Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 14 December 2023.

JurisdictionEuropean Union
Date14 December 2023
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 14 décembre 2023 (1)

Affaires jointes C684/22 à C686/22

S.Ö.

contre

Stadt Duisburg (C684/22)

et

N.Ö.,

M.Ö.

contre

Stadt Wuppertal (C685/22)

et

M.S.,

S.S.

contre

Stadt Krefeld (C686/22)

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Düsseldorf (tribunal administratif de Düsseldorf, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Article 20 TFUE – Nationalité d’un État membre et d’un pays tiers – Acquisition de la nationalité d’un pays tiers – Perte de plein droit de la nationalité de l’État membre et de la citoyenneté de l’Union – Examen individuel des conséquences – Demande antérieure de maintien de la nationalité »






I. Introduction

1. Dans quelle mesure la réglementation d’un État membre relative à la nationalité, qui prévoit que les ressortissants de celui-ci perdent leur nationalité lorsqu’ils acquièrent volontairement une nationalité étrangère, à moins d’avoir demandé et obtenu une autorisation de conserver leur nationalité avant cette acquisition, est‑elle conforme à l’article 20 TFUE ?

2. Tel est, en substance, le problème juridique qui se pose dans les présentes affaires et qui fait l’objet de deux questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgericht Düsseldorf (tribunal administratif de Düsseldorf, Allemagne) dans le cadre de litiges concernant la perte de la nationalité allemande.

3. La Cour est, en l’espèce, appelée à se prononcer une nouvelle fois sur la question de savoir si un régime national de déchéance de la nationalité est conforme au droit de l’Union. En effet, ces affaires s’inscrivent dans le contexte jurisprudentiel faisant suite aux arrêts Rottmann (2), Tjebbes e.a. (3), Wiener Landesregierung (Révocation d’une assurance de naturalisation) (4) et Udlændinge- og Integrationsministeriet (Perte de la nationalité danoise) (5).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. L’article 20, paragraphe 1, TFUE institue la citoyenneté de l’Union et dispose que « toute personne ayant la nationalité d’un État membre » est citoyenne de l’Union.

B. Le droit allemand

5. Le Staatsangehörigkeitsgesetz (loi sur la nationalité) (6) (ci-après le « StAG »), en vigueur depuis le 1er janvier 2000 et applicable aux litiges au principal, prévoit, à son article 25 :

« (1) Un ressortissant allemand perd sa nationalité lorsqu’il acquiert une nationalité étrangère si cette acquisition a lieu à sa demande ou à la demande de son représentant légal, mais le représenté ne perd sa nationalité que si les conditions auxquelles la déchéance pourrait être demandée en vertu de l’article 19 sont remplies. La perte visée à la première phrase n’intervient pas lorsqu’un ressortissant allemand acquiert la nationalité d’un autre État membre de l’Union européenne, de la Suisse ou d’un État avec lequel la République fédérale d’Allemagne a conclu un traité international conformément à l’article 12, paragraphe 3.

(2) Toute personne qui, avant d’acquérir la nationalité étrangère, a obtenu à sa demande l’autorisation écrite de l’autorité compétente de conserver sa nationalité ne perd pas sa nationalité. [...] Lors de la décision sur une demande visée à la première phrase, les intérêts publics et privés doivent être mis en balance. Si le demandeur a sa résidence habituelle à l’étranger, il convient notamment de tenir compte du point de savoir s’il peut démontrer de manière crédible un maintien de liens avec l’Allemagne. »

III. Les faits dans les litiges au principal

6. Les faits pertinents des litiges au principal, tels qu’ils ressortent des décisions de renvoi, peuvent être résumés de la manière suivante.

7. Le requérant au principal dans l’affaire C‑684/22, S.Ö., né en Turquie en 1966, est entré sur le territoire allemand en 1990. Il est marié et père de trois enfants. Le 10 mai 1999, il a acquis la nationalité allemande par naturalisation et la nationalité turque lui a été retirée le 13 septembre 1999.

8. Le 25 mai 2018, dans le cadre d’une demande de titre de voyage pour son fils, S.Ö. a indiqué avoir acquis à nouveau la nationalité turque le 12 novembre 1999. Il a produit à cet égard une attestation du ministère turc de l’Intérieur du 27 février 2019 et un extrait du registre d’état civil du 6 novembre 2018, selon lesquels il avait demandé sa réintégration dans la nationalité turque le 13 septembre 1999 et avait recouvré celle-ci par décision du Conseil des ministres du 12 novembre 1999.

9. Les autorités allemandes ayant exprimé des doutes sérieux que le fils de S.Ö. possède la nationalité allemande, S.Ö. a demandé, le 25 avril 2019, à l’autorité de naturalisation de la ville de S. de lui délivrer un titre de nationalité pour pouvoir établir le maintien de sa nationalité allemande. Il a par la suite déménagé dans le ressort de la ville de Duisburg (Allemagne).

