Opinion of Advocate General Hogan delivered on 30 April 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:325
Date30 April 2020
Celex Number62019CC0243
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 30 avril 2020 (1)

Affaire C243/19

A

contre

Veselības ministrija

[Demande de décision préjudicielle du Augstākā tiesa (Senāts) (Sénat de la Cour suprême, Lettonie)]

« Demande de décision préjudicielle – Sécurité sociale – Assurance maladie – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 20, paragraphe 2 – Autorisation de recevoir un traitement en dehors de l’État membre de résidence – Autorisation accordée si le traitement figure parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre de résidence et si la personne ne peut pas bénéficier de ce traitement dans un délai acceptable sur le plan médical – Directive 2011/24/UE – Article 7 – Article 8, paragraphe 5 – Remboursement de soins de santé transfrontaliers – Frais médicaux encourus dans un autre État membre – Refus – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 10, paragraphe 1, et article 21, paragraphe 1 – Article 56 TFUE »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 56 TFUE, de l’article 10, paragraphe 1 (2), et de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), de l’article 20, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (3) et de l’article 8, paragraphe 5, de la directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2011, relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (4).

2. Les questions posées dans la présente demande de décision préjudicielle invitent la Cour à apprécier l’étendue selon laquelle les États membres doivent prendre en compte le choix personnel du patient dans le cadre de la prestation publique de soins de santé transfrontaliers lorsqu’ils mettent en œuvre l’article 20, paragraphe 2, du règlement nº 883/2004 et les articles 7 et 8 de la directive 2011/24. Précisément, la Cour doit examiner dans quelle mesure – le cas échéant – le choix d’un patient fondé sur des motifs religieux doit faire l’objet d’une conciliation dans ce cadre, ne fût-ce qu’en considération des dispositions de l’article 10, paragraphe 1, de la Charte (5) (qui dispose que toute personne a droit à la liberté de religion) et de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte (qui interdit les discriminations fondées sur la religion) (6). Ces questions se posent dans le contexte suivant.

3. La demande a été présentée dans une procédure entre A, qui est le père d’un enfant B, et le Veselības ministrija (ci‑après le « ministère de la Santé ») letton. B est né avec une maladie cardiovasculaire dont le traitement exigeait une intervention chirurgicale. Ce type d’opération peut être réalisée en Lettonie, mais implique nécessairement une transfusion sanguine. En outre, l’opération figure parmi les traitements prévus par la législation lettonne relative à son système de santé national. La juridiction de renvoi a ainsi souligné le fait qu’il n’existe aucune raison médicale justifiant que B ne puisse pas subir l’opération en question en Lettonie.

4. A est un Témoin de Jéhovah et, pour ce motif, s’oppose à la transfusion sanguine, même si, comme ici, l’opération en cause constitue un traitement médical vital et essentiel pour son jeune fils, B. Il apparaît que les Témoins de Jéhovah considèrent l’interdiction relative au sang comme une exigence scripturale compte tenu de l’admonition contenue dans le verset 15 :29 des Actes, imposant aux Chrétiens de s’« abstenir des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, […] », mais également comme une interdiction qui, lorsqu’elle se manifeste, constitue une épreuve pratique de foi.

5. D’aucuns diront à titre liminaire qu’une juridiction laïque comme la Cour ou la juridiction de renvoi ne saurait pouvoir trancher des questions de cette nature. Une diversité d’opinions religieuses et philosophiques constitue la substance de la liberté de pensée, de conscience et de religion garantie par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte. Les termes mêmes de cette disposition – illustrant de fait un engagement profond qui figure également dans les constitutions des États membres en faveur de la liberté de réflexion philosophique et de la liberté religieuse – présupposent que les États membres ne puissent pas être directifs quant à ce qui est orthodoxe ou conventionnel à cet égard.

6. Tout cela signifie que les juridictions doivent être particulièrement préparées à protéger la diversité des opinions en matière de conscience, de religion et de liberté de pensée. Il s’agit, par conséquent, du cadre général de la présente procédure. Il importe d’indiquer, cependant, que les questions relatives à l’article 10, paragraphe 1, et à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte en cause ici sont néanmoins présentées sous une forme quelque peu diluée et moins aigue que dans de nombreuses affaires antérieures impliquant les Témoins de Jéhovah dont les juridictions nationales avaient été saisies. Nombre de ces affaires concernaient le droit des juridictions nationales de s’immiscer et d’ordonner l’administration d’une transfusion sanguine à des enfants lorsqu’une intervention chirurgicale était nécessaire aux fins de sauver leur vie.

