Corsica Ferries Italia Srl contra Corpo dei piloti del porto di Genova.

JurisdictionEuropean Union
Date09 February 1994
CourtCourt of Justice (European Union)
EUR-Lex - 61993C0018 - FR 61993C0018

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 9 février 1994. - Corsica Ferries Italia Srl contre Corpo dei piloti del porto di Genova. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Genova - Italie. - Service obligatoire de pilotage - Tarifs discriminatoires - Libre prestation des services - Concurrence. - Affaire C-18/93.

Recueil de jurisprudence 1994 page I-01783
édition spéciale suédoise page I-00113
édition spéciale finnoise page I-00147


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les questions qui ont été posées à la Cour, à titre préjudiciel, par le Tribunale di Genova (ci-après la "juridiction de renvoi") ont pour objet l' interprétation des articles 5, 7, 30, 59, 85, 86 et 90 du traité CEE. Ces questions se sont posées dans le cadre d' une procédure d' injonction par laquelle Corsica Ferries Italia Srl (ci-après "Corsica Ferries") entendait obtenir de la Corporazione dei piloti del porto di Genova (ci-après la "Corporation") le remboursement de sommes qu' elle lui avait payées en rémunération de services de pilotage, paiement qui, selon elle, était incompatible avec le droit communautaire. Les services de pilotage consistent à faire accompagner le capitaine d' un navire par un pilote durant les manoeuvres nécessaires pour entrer dans le port et pour accoster, le pilote ayant pour tâche d' indiquer le chemin à suivre et d' assister le capitaine dans les manoeuvres.

L' examen des questions nécessite un exposé du contexte ° pas tout à fait transparent ° des éléments de fait et de droit de l' affaire.

Contexte factuel et juridique

2. Corsica Ferries ° dont la raison sociale a été transformée en "Tour Ship Italia Srl" au cours d' une assemblée générale extraordinaire qui s' est tenue le 4 décembre 1992 ° est une société à responsabilité limitée de droit italien dont le siège est établi à Cagliari et qui assure des services intérieurs et internationaux de transport maritime au moyen de ferries. Il ressort des observations écrites de Corsica Ferries que, depuis le 4 décembre 1992, son capital social est détenu à 90 % par Tour Ship Group SA, une société anonyme de droit luxembourgeois (1).

Selon ses propres dires, c' est en qualité d' agent maritime représentant l' armateur que Corsica Ferries assure la gestion de la flotte dont dispose le groupe Tour Ship (sur l' identité de l' armateur, voir le point 22 ci-après). Depuis 1989, elle assure en outre, en tant qu' entreprise de transport maritime, la gestion directe de la ligne qui relie le port de Gênes à différents ports de Corse (Bastia, Calvi, Ajaccio). Elle assure le service de cette ligne au moyen de deux car-ferries qu' elle a pris en location, à savoir le Corsica Regina et le Corsica Victoria, qui battent pavillon panaméen (2). Selon les déclarations que le conseiller de Corsica Ferries a faites au cours de l' audience, ces bateaux appartiennent à la société Tour Ship Panama (3).

Ajoutons encore un mot à propos de la structure du groupe Tour Ship: le conseiller de Corsica Ferries a déclaré à l' audience que le seul actionnaire de la société luxembourgeoise Tour Ship Group est M. Frédéric Lota, un Français résidant à Bastia (en Corse). Par le biais du holding luxembourgeois, M. Lota ne contrôle pas seulement Corsica Ferries mais également les sociétés Corsica Ferries France et Corsica Ferries Panama qui ont été récemment rebaptisées et s' appellent désormais Tour Ship France et Tour Ship Panama.

3. Au cours de la période qui s' étend de la fin 1989 au 31 juillet 1992, Corsica Ferries a versé à la Corporation un montant total de 901 156 960 LIT pour l' utilisation de ses services de pilotage. Elle soutient qu' elle est la victime d' une discrimination tarifaire incompatible avec les règles de la concurrence et de la libre circulation instituées par le traité CEE et demande à la Corporation de lui rembourser, pour la période de 1989 à 1992, la différence entre le tarif de base, qui lui a été appliqué, et le tarif réduit applicable aux navires qui battent pavillon italien et qui assurent un service de ligne entre des ports nationaux. Cette différence s' élève à 588 752 000 LIT.

4. Les règles de droit italien qui régissent les services de pilotage sont inscrites aux articles 86 à 100 du Codice della Navigazione (ci-après le "Codice") et dans les articles 98 à 137 du Regolamento di esecuzione (navigazione marittima).

Conformément à l' article 86 du Codice, une corporation de pilotes, dotée de la personnalité juridique, est instituée par décret du président de la République dans les ports et autres voies d' accès ou de passage des navires où la nécessité d' un service de pilotage a été reconnue.

