Opinion of Advocate General Kokott delivered on 19 March 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:217
Date19 March 2020
Celex Number62019CC0081
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 mars 2020 (1)

(Affaire C81/19)

NG,

OH

contre

SC Banca Transilvania SA

[Demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Cluj (Cour d’appel de Cluj, Roumanie)]

« Demande de décision préjudicielle – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Crédit en devise – Clause de taux de change – Article 1er, paragraphe 2 – Clause contractuelle qui est l’expression d’un principe général inscrit dans la législation – Article 6, paragraphe 1 – Conséquences juridiques – Annulation des clauses abusives – Impossibilité de maintenir le contrat sans la clause abusive – Pouvoirs du juge national »






I. Introduction

1. La présente procédure préjudicielle a, une fois encore, pour objet la protection des consommateurs contre les clauses abusives insérées dans des contrats de prêt libellés en devise étrangère.

2. La clause en cause au principal oblige les requérants dans cette affaire à rembourser un prêt libellé en francs suisses dans cette devise. Toutefois, en raison de la forte dévaluation du leu roumain, monnaie dans laquelle les requérants perçoivent leurs revenus, le montant à rembourser a presque doublé pour eux dans les années qui ont suivi la conclusion du contrat de crédit.

3. Le présent renvoi préjudiciel ne pose plus expressément la question de principe, de savoir si l’octroi de crédits en devise aux consommateurs peut être considéré comme conforme au droit de l’Union. En effet, si la jurisprudence antérieure de la Cour indique que, dans le cas de tels contrats de crédit, le risque de change ne peut pas être automatiquement mis à la charge d’un consommateur, il en découle également que cette pratique n’est pas en soi contraire au droit de l’Union (2). Ce qui importe est de savoir si le consommateur a été informé de manière claire et compréhensible de ce risque (3).

4. En revanche, sont au cœur de la présente affaire les conséquences qu’il incombe, le cas échéant, à un juge national de tirer de la constatation du caractère abusif d’une clause relative au risque de change. En effet, selon la juridiction de renvoi, toutes les conséquences juridiques du caractère abusif relevées jusqu’à présent dans la jurisprudence entraînent une charge déraisonnable pour le consommateur. Les juridictions de renvoi se trouvent confrontées à des problèmes juridiques comparables dans trois autres affaires actuellement pendantes (4).

II. Cadre juridique

A. Droit de l’Union

5. En droit de l’Union, le cadre juridique de la présente affaire est constitué de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (5).

6. Les considérants 12 et 13 de la directive 93/13 énoncent :

« [(12)] considérant, toutefois, qu’en l’état actuel des législations nationales, seule une harmonisation partielle est envisageable ; que, notamment, seules les clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle font l’objet de la présente directive ; « [...] il importe de laisser la possibilité aux États membres, dans le respect du traité, d’assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur au moyen de dispositions nationales plus strictes que celles de la présente directive ».

[(13)] considérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; Par conséquent, les clauses reflétant des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont parties contractantes, ne doivent pas être soumises à la présente directive ; l’expression « dispositions législatives ou réglementaires impératives » figurant à l’article 1, paragraphe 2, englobe également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes, sauf convention contraire ».

7. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 énonce la règle suivante :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont parti[e]s, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive ».

8. L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».

9. L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 énonce :

« L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

10. L’article 6, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives ».

11. Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel ».

B. Droit national

12. En droit national, le Codul civil (code civil) et le Codul comercial (code de commerce), dans leur version en vigueur au moment de la conclusion du contrat, sont pertinents en l’espèce.

13. L’article 1578 du code civil, consacrant le principe du nominalisme monétaire, était libellé comme suit :

« L’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que la somme numérique énoncée au contrat. S’il y a eu augmentation ou diminution de la valeur de la devise avant l’époque du paiement, le débiteur doit rendre la somme numérique prêtée et ne doit rendre cette somme que dans les espèces ayant cours au moment du paiement ».

14. L’article 41 du code de commerce était libellé comme suit :

« Lorsque la devise indiquée dans un contrat n’a pas de cours légal ou commercial dans le pays et que ce cours n’a pas été déterminé par les parties, le paiement peut être fait dans la devise du pays, selon le taux de change au comptant ayant cours au jour d’échéance et au lieu du paiement, et, s’il n’y a pas de taux de change en ce lieu, selon le taux de change du marché le plus proche, à moins que le contrat ne comporte la clause “[prix] effectif” ou une clause similaire ».

III. Faits et procédure au principal

15. Selon les constatations de la juridiction de renvoi, le 31 mars 2006, les requérants au principal, en tant que consommateurs, ont conclu avec SC Volksbank România SA (devenue Banca Transilvania), un contrat de crédit d’un montant de 90 000 lei roumains (RON).

16. Le 15 octobre 2008, un second contrat de crédit a été conclu entre les parties en vue du refinancement du contrat du 31 mars 2006. L’objet était un prêt en devises étrangères d’un montant de 65 000 francs suisses (CHF). Cela correspondait à environ 159 126 RON ou à environ 33 488 EUR (6). Les requérants perçoivent leurs revenus en lei roumains.

17. Le point 1 de la section 4 des conditions générales du deuxième contrat de crédit prévoyait que « [t]out paiement effectué sur la base du contrat est fait dans la devise du prêt, à l’exception des cas expressément mentionnés dans les conditions générales et dans les conditions particulières » (ci‑après la « clause litigieuse »).

18. La dévaluation du leu et la réévaluation du franc suisse entre octobre 2008 et avril 2017 ont entraîné une augmentation de 117 760 RON (environ 24 772 EUR) du montant à rembourser.

19. Les requérants ont alors introduit un recours devant le Tribunalul Specializat Cluj (tribunal spécialisé de Cluj, Roumanie). Ils font valoir que la banque ne s’est pas suffisamment acquittée de ses obligations en matière d’information concernant le risque de change. En outre, du fait de la prise en charge de ce risque, ils seraient indûment désavantagés. Par conséquent, ils demandent, en substance, que le taux de change soit gelé au moment de la conclusion du contrat.

20. La défenderesse objecte que la clause litigieuse est fondée sur le principe du nominalisme monétaire consacré à l’article 1578 du code civil et que, dès lors, le caractère abusif de celle‑ci ne saurait être apprécié au regard de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13.

21. La juridiction de première instance a rejeté le recours. Elle a, certes, considéré que la clause litigieuse était soumise à un contrôle de fond. Cependant, la banque se serait suffisamment acquittée de ses obligations d’information. En effet, elle n’aurait pas pu prévoir les fluctuations importantes du taux de change.

22. Le litige est désormais pendant devant la juridiction de renvoi, la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj), à la suite de l’appel interjeté par les deux parties. Cette juridiction nourrit des doutes quant à l’interprétation de la directive 93/13 concernant le champ d’application de celle‑ci, les obligations d’information pesant sur les professionnels et les conséquences juridiques découlant du caractère éventuellement abusif de...

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