Spiegel Online GmbH contra Volker Beck.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:16
Date10 January 2019
Celex Number62017CC0516
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-516/17
62017CC0516

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 janvier 2019 ( 1 )

Affaire C‑516/17

Spiegel Online GmbH

contre

Volker Beck

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Droit d’auteur et droits voisins – Droits exclusifs de reproduction et de communication au public – Flexibilité lors de la mise en œuvre dans le droit national – Exception liée à l’objectif de rendre compte d’événements d’actualité – Possibilité raisonnable de requérir une autorisation avant la publication – Références accessibles par un hyperlien mis à disposition à côté du texte – Œuvre publiée sous sa forme particulière avec l’autorisation de l’auteur »

Introduction

1.

On ne saurait surestimer le rôle joué, dans une société démocratique, par la liberté d’expression en général et la liberté des médias en particulier. Le libre échange d’idées et le contrôle du pouvoir par la société, mécanismes dans lesquels les médias sont des intermédiaires indispensables, constituent la pierre angulaire d’une telle société.

2.

La liberté d’expression a été reconnue comme un droit fondamental dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, avec son article 11. Les auteurs de cette déclaration étaient cependant conscients de ce que l’exercice d’une liberté par les uns est susceptible de limiter celle des autres. Ils ont donc introduit, avec l’article 4, le principe selon lequel « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». En ce qui concerne le point de savoir à qui il revient d’établir les règles d’arbitrage entre ces libertés, cet article précise, à la seconde phrase, que « [c]es bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

3.

Ces principes simples et naturels sont toujours d’actualité. La loi, expression de la volonté générale ( 2 ), a vocation à mettre en balance les différents droits fondamentaux, pour le plus grand bénéfice de tous. Il n’en va pas autrement dans le domaine du droit d’auteur, comme l’illustre parfaitement la présente affaire.

Le cadre juridique

Le droit international

4.

L’article 9, paragraphe 1, de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après la « convention de Berne »), consacre le droit des auteurs d’autoriser toute reproduction de leurs œuvres. L’article 9, paragraphe 2, l’article 10, paragraphe 1, et l’article 10 bis, paragraphe 2, de la convention de Berne disposent respectivement :

« Est réservée aux législations des pays de l’Union [constituée par les États signataires de la convention de Berne] la faculté de permettre la reproduction desdites œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

[...]

Sont licites les citations tirées d’une œuvre, déjà rendue licitement accessible au public, à condition qu’elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but à atteindre, y compris les citations d’articles de journaux et recueils périodiques sous forme de revues de presse.

[...]

Il est également réservé aux législations des pays de l’Union de régler les conditions dans lesquelles, à l’occasion de comptes rendus des événements d’actualité par le moyen de la photographie ou de la cinématographie, ou par voie de radiodiffusion ou de transmission par fil au public, les œuvres littéraires ou artistiques vues ou entendues au cours de l’événement peuvent, dans la mesure justifiée par le but d’information à atteindre, être reproduites et rendues accessibles au public. »

5.

L’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur ( 3 ) dispose que « [l]es parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et à l’annexe de la [c]onvention de Berne ». Selon la déclaration commune concernant l’article 1er, paragraphe 4, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, « [l]e droit de reproduction énoncé à l’article 9 de la [c]onvention de Berne et les exceptions dont il peut être assorti s’appliquent pleinement dans l’environnement numérique, en particulier à l’utilisation des œuvres sous forme numérique. Il est entendu que le stockage d’une œuvre protégée sous forme numérique sur un support électronique constitue une reproduction au sens de l’article 9 de la [c]onvention de Berne» ( 4 ).

Le droit de l’Union

6.

L’article 2, sous a), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 5 ) dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a)

pour les auteurs, de leurs œuvres ;

[...] »

7.

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

8.

L’article 5, paragraphe 3, sous c) et d), de ladite directive dispose :

« Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants :

[...]

c)

lorsqu’il s’agit de la reproduction par la presse, de la communication au public ou de la mise à disposition d’articles publiés sur des thèmes d’actualité à caractère économique, politique ou religieux ou d’œuvres radiodiffusées ou d’autres objets protégés présentant le même caractère, dans les cas où cette utilisation n’est pas expressément réservée et pour autant que la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée, ou lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres ou d’autres objets protégés afin de rendre compte d’événements d’actualité, dans la mesure justifiée par le but d’information poursuivi et sous réserve d’indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur ;

d)

lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ;

[...] »

9.

Enfin, aux termes de l’article 5, paragraphe 5, de cette même directive :

« Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

Le droit allemand

10.

La directive 2001/29 a été transposée en droit allemand dans le Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (ci-après l’« UrhG »). L’article 50 de l’UrhG dispose :

« Pour rendre compte d’événements d’actualité par la radiodiffusion ou des moyens techniques similaires, dans des journaux, des périodiques et d’autres publications ou sur tout autre support, qui relatent principalement les événements du jour, ainsi que dans un film, il est licite de reproduire, de distribuer et de communiquer au public, dans la mesure justifiée par le but à atteindre, les œuvres qui peuvent être vues et entendues au cours des événements rapportés. »

11.

En vertu de l’article 51 de l’UrhG :

« La reproduction, la distribution et la communication au public, à des fins de citation, d’une œuvre déjà publiée sont licites dans la mesure où l’ampleur de l’utilisation est justifiée par le but spécifique à atteindre. Il est notamment licite :

1. d’intégrer des œuvres individuelles, après leur publication, dans un ouvrage scientifique autonome en vue d’expliciter son contenu ;

2. de citer des passages d’une œuvre, après sa publication, dans une œuvre littéraire autonome ;

3. de citer, dans une œuvre musicale autonome, des passages ponctuels d’une œuvre musicale déjà publiée. »

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

12.

M. Volker Beck, requérant en première instance et défendeur en Revision dans la procédure au principal (ci-après le « défendeur »), était un élu parlementaire au Bundestag (chambre basse du Parlement fédéral, Allemagne) entre 1994 et 2017. Il est l’auteur d’un article portant sur des questions sensibles et controversées afférant à la politique pénale. Cet article a fait l’objet d’une publication, en 1988, dans le cadre d’un recueil de textes. Lors de cette publication, l’éditeur a modifié le titre du manuscrit et une phrase de celui-ci a été raccourcie. Le défendeur s’en est plaint auprès de l’éditeur et a exigé de lui, sans succès, qu’il l’indique par une mention de l’éditeur lors de la publication du recueil. Depuis au moins l’année 1993, le défendeur a totalement pris ses distances avec le contenu de cet article.

13.

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