Bien qu' elle soit en principe facultative, l' institution d' un service de pilotage peut, conformément à l' article 87 du Codice, être rendue obligatoire par décret du président de la République dans les ports où elle est jugée indiquée. Sur la base de cette disposition, le service de pilotage a été rendu obligatoire dans la quasi-totalité des ports italiens, y compris celui de Gênes. Le capitaine d' un navire qui ne respecte pas son obligation de recourir aux services d' un pilote est passible de sanctions pénales (articles 1170 et 1171 du Codice).

5. Concrètement, entre la Corporation et le commandant du navire, représentant l' armateur, s' établit un contrat de prestation de services à titre onéreux en vertu duquel un pilote, associé de la Corporation, assiste le capitaine.

Conformément à l' article 91 du Codice, les tarifs de pilotage sont approuvés par le ministre de la Marine marchande après avis des associations syndicales intéressées. Ces tarifs sont rendus exécutoires dans chaque port par décret de l' autorité maritime compétente.

Par circulaire du 16 novembre 1990, le ministre de la Marine marchande a informé toutes les directions maritimes que les associations d' armateurs et la Fédération italienne des pilotes de port avaient trouvé un accord pour procéder à une adaptation des tarifs pour les années 1991 et 1992 et qu' en application de l' article 91 du Codice, le ministère avait approuvé ces tarifs. Le directeur maritime du port de Gênes a rendu ces tarifs applicables par voie de décret.

6. Il apparaît des décrets du directeur maritime (4) que, au moment des faits en cause dans la procédure principale, deux tarifs distincts étaient en vigueur selon que le navire avait ou non une licence de cabotage pour les côtes italiennes (5). Les navires qui disposent d' une licence de cabotage se voient appliquer un tarif qui est de 30 % inférieur aux tarifs que doivent acquitter pour le même service de pilotage les navires qui ne disposent pas d' une licence de cabotage. De surcroît, une réduction de 50 % sur le tarif de base est accordée aux navires de ligne exécutant des trajets réguliers entre les ports italiens selon un itinéraire fixe et effectuant au moins une escale hebdomadaire dans le port de Gênes. Enfin, d' autres remises sont accordées aux navires de plus de 2 000 tonnes de jauge brute qui font du cabotage et qui recourent au service de pilotage un certain nombre de fois par mois.

Au moment des faits, seuls les navires battant pavillon italien pouvaient obtenir une licence de cabotage en application de l' article 224 du Codice. Le 1er janvier 1993 est entré en vigueur le règlement (CEE) n 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l' application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l' intérieur des États membres (cabotage maritime) (voir le point 12 ci-après) (6). C' est en application de ce règlement que, par circulaire du 18 décembre 1992, le ministre de la Marine marchande a étendu, avec effet au 1er janvier 1993, le tarif applicable aux navires détenteurs d' une licence de cabotage aux navires battant pavillon d' un autre État membre.

7. La Corporation estime que le droit communautaire n' a pas été enfreint et refuse de rembourser les montants réclamés par Corsica Ferries. Estimant qu' une "interprétation exacte et précise du contenu et de la portée" des dispositions du traité relatives à la concurrence et à la libre circulation des personnes, des marchandises et des services est nécessaire pour déterminer s' il y a lieu ou non d' accueillir le recours, le juge de renvoi a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

"1) Les articles 5 et 7 du traité CEE s' opposent-ils à des dispositions nationales qui, dans le cas de navires assurant un service de ligne régulier entre des ports de deux États membres, prévoient l' application de tarifs réduits pour le service de pilotage, obligatoire aux fins de la sécurité de la navigation, en faveur des seuls navires habilités au 'cabotage' entre les ports nationaux, alors que ledit cabotage entre ports nationaux, en l' état actuel du droit communautaire, est réservé aux seuls navires battant pavillon national?

2) L' article 30 du traité CEE s' oppose-t-il à des règles ou usages nationaux qui imposent de faire appel à l' entreprise chargée du pilotage, même si les opérations qu' elle effectue peuvent, en toute sécurité pour la navigation, être effectuées à moindres frais, en tout ou en partie, à l' aide du personnel, des moyens et des technologies dont le navire est doté?

3) Dans le cas de navires assurant un service de ligne régulier entre deux États membres, l' article 59 du traité s' oppose-t-il à des dispositions nationales qui permettent de pratiquer, à l' égard des seuls navires battant pavillon national, des réductions sur les tarifs obligatoires appliqués pour le service de pilotage dans les ports nationaux?

4) L' approbation, par l' autorité publique, d' un tarif obligatoire qui résulte d' un accord et/ou d' une concertation entre les associations d' entreprises du secteur constitue-t-elle un 'aval' à une entente prohibée par l' article 85 paragraphe 1, du traité...

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