Opinion of Advocate General Bobek delivered on 15 April 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:291
Date15 April 2021
Celex Number62019CC0561
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 15 avril 2021(1)

Affaire C561/19

Consorzio Italian Management,

Catania Multiservizi SpA

contre

Rete Ferroviaria Italiana SpA

[Demande de décision préjudicielle du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

(Renvoi préjudiciel – Article 267, troisième alinéa, TFUE – Juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne – Obligation de renvoi préjudiciel – Portée – Exceptions et critères de l’arrêt CILFIT e.a.)






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

III. Les faits, la procédure nationale et les questions déférées

IV. Appréciation

A. Les niveaux

1. Le premier niveau : la décision appartient toujours au juge national

2. Le niveau plus profond : fautil vraiment déférer toutes les questions ?

B. L’arrêt CILFIT (et sa lignée)

1. Les justifications de l’obligation de renvoi préjudiciel

2. Les exceptions à l’obligation

3. L’application pratique (par la Cour) qui s’en est suivie

C. Les problèmes posés par la jurisprudence CILFIT

1. Les problèmes d’ordre conceptuel

2. L’applicabilité

3. La cohérence systémique des voies de recours en droit de l’Union

4. Les évolutions du droit de l’Union et du système juridictionnel

5. Synthèse d’étape

D. Ce qui est proposé

1. Une question général(isabl)e d’interprétation du droit de l’Union

2. Autres interprétations raisonnablement envisageables

3. L’absence de jurisprudence de la Cour de Justice

4. L’obligation de motivation (et la question ouverte du contrôle du respect de l’obligation de renvoi)

V. Conclusion


I. Introduction

1. Contrairement aux juridictions nationales statuant en dernier ressort, quelque chose me dit que les étudiants en droit de l’Union ont toujours eu un faible pour l’arrêt CILFIT e.a. (2). Au cours de la dernière ou des deux dernières décennies, les cœurs de bien des étudiants en droit de l’Union ont dû battre la chamade et se réjouir avec soulagement à la vue des termes « CILFIT », « exceptions à l’obligation de renvoi préjudiciel » et « commentez » dans l’intitulé d’un sujet d’examen ou d’un devoir. En effet, s’interroger sur l’applicabilité des exceptions à l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel qui découlent de l’arrêt CILFIT, notamment de l’exception relative à l’absence de tout doute raisonnable pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort, ne relève probablement pas de l’exercice intellectuel le plus ardu. Ces juridictions sont‑elles vraiment tenues de comparer (toutes) les versions linguistiques du droit de l’Union faisant également foi ? Sur un plan pratique, comment peuvent‑elles déterminer si une réponse paraît tout aussi évidente pour les juridictions des autres États membres et pour la Cour de justice ?

2. Les questions relatives à l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aux exceptions à cette obligation et, surtout, à sa mise en œuvre, ont longtemps été vues métaphoriquement comme « un chat qui dort » du droit de l’Union. Nous sommes conscients de son existence. Nous savons tous en débattre ou même écrire des traités doctrinaux à son sujet. Mais en vérité, il est préférable de ne pas le déranger. De manière pragmatique (ou cynique), le système du renvoi préjudiciel ne fonctionne que parce que, en réalité, nul n’applique la jurisprudence CILFIT, en tout cas certainement pas à la lettre. Bien souvent, mieux vaut penser à un chat que d’avoir affaire à cet animal en chair et en os.

3. Pour plusieurs raisons que je serai amené à développer dans les présentes conclusions, je suggère à la Cour qu’il est temps de procéder à un réexamen de la jurisprudence CILFIT. Ma proposition est assez simple : adapter l’obligation de renvoi préjudiciel de l’article 267, troisième alinéa, TFUE et ses exceptions pour répondre aux besoins du système juridictionnel contemporain de l’Union de sorte qu’elles puissent être raisonnablement appliquées (et, un jour peut‑être, mises en œuvre).

4. Le processus d’adaptation appelle cependant un renversement de paradigme majeur. L’obligation de renvoi préjudiciel avec ses exceptions ne doit plus avoir pour logique et repose sur l’absence de tout doute raisonnable sur l’application correcte du droit de l’Union dans un cas d’espèce, établie par l’existence d’un doute subjectif sur le plan juridique, mais sur l’impératif plus objectif d’assurer une interprétation uniforme du droit de l’Union dans toute l’Union européenne. En d’autres termes, l’obligation de renvoi préjudiciel devrait moins s’attacher aux bonnes réponses qu’à la détermination des bonnes questions.

