Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 15 de diciembre de 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:999
Date15 December 2022
Celex Number62021CC0426
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 15 décembre 2022 (1)

Affaire C426/21

Ocilion IPTV Technologies GmbH

contre

Seven.One Entertainment Group GmbH,

Puls 4 TV GmbH & Co. KG

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur dans la société de l’information – Directive 2001/29/CE – Article 2 – Droit de reproduction – Article 3 – Droit de communication au public – Article 5, paragraphe 2, sous b) – Exception de “copie privée” – Enregistreur vidéo en ligne – Technique de déduplication – Accès aux contenus protégés sans autorisation des titulaires de droits – Fournisseur d’un service IPTV »






Introduction

1. Dans sa jurisprudence concernant le droit exclusif de communication au public en droit d’auteur de l’Union, la Cour a parfois reconnu la responsabilité pour une atteinte à ce droit dans le chef d’acteurs dont les actes semblaient, au premier abord, ne constituer qu’une contribution indirecte à de telles atteintes (2). Cette approche avait rencontré certaines critiques, notamment de la part de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans ses conclusions dans les affaires jointes YouTube et Cyando (C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2020:586) (3), auxquelles se réfère la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

2. Je ne partage pas tout à fait cette critique (4). Une chose est cependant sûre. Interprétée de manière erronée, la jurisprudence de la Cour peut servir de fondement pour tenter de faire constater la responsabilité pour atteinte au droit de communication au public dans des situations où soit aucune communication n’a lieu, soit le rôle joué par le contrevenant présumé se limite à des actes n’ayant aucun lien avec la communication d’une œuvre protégée concrète, notamment à des actes de simple fourniture d’installations techniques permettant une telle communication. Cette interprétation erronée consiste, notamment, à sortir de leur contexte les notions de « rôle incontournable » de l’acteur en cause et de sa « pleine connaissance des conséquences de son comportement », utilisées par la Cour dans sa jurisprudence.

3. Une série d’affaires préjudicielles ont été introduites dans de telles circonstances (5). Si la présente affaire en fait, à mon avis, partie, elle est cependant bien plus complexe, non seulement du fait de la complexité du dispositif mis en place aux fins de la communication au public qui fait l’objet du litige au principal, mais également du fait que, outre le droit de communication au public, elle concerne le droit exclusif de reproduction et une tentative d’application « novatrice » d’une exception à ce droit, exception dite de « copie privée ».

4. Néanmoins, la clef d’une solution correcte et utile à la solution du litige pendant devant la juridiction de renvoi me semble résider dans la juste appréciation des rôles respectifs des différents acteurs impliqués.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

5. L’article 2, sous a) et e), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (6) dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a) pour les auteurs, de leurs œuvres ;

[...]

e) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »

6. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous d), de cette directive :

« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

2. Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement :

[...]

d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »

7. Aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 5, de ladite directive :

« 2. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants :

[...]

b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ;

[...]

5. Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

8. L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (7) dispose :

« Les États membres prévoient pour les organismes de radiodiffusion le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation de leurs émissions, qu’elles soient diffusées sans fil ou avec fil, y compris par câble ou par satellite. »

9. En vertu de l’article 10 de cette directive :

« 1. Les États membres ont la faculté de prévoir des limitations des droits visés au présent chapitre dans les cas suivants :

a) lorsqu’il s’agit d’une utilisation privée ;

[...]

2. Sans préjudice du paragraphe 1, tout État membre a la faculté de prévoir, en ce qui concerne la protection [...] des organismes de radiodiffusion [...], des limitations de même nature que celles qui sont prévues par la législation concernant la protection du droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques.

[...]

3. Les limitations visées aux paragraphes 1 et 2 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

Le droit autrichien

10. En droit autrichien, le droit de reproduction et le droit de communication au public, en ce qui concerne les auteurs, sont prévus, respectivement, à l’article 15 ainsi qu’aux articles 17 à 18a de l’Urheberrechtsgesetz (loi sur le droit d’auteur), du 9 avril 1936 (8), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UrhG »). L’exception au droit de reproduction pour usage privé est établie à l’article 42, paragraphes 4 et 5, de l’UrhG. Enfin, l’article 76a, paragraphe 1, de l’UrhG prescrit le droit exclusif des organismes de radiodiffusion de fixer leurs émissions, de les reproduire, de les diffuser et de les utiliser pour les mettre à la disposition du public.

Les faits au principal, la procédure et les questions préjudicielles

11. Les sociétés Seven.One Entertainment Group GmbH et Puls 4 TV GmbH & Co. KG, demanderesses en première instance et défenderesses en Revision, sont des organismes de radiodiffusion établis, respectivement, en Allemagne et en Autriche.

12. Ocilion IPTV Technologies GmbH (ci-après « Ocilion ») est une société de droit autrichien. Elle offre à des clients commerciaux, qui peuvent être des gestionnaires de réseau, par exemple de téléphonie ou d’électricité, ou bien des établissements tels que des hôtels ou des stades (ci-après les « gestionnaires de réseau »), un service de télévision par Internet en réseau fermé (9) (IPTV (10)). Ce service prend la forme soit d’une solution sur site, dans le cadre de laquelle le matériel nécessaire et le logiciel sont mis à la disposition du client par Ocilion et gérés par le client, soit d’une solution d’hébergement dans le cloud, gérée par Ocilion.

13. À l’aide du service fourni par Ocilion, les gestionnaires de réseau proposent à leurs clients (utilisateurs finaux) un accès à la télévision par Internet. Des chaînes de télévision appartenant aux défenderesses font partie de cette offre.

14. La solution IPTV d’Ocilion comporte une fonction d’enregistrement des émissions particulières à partir d’un enregistreur vidéo en ligne, ainsi qu’une fonction de relecture en différé permettant la visualisation des contenus de l’ensemble des émissions d’une chaîne de télévision donnée jusqu’à sept jours après leur diffusion (les émissions sont enregistrées en continu pour pouvoir ensuite être visualisées). En principe, l’initiative de tout enregistrement est prise par l’utilisateur final qui active lui-même ces fonctions en déterminant le contenu à reproduire. En ce qui concerne la fonction de relecture en différé, il suffit que la programmation soit faite une fois, par exemple au moment de la mise en service.

15. Cependant, en pratique, un procédé dit de « déduplication » évite de faire plusieurs copies pour les clients qui programment des enregistrements concordants. Tous les utilisateurs finaux ayant programmé le même enregistrement peuvent avoir accès à la première et unique copie, réalisée lorsqu’un « premier » utilisateur final a programmé l’enregistrement. Cet accès se fait par une référence qui est communiquée aux utilisateurs. La copie n’est éventuellement effacée que lorsque le dernier utilisateur a supprimé la programmation de l’enregistrement en question (ou après...

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