Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 3 septembre 2020.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62019CC0404 |
ECLI | ECLI:EU:C:2020:643 |
Date | 03 September 2020 |
Court | Court of Justice (European Union) |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE
présentées le 3 septembre 2020 (1)
Affaire C‑404/19 P
République française
contre
Commission européenne
« Pourvoi – FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement de l’Union européenne – Aides directes à la surface versées en Haute-Corse – Système de contrôle gravement déficient – Conditions pour l’application d’une correction financière forfaitaire de 100 % – Taux de 100 % – Règlement (UE) no 1306/2013 – Article 52, paragraphe 2 – Règlement délégué (UE) no 907/2014 – Article 12, paragraphe 7, sous c) – Lignes directrices relatives au calcul des corrections financières dans le cadre des procédures d’apurement de conformité et d’apurement des comptes – Point 3.2.5 »
I. Introduction
1. Par le présent pourvoi, la République française demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mars 2019, France/Commission (2), par lequel celui‑ci a rejeté le recours introduit par cet État membre à l’encontre de la décision d’exécution (UE) 2017/2014 de la Commission (3). Par cette décision, la Commission a notamment imposé audit État membre une correction financière forfaitaire de 100 % concernant les aides directes à la surface versées en Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison des défaillances graves constatées dans le système de contrôle desdites aides. Le taux de 100 % correspond à la totalité des aides versées.
2. Les conditions pour appliquer une correction forfaitaire à hauteur de 100 % sont prévues au point 3.2.5. des lignes directrices de la Commission relatives au calcul des corrections financières (4). Ce point prévoit qu’un tel taux peut être appliqué lorsque les déficiences du système de contrôle d’un État membre sont si graves qu’elles constituent un non‑respect total des règles de l’Union, de nature à rendre tous les paiements irréguliers.
3. À l’appui de son pourvoi, la République française soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’arrêt attaqué en jugeant que l’imposition par la Commission de la correction forfaitaire de 100 % était justifiée. Cet État membre ne conteste pas que le système de contrôle en Haute-Corse ait été défaillant, de sorte que la Commission pouvait imposer une correction forfaitaire, mais reproche au Tribunal d’avoir retenu une interprétation et une application erronées du point 3.2.5. des lignes directrices en jugeant que les conditions y mentionnées pour appliquer un taux à hauteur de 100 % étaient remplies. Le présent pourvoi invite donc la Cour à se pencher, à ma connaissance pour la première fois, sur les conditions qui président à l’imposition d’une correction financière forfaitaire de 100 %, telle que prévue par le point 3.2.5. des lignes directrices.
4. À l’issue de mon analyse, je proposerai à la Cour d’accueillir le pourvoi.
II. Le cadre juridique
A. Le règlement (UE) no 1306/2013
5. L’article 52 du règlement nº (UE) 1306/2013 (5), intitulé « Apurement de conformité », prévoit, à son paragraphe 1, que la Commission adopte des actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union, lorsqu’elle considère que des dépenses du FEAGA et du Feader n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union. Conformément à l’article 52, paragraphe 2, de ce règlement, la Commission évalue les montants à exclure au vu, notamment, de l’importance de la non‑conformité constatée, et tient compte de la nature de l’infraction, ainsi que du préjudice financier causé à l’Union.
B. Le règlement d’exécution (UE) no 907/2014
6. Les critères et la méthodologie pour l’application de corrections dans le cadre de l’article 52, paragraphe 1, du règlement nº 1306/2013 sont prévus à l’article 12 du règlement d’exécution (UE) nº 907/2014 (6). Il ressort de l’article 12, paragraphe 6, de ce règlement que, lorsque les montants à exclure du financement de l’Union ne peuvent être déterminés par le calcul ou l’extrapolation visés aux paragraphes 2 et 3 de cet article (7), la Commission applique des corrections forfaitaires appropriées, en tenant compte de la nature et de la gravité de l’infraction et de sa propre estimation du risque de préjudice financier pour l’Union.
7. L’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement d’exécution (UE) nº 907/2014 prévoit :
« En établissant le niveau des corrections forfaitaires, la Commission tient spécifiquement compte des circonstances suivantes, qui indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union :
[...]
c) l’application par l’État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses ;
[...] »
C. Les lignes directrices
8. Dans ses lignes directrices, la Commission a exposé les principes généraux et le niveau de la correction forfaitaire que la Commission peut proposer en vertu de l’article 52, paragraphe 1, du règlement nº 1306/2013 et de l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement d’exécution nº 907/2014 (8).
