Opinion of Advocate General Hogan delivered on 12 May 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:386
Date12 May 2021
Celex Number62020CC0124
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 12 mai 2021 (1)

Affaire C124/20

Bank Melli Iran, Aktiengesellschaft nach iranischem Recht

contre

Telekom Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Hanseatische Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique commerciale – Règlement (CE) n° 2271/96 – Protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers – Mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran – Sanctions secondaires adoptées par les États‑Unis d’Amérique – Interdiction de se conformer à une telle législation – Exercice d’un droit ordinaire de résilier un contrat »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) nº 2271/96 du Conseil, du 22 novembre 1996, portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant (ci‑après la « loi de blocage de l’UE ») (2), tel que dernièrement modifié par le règlement délégué (UE) 2018/1100 de la Commission du 6 juin 2018 (3). Elle découle directement de la décision de mai 2018 du président américain (de l’époque), Donald Trump, de se retirer, au nom des États‑Unis d’Amérique, de ce qui est communément connu comme étant l’accord sur le nucléaire iranien, un accord qui avait été conclu auparavant en juillet 2015. Cette décision a eu pour effet de déclencher le rétablissement de certaines sanctions américaines à l’encontre de sociétés et autres entités iraniennes, dont l’application avait été suspendue en 2015.

2. Pour des raisons de politique étrangère et de sécurité nationale, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les États‑Unis d’Amérique ont imposé différents types de sanctions économiques contre des États, des particuliers ou des entités juridiques. Certaines de ces sanctions sont de longue date, tel l’embargo sur Cuba, qui avait été autorisé par le Foreign Assistance Act of 1961 (loi d’assistance étrangère de 1961) et codifié en 1966 par le Cuban Liberty and Democractic Solidarity (Libertad) Act [loi sur la liberté cubaine et la solidarité démocratique (Libertad)]. Depuis le 11 septembre 2001 et l’intensification de la lutte contre le terrorisme, le programme de sanctions économiques américain a crû.

3. Alors que ces sanctions s’appliquent essentiellement aux personnes américaines et non américaines relevant de la juridiction des États‑Unis d’Amérique qui font du commerce avec les pays concernés ou y investissent (sanctions primaires), certaines des dispositions visent également des activités ne relevant pas de la juridiction des États‑Unis d’Amérique, essentiellement celles de sociétés étrangères (sanctions secondaires). En effet, une grande partie de la législation américaine mettant en œuvre ces sanctions cherche soit à imposer des sanctions à des entités de pays tiers qui font du commerce avec l’État cible, soit à interdire à ces entités de pays tiers à faire à leur tour du commerce avec les États‑Unis d’Amérique (4).

4. Ces tentatives d’élargir la compétence extraterritoriale des États‑Unis d’Amérique ont historiquement été critiquées au niveau de l’UE (5), étant donné que ces efforts équivalent typiquement à une forme de compétence exorbitante, que certains considèrent comme difficilement réconciliable avec les principes généraux du droit public international (6). Il peut être relevé ici que l’article 21, paragraphe 1, et l’article 21, paragraphe 2, sous h), TUE enjoignent à l’Union européenne de protéger et de promouvoir ce système de droit international. De plus, les milieux d’affaires européens ont contesté ce type de législation au motif qu’en pratique il affecte presque exclusivement les sociétés étrangères (7).

5. Pour toutes ces raisons, l’existence d’une telle législation avec des effets extraterritoriaux potentiellement considérables n’est pas passée inaperçue. En 1996, l’Union européenne a adopté la loi de blocage de l’UE, dont l’article 5, paragraphe 1, interdit aux sociétés européennes de se conformer aux mesures américaines (8). Néanmoins, les tensions entre les deux régimes juridiques, qui sont au cœur de la présente procédure préjudicielle, sont sources de problèmes géopolitiques potentiels, non seulement en termes de conflit de souveraineté, mais également en termes de barrières réglementaires concurrentes sur les marchés européen et américain. Comme le montrent de manière dramatique les faits de l’espèce, le fonctionnement de la loi de blocage de l’UE fait naître une série de problèmes juridiques non résolus jusqu’à ce jour et une variété de problèmes extrêmement pratiques, dont le fait que les sociétés européennes sont confrontées à des dilemmes impossibles – et très injustes – causés par l’application de deux régimes juridiques différents et directement opposés n’est pas le moindre (9). Je ne peux m’empêcher de relever que la nature de ces dilemmes, ensemble avec l’absence de lignes directrices claires relatives à des problèmes juridiques importants découlant directement du fonctionnement de la loi de blocage de l’UE, est telle que le législateur de l’Union pourrait avantageusement revoir la manière dont cette loi opère actuellement.