II. Le cadre juridique

5. L’article 267 TFUE dispose :

« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a) sur l’interprétation des traités,

b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

[…] »

6. L’article 99 du règlement de procédure de la Cour de justice énonce :

« Lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée. »

III. Les faits, la procédure nationale et les questions déférées

7. Le 23 février 2006, Rete Ferroviaria Italiana SpA (ci‑après « RFI ») a attribué à Consorzio Italian Management et à Catania Multiservizi SpA (ci‑après les « requérantes ») un marché de « services de nettoyage, d’entretien du décor des locaux et d’autres espaces ouverts au public, ainsi que de services accessoires dans des gares, des installations, des bureaux et des ateliers disséminés sur l’ensemble du territoire relevant de la Direzione Compartimentale Movimento de Cagliari (direction régionale de la circulation de Cagliari, Italie) ».

8. Ce marché comportait une clause excluant la révision de prix. Au cours de l’exécution dudit marché, les requérantes ont demandé à RFI la révision du prix du marché précédemment convenu afin qu’il soit tenu compte d’une hausse des coûts contractuels découlant de l’augmentation des frais de personnel. RFI a rejeté cette demande.

9. Les requérantes ont saisi le Tribunale amministrativo regionale per la Sardegna (tribunal administratif régional pour la Sardaigne, Italie ; ci‑après le « TAR ») d’un recours. Par jugement du 11 juin 2014, le TAR a rejeté ce recours. Il a estimé que l’article 115 du decreto legislativo (décret législatif) nº 163/2006 n’était pas applicable à des prestations, tels que des prestations de services de nettoyage, accessoires à l’exercice des activités relevant des secteurs spéciaux en ce qu’elles portaient sur des éléments nécessaires faisant partie du réseau de transport ferroviaire. Le TAR a ajouté qu’une révision des prix n’était pas non plus obligatoire en vertu de l’article 1664 du codice civile (code civil) et que les parties pouvaient déroger à cette disposition.

10. Les requérantes ont interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). Elles concluent à l’applicabilité de l’article 115 du décret législatif nº 163/2006 ou, subsidiairement, de l’article 1664 du code civil. Elles sont en outre d’avis que la réglementation nationale est contraire à la directive 2004/17/CE (3) en ce qu’elle tend à exclure la révision des prix dans le secteur des transports, plus particulièrement dans les contrats connexes de nettoyage. Ces dispositions font naître un déséquilibre contractuel injuste et disproportionné, conduisant à fausser les règles relatives au fonctionnement du marché. Si la directive 2014/17 devait être interprétée dans un sens excluant la révision du prix dans tous les contrats conclus et appliqués dans les secteurs spéciaux, elle serait alors invalide.

11. C’est dans ce contexte que, le 24 novembre 2016, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a été amené à déférer les deux questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice :

« 1°) L’interprétation du droit interne qui exclut la révision des prix dans les marchés afférents aux secteurs dits spéciaux est‑elle conforme au droit de l’Union européenne (et, en particulier, à l’article 3, paragraphe 3, TUE, aux articles 26, 56 à 58 et 101 TFUE ainsi qu’à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) et à la directive 2004/17, notamment en ce qui concerne les marchés qui ont un objet différent de ceux visés par cette directive, mais qui sont liés à ces derniers par un lien fonctionnel ?

2°) La directive 2004/17 (si l’exclusion de la révision des prix dans tous les contrats conclus et appliqués dans le cadre des secteurs dits spéciaux est considérée comme découlant directement de celle‑ci) est‑elle conforme aux principes de l’Union européenne (et, en particulier, à l’article 3, paragraphe 1, TUE, aux articles 26, 56 à 58 et 101 TFUE ainsi qu’à l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), “eu égard à son caractère injuste, disproportionné, à la modification de l’équilibre contractuel et, partant, des règles d’un marché performant” » ?

12. La Cour a répondu par un arrêt du 19 avril 2018 (4). S’agissant...

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