Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 16 de julio de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:598
Celex Number62019CC0372
Date16 July 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 16 juillet 2020(1)

Affaire C372/19

Belgische Vereniging van Auteurs, Componisten en Uitgevers CVBA (SABAM)

contre

Weareone.World BVBA,

Wecandance NV

[demande de décision préjudicielle formée par l’Ondernemingsrechtbank Antwerpen (tribunal de l’entreprise d’Anvers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Article 102 TFUE – Abus de position dominante – Notion de ‘prix non équitable’ – Redevances perçues par un organisme de gestion collective des droits d’auteur pour la communication au public d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur lors de festivals – Méthode de calcul »






1. Par le renvoi préjudiciel examiné dans les présentes conclusions, l’Ondernemingsrechtbank Antwerp (tribunal de l’entreprise d’Anvers, Belgique) pose à la Cour une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 102 TFUE. Cette question est apparue dans le cadre de deux litiges, le premier entre la Belgische Vereniging van Auteurs, Componisten en Uitgevers CVBA (société belge des auteurs, compositeurs et auditeurs, SCRL, ci‑après la « SABAM ») et la société Weareone.World BVBA (ci‑après « W.W »), le second entre la SABAM et la société Wecandance NV (ci‑après « WCD »), ayant pour objet les redevances perçues par la SABAM pour l’utilisation d’œuvres musicales appartenant à son répertoire lors de festivals organisés par W.W et WCD.

I. Cadre juridique

A. Droit de l’Union

2. Au sens de l’article 102, premier alinéa, TFUE « [e]st incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui‑ci ». En vertu du second alinéa, sous a), de cet article, ces pratiques abusives peuvent notamment consister à « imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables ».

3. La directive 2014/26 (2), adoptée sur le fondement des articles 50, paragraphe 1, 53, paragraphe 1, et 62 TFUE, et entrée en vigueur le 9 avril 2014, se fixe pour objectifs principaux de renforcer la capacité des membres des organismes de gestion collective à exercer un contrôle sur les activités de ceux‑ci, de garantir un niveau de transparence suffisant des organismes de gestion collective et d’améliorer l’octroi de licences multiterritoriales de droits d’auteur sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne (3). À cette fin, elle définit en particulier les exigences nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de la gestion du droit d’auteur et des droits voisins par les organismes de gestion collective (4). L’article 16 de cette directive, intitulé « Octroi de licences », qui fait partie du chapitre 4, consacré aux « Relations avec les utilisateurs », dispose, au paragraphe 2 :

« Les conditions d’octroi de licences reposent sur des critères objectifs et non discriminatoires. […]

Les titulaires de droits perçoivent une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs droits. Les tarifs appliqués pour les droits exclusifs et les droits à rémunération sont raisonnables, au regard, entre autres, de la valeur économique de l’utilisation des droits négociés, compte tenu de la nature et de l’ampleur de l’utilisation des œuvres et autres objets, ainsi qu’au regard de la valeur économique du service fourni par l’organisme de gestion collective. Les organismes de gestion collective informent l’utilisateur concerné des critères utilisés pour fixer ces tarifs. »

B. Droit national

4. L’article IV.2 du Wetboek van economisch recht (code de droit économique) contient les mêmes dispositions que l’article 102 TFUE.

5. La directive 2014/26 a été transposée en droit belge par la Wet van 8 juni 2017 tot omzetting in Belgisch recht van de richtlijn 2014/26 (loi du 8 juin 2017 transposant en droit belge la directive 2014/26) (5), entrée en vigueur le 1er janvier 2018. L’article 63 de cette loi a modifié l’article XI.262 du code de droit économique, lequel prévoit, au paragraphe 1, que « [l]es conditions d’octroi de licences reposent sur des critères objectifs et non discriminatoires. […]. Les ayants droit perçoivent une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs droits. Les tarifs appliqués pour les droits exclusifs et les droits à rémunération sont raisonnables, au regard, entre autres, de la valeur économique de l’utilisation des droits négociés, compte tenu de la nature et de l’ampleur de l’utilisation des œuvres et prestations, ainsi qu’au regard de la valeur économique du service fourni par la société de gestion. Les sociétés de gestion informent l’utilisateur concerné des critères utilisés pour fixer ces tarifs ».

6. En vertu de l’article XI.248 du code de droit économique, dans la version applicable aux faits de la procédure au principal, « [l]es sociétés de gestion gèrent les droits dans l’intérêt des ayants droit. Cette gestion doit être effectuée de manière équitable, diligente, efficace et non discriminatoire. […] ».

