation étaient traitées indépendamment de la question de savoir si le demandeur était un homme ou une femme (9).

19. Puisque le dispositif de la décision litigieuse aurait pu être différent si l’égalité des genres n’avait pas été exclue d’emblée, par principe, de l’appréciation effectuée par le SEAE, le Tribunal a annulé la décision attaquée (10).

IV. La procédure devant la Cour

20. Par son pourvoi du 6 février 2019, parvenu à la Cour le 8 février 2019, le SEAE conclut à ce qu’il plaise à la Cour

– annuler l’arrêt du tribunal du 27 novembre 2018, Hebberecht/SEAE (T‑315/17, EU:T:2018:842),

– rejeter le recours originaire comme non fondé, et

– condamner la [partie défenderesse sur pourvoi] aux dépens.

21. La partie défenderesse sur pourvoi n’a pas participé à la procédure.

V. Appréciation juridique

22. Il est indifférent que la partie défenderesse sur pourvoi n’ait pas participé à la procédure. En effet, seule fait l’objet...

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