10. Les requérants au principal dans l’affaire C‑685/22, les époux M.Ö. et N.Ö., nés, respectivement, en 1959 et en 1970, sont entrés sur le territoire allemand en 1974. Ils ont acquis la nationalité allemande par naturalisation le 27 août 1999 et la nationalité turque leur a été retirée le 2 septembre 1999.

11. Le 1er septembre 2005, dans le cadre d’un entretien avec les services de la ville de Wuppertal (Allemagne), ils ont indiqué avoir acquis à nouveau la nationalité turque le 24 novembre 2000. Ils ont produit à cet égard une attestation du Consulat général de Turquie, situé à E., du 31 août 2005, mentionnant qu’ils avaient demandé, le 2 septembre 1999, leur réintégration dans la nationalité turque et avaient recouvré celle-ci par décision du Conseil des ministres du 24 novembre 2000. Par lettre du 1er décembre 2016, les requérants ont présenté à la ville de Wuppertal un extrait du registre d’état civil turc indiquant que leur réintégration dans la nationalité turque avait déjà eu lieu en vertu d’une décision du Conseil des ministres du 1er novembre 1999.

12. Au mois d’août 2020, la ville de Wuppertal a informé M.Ö. et N.Ö. que, dans la mesure où il existait une probabilité suffisante que la date sur l’extrait du registre d’état civil turc ait été manipulée, cet extrait ne pouvait avoir de valeur probante allant au-delà de la réintégration dans la nationalité turque.

13. Les requérants au principal dans l’affaire C‑686/22, les époux M.S. et S.S., nés en 1965 et en 1971, sont entrés sur le territoire allemand, respectivement, en 1981 et 1989. Ils ont acquis la nationalité allemande par naturalisation le 10 juin 1999 et la nationalité turque leur a par la suite été retirée.

14. Lorsqu’ils ont sollicité le retrait de leur nationalité turque afin de remplir l’une des conditions nécessaires pour la naturalisation allemande, M.S. et S.S. ont en même temps demandé aux autorités turques leur réintégration dans la nationalité turque, une fois que la nationalité allemande leur aurait été accordée. Ils avaient été conseillés au regard de la législation allemande alors applicable en ce sens qu’ils pouvaient recouvrer la nationalité turque sans perdre pour autant la nationalité allemande. Ils ont présenté à cet égard un extrait du registre d’état civil turc indiquant qu’ils avaient recouvré la nationalité turque le 9 août 1999 en vertu d’une décision du Conseil des ministres.

15. Le 19 décembre 2017, M.S. et S.S. ont demandé à la ville de Krefeld (Allemagne) de constater qu’ils détenaient la nationalité allemande. Bien que la ville de Krefeld leur ait délivré, le 24 août 2018, un titre de nationalité, elle a argué de l’absence de numéro de la décision du Conseil des ministres figurant au registre d’état civil turc pour reprendre la procédure.

16. Par arrêtés de police administrative (7), les défenderesses au principal ont constaté, conformément à l’article 30, paragraphe 1, du StAG, que S.Ö., M.Ö., N.Ö., M.S. et S.S. (ci-après, ensemble, les « requérants au principal ») n’avaient plus la nationalité allemande (8). En effet, elles ont considéré que la réintégration dans la nationalité turque avait eu lieu après le 1er janvier 2000 et avait entraîné une perte automatique de la nationalité allemande, conformément à l’article 17, paragraphe 1, point 2, et à l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du StAG. Tel n’aurait pas été le cas si cette réintégration avait eu lieu avant le 31 décembre 1999, l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du Reichs – und Staatsangehörigkeitsgesetz (loi sur la nationalité), du 22 juillet 1913 (ci-après le « RuStAG ») (9), qui était précédemment applicable, prévoyant que la perte de la nationalité allemande n’intervenait que pour les allemands résidant à l’étranger. Cependant, les requérants au principal n’auraient pas démontré une réintégration dans la nationalité turque avant le 1er janvier 2000.

17. Les requérants au principal ont alors introduit un recours contre ces arrêtés de police administrative devant le Verwaltungsgericht Düsseldorf (tribunal administratif de Düsseldorf), la juridiction de renvoi.

IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

18. Dans ses trois demandes de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique que l’article 25 du StAG, en vigueur depuis le 1er janvier 2000, est applicable aux requérants au principal dès lors qu’ils ont acquis à nouveau la nationalité turque après l’entrée en vigueur de la nouvelle version de la loi. Cette juridiction relève que les extraits du registre d’état civil présentés par les requérants pour démontrer que tel n’est pas le cas n’ont aucune valeur probante. En outre, elle relève que les requérants au principal n’ont pas sollicité l’autorisation de conserver la nationalité allemande, visée à l’article 25, paragraphe 2, première phrase, du StAG avant d’acquérir, à nouveau, la nationalité turque.

19. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, selon la jurisprudence nationale, l’article 25, paragraphe 1, première phrase, du StAG est conforme au droit de l’Union dans la...

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