6. En particulier, nombre de ces difficultés sont brusquement revenues au centre de l’attention à la suite de la décision de mai 2018 du président américain de l’époque, Donald J Trump, de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien [formellement intitulé le Joint Comprehensive Plan of Action (Plan d’action global commun)] conclu par la République islamique d’Iran et les pays de ce que l’on appelle de manière informelle le « P5 + 1 » à Vienne en juillet 2015 (10). Cela ne semble pas avoir été un traité formel en tant que tel, mais plutôt un accord géopolitique entre les 5 membres permanents du Conseil de sécurité (les États‑Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la République populaire de Chine, le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la République française) ensemble avec la République fédérale d’Allemagne et l’Union européenne, d’une part, et la République islamique d’Iran, d’autre part. Cet accord envisageait, entre autres, que la République islamique d’Iran réduirait ses stocks d’uranium enrichi et de centrifugeuses et marquerait son accord à un programme d’inspection de routine en échange d’une levée graduelle de certaines sanctions économiques. Cet accord avait pour objet de s’assurer que la République islamique d’Iran ne réaliserait aucune ambition qu’elle aurait pu nourrir d’obtenir la capacité de fabriquer et de produire des armes nucléaires.

7. La décision du président Trump de se retirer de cet accord a entraîné, consécutivement de nouvelles sanctions américaines. Cela a posé des difficultés considérables à certaines sociétés européennes majeures (11). Par conséquent, afin de prévenir les effets de cette réactivation des sanctions américaines dirigées contre des entités iraniennes après le retrait des États‑Unis d’Amérique du Plan d’action global commun, l’Union européenne a ajouté la législation américaine relative au programme de sanctions contre l’Iran à la liste des législations étrangères couvertes par la loi de blocage de l’UE.

8. Avant d’examiner ces questions, il convient tout d’abord d’exposer les dispositions applicables.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La loi de blocage de l’UE

9. Les considérants 1 à 7 de la loi de blocage de l’UE disposent :

« considérant que la Communauté a notamment pour objectif de contribuer au développement harmonieux du commerce mondial et à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux ;

considérant que la Communauté s’efforce de réaliser, dans la plus large mesure possible, l’objectif de libre circulation des capitaux entre États membres et pays tiers, et notamment la suppression de toute restriction aux investissements directs, y compris les investissements immobiliers, à l’établissement, à la prestation de services financiers ou à l’admission de titres sur les marchés des capitaux ;

considérant qu’un pays tiers a promulgué certaines lois, certains règlements et certains autres instruments législatifs visant à réglementer les activités de personnes physiques ou morales relevant de la juridiction des États membres ;

considérant que, par leur application extraterritoriale, ces lois, règlements et autres instruments législatifs violent le droit international et empêchent la réalisation des objectifs précités ;

considérant que ces lois, règlements et autres instruments législatifs, ainsi que les actions fondées sur eux ou en découlant, affectent ou sont susceptibles d’affecter l’ordre juridique établi et lèsent les intérêts de la Communauté et ceux des personnes physiques ou morales exerçant des droits sous le régime du traité instituant la Communauté européenne ;

considérant que, dans ces circonstances exceptionnelles, il est nécessaire d’entreprendre une action au niveau de la Communauté afin de protéger l’ordre juridique établi, ainsi que les intérêts de la Communauté et ceux desdites personnes physiques ou morales, notamment en éliminant, en neutralisant, en bloquant ou en contrecarrant de toute autre manière les effets de la législation étrangère en cause ;

considérant que la demande de transmission d’informations au titre du présent règlement n’empêche pas un État membre de demander que des informations de même nature soient fournies à ses autorités ;

[...] ».

10. Le premier alinéa de l’article premier de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Le présent règlement a pour but d’assurer une protection contre l’application extraterritoriale des lois citées en annexe, y compris les règlements et autres instruments législatifs, et contre les actions fondées sur elles ou en...

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