7. Cette question ne se pose pas en ce qui concerne la présente affaire car l’opération vitale a été en fait, heureusement, réalisée sur l’enfant, quoiqu’en Pologne et non en Lettonie. L’opération, qui a été réalisée en Pologne en avril 2017, n’a pas nécessité en réalité une transfusion sanguine et il s’agissait de la raison spécifique justifiant que B se soit rendu en Pologne.

8. La question qui s’est ainsi présentée est d’une nature un peu plus prosaïque, en portant sur le point de savoir si A a le droit de demander un remboursement de la part du Service national de santé letton d’une partie ou de l’intégralité des coûts de l’intervention qui a été effectuée en Pologne. A a demandé à cette fin au Service national de santé letton de délivrer un document désigné « formulaire S 2 » autorisant ainsi son fils à bénéficier de certains soins de santé programmés dans un autre État membre de l’Union européenne, dans un État de l’Espace économique européen (EEE) ou en Suisse conformément à une législation nationale transposant, notamment, l’article 20, paragraphe 2, du règlement nº 883/2004. Cette autorisation aurait permis que les frais relatifs à l’opération en question en Pologne auraient été supportés par le budget de l’État letton. L’autorisation a été, cependant, refusée au motif que l’intervention aurait pu être réalisée en Lettonie – bien que, à la différence de la Pologne, elle aurait impliqué l’utilisation d’une transfusion sanguine – et qu’il n’existait aucuns motifs médicaux justifiant de réaliser l’intervention sur B sans transfusion sanguine.

9. A considère qu’il a subi une discrimination indirecte pour des raisons religieuses car la majorité des personnes et leurs enfants sont en mesure de bénéficier des services de santé nécessaires sans compromettre leurs convictions religieuses ou morales.

10. La Cour s’est ainsi vue demander d’apprécier si cette discrimination indirecte alléguée fondée sur la religion peut être légitime et donc nécessaire et proportionnée, pour le moins eu égard au fait que l’adaptation d’un traitement médical afin de prendre en compte des croyances religieuses peut créer une charge supplémentaire pour le budget général de la santé.

11. La Cour doit examiner, en particulier, si des critères médicaux sont les seuls critères qu’un État membre est obligé de prendre en compte sur le fondement l’article 20, paragraphe 2, du règlement nº 883/2004 et de l’article 8, paragraphe 6, sous d), de la directive 2011/24 ou si des croyances religieuses sincères doivent également être intégrées dans l’équation.

12. Il est, cependant, tout d’abord nécessaire de présenter les dispositions pertinentes, notamment législatives, avant d’examiner ces questions.

II. Cadre légal

A. Droit de l’Union

1. Règlement no 883/2004

13. L’article 20 du règlement nº 883/2004, intitulé « Déplacement aux fins de bénéficier de prestations en nature – Autorisation de recevoir un traitement adapté en dehors de l’État membre de résidence », est libellé comme suit :

« 1. À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, une personne assurée se rendant dans un autre État membre aux fins de bénéficier de prestations en nature pendant son séjour demande une autorisation à l’institution compétente.

2. La personne assurée qui est autorisée par l’institution compétente à se rendre dans un autre État membre aux fins d’y recevoir le traitement adapté à son état bénéficie des prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour, selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme si elle était assurée en vertu de cette législation. L’autorisation est accordée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et que ces soins ne peuvent lui être dispensés dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie.

3. Les paragraphes 1 et 2 s’appliquent mutatis mutandis aux membres de la famille de la personne assurée.

[…] »

2. Directive 2011/24

14. L’article 7 de la directive 2011/24, intitulé « Principes généraux applicables au remboursement des coûts », prévoit :

« 1. Sans préjudice du règlement (CE) nº 883/2004 et sous réserve des dispositions des articles 8 et 9, l’État membre d’affiliation veille à ce que les frais engagés par une personne assurée qui reçoit des soins de santé transfrontaliers soient remboursés, si les soins de santé en question font partie des prestations...

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