7. Conformément à l’article XI.279 du code de droit économique, un service de contrôle des sociétés de gestion des droits d’auteur et droits voisins, qui fait partie de la direction générale de l’inspection économique du service public fédéral Économie (SPF Économie) contrôle en particulier les règles de perception, de tarification et de répartition adoptées par ces sociétés.

II. Procédures au principal et question préjudicielle

8. La SABAM, demanderesse au principal, est un organisme de gestion des droits d’auteur au sens de la législation belge. Les sociétés défenderesses, W.W et WCD, sont les organisatrices, respectivement, des festivals de musique Tomorrowland et Wecandance.

9. La rémunération pour l’utilisation du répertoire de la SABAM lors de festivals de musique (6) est déterminée sur la base du tarif dit « 211 » qui, à l’époque des faits des procédures au principal, comportait deux critères de tarification différents. Le premier prévoyait l’application d’un tarif minimal calculé sur la base de la superficie sonorisée ou sur la base du nombre de places assises disponibles. Le second, applicable pour un montant de redevances plus élevé, consistait en un tarif dégressif par tranches calculées, en fonction du montant le plus élevé, sur le budget artistique (7) ou sur les recettes brutes de la vente de billets, y compris ceux offerts aux sponsors. Il ressort du dossier que les taux appliqués variaient de 6 % à 2,50 % (3,25 % pour 2017) et s’appliquaient à 8 (9 à partir de 2017) tranches de recettes allant de 0,01 euros à plus de 3 200 000 euros. Les différentes versions du tarif 211 prévoyaient que certains frais pouvaient être déduits du montant de base, en particulier, les frais de réservation, la TVA et les taxes communales (8). Des réductions étaient appliquées à ce tarif, sur la base de la règle « 1/3‑2/3 », à savoir : i) si moins d’un tiers des œuvres musicales exécutés lors du festival proviennent de son répertoire, la SABAM ne facture qu’un tiers du tarif, ii) si plus d’un tiers et moins de deux tiers des œuvres musicales exécutées lors du festival proviennent de son répertoire, la SABAM ne facture que deux tiers du tarif, iii) dans les autres cas, la SABAM facture le plein tarif. Pour obtenir ces réductions, l’organisateur de l’événement devait produire la liste des œuvres musicales jouées. Cette liste devait être produite au plus tard dix jours avant l’évènement ou, à partir de 2017 et pour les œuvres exécutées en live par des DJ, jusqu’à 30 jours après l’événement, à condition que l’organisateur fasse appel à une entreprise de contrôle agréée par la SABAM.

10. Par plusieurs citations (9), la SABAM réclame aux parties défenderesses le paiement des droits pour l’utilisation de son répertoire musical lors des éditions 2014, 2015 et 2016 du festival Tomorrowland (10) et lors des éditions 2013 à 2016 en ce qui concerne le festival Wecandance (11).

11. Devant le juge de renvoi, W.W et WCD ont contesté la validité du tarif 211 qu’elles estiment inéquitable car il ne correspond pas à la valeur économique de la prestation fournie par la SABAM. D’une part, celles‑ci font valoir que la règle 1/3‑2/3, qui sert de base aux réductions appliquées, n’est pas suffisamment précise et qu’il existe des technologies qui permettent d’identifier plus précisément les œuvres du répertoire de la SABAM exécutées et leur durée (12). D’autre part, elles contestent le fait que le tarif soit calculé sur la base du budget artistique ou des recettes brutes sans déduction préalable des dépenses qui ne sont pas directement liées à la musique. Compte tenu de ces éléments, le système de tarification adopté par la SABAM pour les événements tels que ceux organisés par les parties défenderesses au principal constituerait un abus de position dominante prohibé en vertu de l’article 102 TFUE.

12. Il est constant que la SABAM jouit en Belgique d’un monopole de fait sur le marché de la perception et de la répartition des droits d’auteurs sur la reproduction et la communication au public d’œuvres musicales.

13. Le juge de renvoi relève qu’il est impossible de calculer avec précision la valeur économique des droits d’auteur liés à l’exécution d’œuvres musicales dans le cadre d’événements tels que ceux en cause dans les procédures au principal, puisqu’un tel calcul nécessiterait de tenir compte de l’attractivité et de la popularité de chaque morceau exécuté. La détermination de la rémunération due à l’organisme de gestion des droits d’auteurs serait donc nécessairement le fruit d’une approximation. Néanmoins, le juge de renvoi s’interroge sur le niveau de précision requis afin que cette rémunération ne soit pas considérée comme inéquitable et sur la compatibilité du système de tarification adopté par la SABAM, compte tenu des...

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