9. S’agissant des principes généraux, il ressort des lignes directrices que, dans le cas des corrections forfaitaires, le préjudice financier probable causé à l’Union doit être déterminé par une évaluation du risque résultant de la déficience dans le contrôle, qui peut concerner tant la nature ou la qualité des contrôles effectués que le nombre de ces contrôles. Le principe sous‑jacent, le principe de proportionnalité exposé par l’article 52, paragraphe 2, du règlement (UE) nº 1306/2013, est que le taux de correction doit être clairement lié au préjudice financier causé à l’Union (9).
10. En ce qui concerne le niveau de la correction forfaitaire, les lignes directrices prévoient une application, selon les circonstances y mentionnées, d’une correction à hauteur de 2 %, 3 %, 5 %, 7 % ou 10 % (10). En outre, il ressort des lignes directrices que, dans des cas exceptionnels, des taux de correction supérieurs, allant jusqu’à 100 %, peuvent être adoptés (11). Un tel taux supérieur est prévu pour les cas visés à l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement d’exécution nº 907/2014. Ainsi, le point 3.2.5. des lignes directrices portant sur cette disposition prévoit :
« “[Si l]’application par un État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et [qu’]il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses [(12)]” , il convient alors d’appliquer une correction à hauteur de 25 %, dans la mesure où il peut être raisonnablement estimé que la liberté de soumettre impunément des demandes irrecevables occasionnera des préjudices financiers extrêmement élevés pour le budget de l’Union.
Le taux de correction peut être fixé à un niveau encore plus élevé lorsque cela se justifie. Ce sera le cas lorsque, sur la base d’informations fournies par l’État membre, la population à risque a été (très) restreinte. De même, la totalité de la dépense peut être écartée du financement de l’Union lorsque les déficiences sont si graves qu’elles constituent un non‑respect total des règles de l’Union, de nature à rendre tous les paiements irréguliers. »
III. Les faits à l’origine du litige, le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
A. Les faits à l’origine du litige
11. Pour les besoins des présentes conclusions, les antécédents du litige, exposés par le Tribunal aux points 1 à 37 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.
12. Du 24 au 28 novembre 2014, la Commission a réalisé, en France, une enquête portant sur le secteur des aides à la surface sollicitées pour les années de demande 2013 et 2014. À la suite de cette enquête, la Commission a communiqué ses résultats à la République française et il y a eu ensuite une correspondance entre cette institution et cet État membre relative à l’enquête.
13. Par lettre du 20 mai 2016 (ci‑après la « communication du 20 mai 2016 »), la Commission a communiqué à la République française sa proposition d’exclure du financement de l’Union un montant total de 117 439 017,55 euros pour non‑conformité de la mise en œuvre du système d’aide à la surface en France aux règles de l’Union lors des années de demande 2013 et 2014. Ce montant se composait de quatre groupes de propositions de corrections, parmi lesquels l’un concernait les aides directes à la surface versées en Haute-Corse. Cette correction constituait une correction forfaitaire de 100 %, correspondant à un montant de 28 973 945,46 euros.
14. Ladite correction forfaitaire de 100 % était fondée sur plusieurs constatations de défaillances relatives, notamment, aux problèmes liés à la définition des superficies éligibles.
15. Premièrement, la réglementation française permettait l’utilisation de ratios préalablement définis pour la prise en compte des particularités topographiques dans la surface agricole, de manière non conforme à la réglementation de l’Union sur les « bonnes conditions agricoles et environnementales » (ci‑après les « BCAE »), ce qui avait conduit les autorités françaises à ne pas toujours écarter des surfaces inéligibles. Plus particulièrement, la réglementation française n’aurait pas assuré le contrôle du « maintien » des terres agricoles dans des BCAE, conformément à l’article 6 du règlement (CE) nº 73/2009. (13)
16. Deuxièmement, la proposition de correction était fondée sur des problèmes liés à la définition des superficies éligibles résultant d’une interprétation incorrecte par les autorités françaises de l’article 34 du règlement (CE) nº 1122/2009 (14). En substance, les autorités françaises avaient considéré comme étant éligibles des surfaces principalement boisées à très faible ressource herbagère ou non accessibles aux animaux, déclarées comme « landes et parcours », alors que ces surfaces ne...
To continue reading
Request your trial